La réalité du Chili aujourd’hui

Réunion organisée par la Commission Ethique contre la torture et Terre et Liberté Arauco 

1er Février 2013

Cinéma La Clef, Paris

 

Intervention de Mireille Fanon-Mendes France

Fondation Frantz Fanon

La délégation européenne, arrivée dans le courant du mois de janvier dernier, a visité quelques-uns des prisonniers politiques Mapuche. Elle est intervenue, afin que ceux d’entre eux qui poursuivaient une grève de la faim depuis de longues semaines –au péril de leur vie- la cessent, tant leur état de santé était préoccupant. Mais il reste toujours un jeune Mapuche qui refuse d’arrêter. En grève de la faim ou non, de nombreux prisonniers politiques Mapuche, des femmes et des hommes Mapuche et leurs soutiens se mobilisent et luttent pour que les forces répressives de l’Etat chilien changent les conditions de détention, mettent pas fin à la criminalisation du peuple Mapuche ainsi qu’aux nombreux procès fabriqués et truqués mais aussi et surtout accèdent aux revendications politiques du peuple Mapuche.

Est demandée, entre autres,

  • la libération immédiate des prisonniers politiques condamnés sur la base de preuves fabriquées et de procès truqués ;
  • la création d’une instance de dialogue entre l’Etat chilien et les représentants légitimes du peuple Mapuche ;
  • la définition d’un agenda commun qui puisse déboucher sur un accord qui tienne compte
    d’autonomie gouvernementale du peuple Mapuche ;
  • la récupération, par les communautés, des territoires Mapuche « volés » depuis la période de la « Pacification de la Araucana entre 1881-1883 » par l’Etat chilien. Des 11 millions d’hectares appartenant aux Mapuche, il ne leur en est resté que 500.000 ;
  • la fin de la militarisation du territoire Mapuche (…)

Cette délégation s’était aussi fixée d’obtenir des responsables de la justice le droit à des conditions de détention dignes, le droit à être soigné et l’arrêt de transferts inutiles utilisés comme arme de soumission pour briser les prisonniers, leurs familles et leurs soutiens.

Il faut souligner que le droit à des conditions de détention dignes et le droit à être soigné sont soumis à un certain nombre de normes réglementant la détention de façon à assurer le respect de la dignité humaine mais aussi à prévenir que les conditions de détention ne constituent pas, en tant que tels, de la torture ou des traitements inhumains ou dégradants. On peut rapidement citer l’article 10 du Pacte international sur les droits civils et politiques, « Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à toute personne humaine » et aussi les « Règles minimales pour le traitement des détenus » -résolution 2076 (LXII) du 13 mai 1977 du Conseil économique et social des Nations unies- qui, même si elles ne font pas force de loi, doivent être prises en considération par les Etats.

Ainsi les règles 15 à 20 viennent renforcer l’article 10 du Pacte précédemment cité et portent sur les conditions de vie des détenus. Ils doivent pouvoir conserver le respect d’eux-mêmes et pour cela doivent, entre autres pouvoir pratiquer des exercices physiques et bénéficier de sorties à l’extérieur.

Les règles 21 à 26, quant à elles, portent sur les services médicaux ; un médecin doit visiter quotidiennement les détenus qui subissent des sanctions disciplinaires ou qui sont entrés dans le processus d’une grève de la faim.

Une fois cela obtenu, il n’en demeure pas moins que d’autres procès sont en attente de verdict : celui d’Erick et Rodrigo Montoya pour tentative d’homicide contre des policiers ; celui de Ricardo Nahuelqueo pour des « attentats » et incendies contre la propriété. Tous les trois ont mené une grève de la faim de plus de 60 jours en 2012. L’audience finale doit avoir lieu dans les tous prochains jours.

Une interrogation de taille demeure. Comment se sont passées les audiences ?

Ont-elles été entachées, comme cela fut le cas à Canete[1] en 2010, d’instrumentalisations de ce qui constitue le droit mais aussi de manipulations du droit et plus généralement des droits au profit d’une idéologie qui veut légaliser des pratiques liberticides contraires à toutes les normes internationales de protection des droits humains ?

Il faut parler du délit intentionnel de subornation de témoin, du délit de prévarication commis par les juges qui ont manqué, par mauvaise foi, aux devoirs de leur charge mais aussi d’entraves au travail de la défense qui pourrait tout à fait demander une révision des procès. En effet, le pouvoir judiciaire de Canete n’a pas exercé équitablement et impartialement son pouvoir. Il a fait preuve d’abus de pouvoir judiciaire discrétionnaire.

Sachant que le but de l’accusation est de museler la défense et de faire, définitivement, passer les militants Mapuche pour des terroristes auxquels doit s’appliquer la loi anti-terroriste, 18-134. Mais rien n’a changé, c’est pour cela qu’il est impératif de maintenir des observateurs internationaux pour qu’ils témoignent et dénoncent ces pratiques.

