Articles et réflexions sur l’intervention militaire au Mali

A/ 4 textes présentés lors du Débat : « Mali, l’intervention est-elle inéluctable ? »

 du 25/10/2012 avec Serge Michailof, professeur à Sciences Po, le politologue Roland Marchal, les économistes Boubou Cissé et Joseph Brunet-Jailly et le capitaine Amadou Haya Sanogo.

B/ Plusieurs textes sur la question de l’intervention française au Mali

Au Sahel, le conflit armé n’est pas de même nature qu’en Afghanistan, Frédéric Ramel

Les Maliens ont cru à la fin de leur pays, Boubacar S. Traoré, fondateur et directeur du groupe Afriglob Conseil

Déclaration contre l’intervention militaire française au Mali, Thibeaud OBOU

Un nouvel avatar de la Françafrique, Michel Galy, politologue

L’intervention est-elle un préalable au règlement d’une crise politique ?

Amandine Gnanguênon,

Guerre du Mali et stratégie pour une défense française, Alain Joxe

Le Mali, la France et les Extrémistes, Tariq Ramadan

C/

Mali, analyse de Samir Amin et deux textes en réponse, dont celui de Sadek Hadjrès –Mali – In Amenas et les relations algéro-françaises– et de M. Saadoune, A gauche, tout le monde n’a pas perdu la tête !

D/

Quelques lectures moins « conjoncturelles » pour tenter de comprendre le rôle de l’Algérie (et de sa police politique, le DRS, qui gère le pays) dans les événements en cours. Suivre le lien pour lire les textes ci-dessous

Un récent papier de fond sur l’état actuel de l’Algérie, Algeria-watch, « Algérie 2012 : un régime de vieillards sanguinaires en fin de règne », 11 janvier 2013
http://www.algeria-watch.org/fr/aw/fin_de_regne.htm

Pour savoir d’où vient AQMI (idem) : François Gèze et Salima Mellah, « Al-Qaida au Maghreb », ou la très étrange histoire du GSPC algérien », 22 septembre 2007
http://www.algeria-watch.org/fr/aw/gspc_etrange_histoire.htm

Sur les Touaregs, Hélène Claudot-Hawad, « Business, profits souterrains et stratégie de la terreur La recolonisation du Sahara« , 7 avril 2012.
http://temoust.org/business-profits-souterrains-et,15758

Sur les événements récents :

http://www.challenges.fr/revue-de-presse/20130117.CHA5275/in-amenas-site-de-sonatrach-bp-statoil-un-trafic-de-drogue-derriere-la-prise-d-otages-en-algerie.html?xtor=RSS-22

Et la vidéo citée d’Al-Jazira avec l’anthropologue anglais Jeremy Keenan, spécialiste des Touaregs :

http://www.aljazeera.com/programmes/insidestory/2012/07/20127362254280117.html

Voir enfin, cette interview du politologue algérien Lahouari Addi :

http://oumma.com/15487/mokhtar-belmokhtar-relation-officiers-algeriens

Ainsi que le papier de Serge Quadruppani :

http://quadruppani.blogspot.fr/2013/01/afghanistan-made-in-france.html

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Mali : évitons un nouvel Afghanistan

LE MONDE | 25.10