Pour conforter les pratiques délétères et violatrices des droits humains utilisées par ses juges, le gouvernement chilien utilise cette loi antiterroriste, adoptée pendant la dictature militaire de Pinochet, dans le but de criminaliser la lutte des Mapuche pour leur droit sur leurs terres ancestrales. De nombreuses personnes se sont élevées contre cette utilisation abusive de cette loi : le Rapporteur Spécial de l’ONU sur la question indigène et autochtone, le Comité des Droits Économiques, Sociaux et Culturels et le Comité des Droits de l’Homme. Tous demandaient :

  • la non-application de la loi antiterroriste
  • une meilleure définition de la notion de terrorisme dans la législation chilienne
  • la nécessité de reconnaître les droits des peuples autochtones en accord avec la législation internationale

Le Comité des Droits de l’Enfant a aussi dénoncé l’agression violente dont se rend coupable la police lors de l’arrestation d’enfants Mapuches lorsqu’elle opère des descentes dans les communautés. Il y a même eu un rapport à la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme, lorsqu’en 2006 le gouvernement a décidé d’appliquer cette loi antiterroriste scélérate à des mineurs mapuches.

Si cela est possible, c’est bien parce qu’il faut faire croire à l’ensemble de la société chilienne que les Mapuche, par leur soit disant recours à des « actes terroristes », menacent toutes les sphères de la société en revendiquant leurs droits à leur souveraineté et à leur terre. Ils sont alors assimilés à une menace ; dès lors mener une lutte contre eux offre un nouveau cadre qui légitime toute une série de mesures liberticides et attentatoires aux droits humains.

La lutte politique des Mapuche pour leurs terres est donc assimilée à un acte criminel. Pourtant la Constitution du Chili n’affirme-t-elle pas que « l’État a l’obligation de respecter et de promouvoir les droits fondamentaux reconnus et garantis par la Constitution, par les Traités Internationaux et par le système légal » ?

 

Mais comme dans de nombreux pays, les peuples indigènes se battant pour leurs terres sont systématiquement criminalisés, jetés en prison et surtout, en bout de course, dépossédés de leurs terres au profit d’entreprises internationales prédatrices mais aussi dépossédés de leurs droits fondamentaux. Sans oublier que le Chili depuis 2010, avec son entrée à l’OCDE, s’est vu attribuer le statut d’un modèle économique triomphant et est considéré comme un pays qui a réussi sa transition démocratique.

Cette « réussite » a de très grandes zones de noirceur : de graves inégalités, des situations d’exclusion, de discrimination et de violation des droits humains et particulièrement des droits des autochtones, ainsi que d’importants impacts sociaux environnementaux.

L’Examen Périodique Universel du Chili en 2009 a bien pointé ces violations mais comme de nombreux Etats, le Chili a précisé que ces violations n’ont pas été relevées avec toute l’objectivité nécessaire. Dans ces conditions, le gouvernement considère que les Recommandations identifiées à la suite de l’EPU sont partiales et sujettes à question ! Ce que vient de faire aussi l’Etat d’Israël[2] en refusant de coopérer avec ce mécanisme du Conseil des Droits de l’homme !

Parler des Mapuche c’est se situer sur deux niveaux : celui de leurs revendications légitimes pour leurs terres et celui des droits, sachant qu’ils s’interpénètrent et sont dépendants l’un de l’autre. Droit à une justice impartiale, droit à la non-discrimination avec son corollaire l’égalité, droit sur leurs terres et leurs ressources.

Ici, il est besoin de se référer à la Convention 169 de l’OIT, ratifiée seulement par 17 Etats ; elle a un apport particulier car dans ses articles 13 à 17, elle consacre non seulement les droits des peuples autochtones à leurs terres, leurs territoires mais aussi leurs droits de participer à l’utilisation, la gestion et à la conservation de leurs ressources. Est aussi précisé qu’ils doivent être consultés avant toute utilisation des ressources situées sur leurs terres et qu’il est interdit de les déplacer de leurs terres et territoires.

Elle est, heureusement, depuis 2006, renforcée par la Déclaration des Nations unies sur les peuples autochtones adoptée par le Conseil des droits de l’homme. Cette dernière va plus loin.

Elle reconnaît que les peuples autochtones ont le droit de jouir, soit collectivement soit individuellement, de tous les droits humains et de toutes les libertés fondamentales reconnus dans la Charte des Nations unies, elle leur reconnaît, en outre, le droit à l’autodétermination et le droit sur leurs terres et leurs ressources.

Cette Déclaration protège aussi les savoirs traditionnels, la biodiversité et impose des limites aux activités que des tiers peuvent mener sur les territoires des peuples autochtones. C’est bien à cela, après des années de lutte et de mobilisation, que sont arrivés, par leurs luttes exemplaires et parce que les gouvernements ont changé, les peuples autochtones de Bolivie, d’Equateur et du Venezuela.

Il est donc important de ne pas dissocier la Convention 169 de la Déclaration des Nations unies sur les peuples autochtones pour renforcer l’argumentaire juridique.

Malheureusement, force est de constater, aujourd’hui, que le système international actuel favorise l’émergence d’Etats entièrement acquis au libéralisme, soumis à la loi des marchés et des profits se comportant en fin de compte comme des Etats corrompus et totalitaires, destructeurs de la plupart des acquis sociaux, avec pour conséquences la non promotion et la non application des droits humains et des principes démocratiques. On peut même dire que les droits humains sont volontairement vidés de leur substance par la promotion et la mise en œuvre d’un ordre économique injuste et inégal qui entraîne la privatisation et la marchandisation de presque tous les domaines de la vie.

C’est bien face à cela que sont les Mapuche et avec eux de plus en plus de peuples dont des multinationales viennent « voler » les terres sans que les Etats ne trouvent à redire.


[1] Une affaire de droit au Chili ; la question des Mapuche, Mireille Fanon-Mendes-France, décembre 2010 http://frantzfanonfoundation-fondationfrantzfanon.com/?p=603

[2] www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp ?NewsID=29724

 

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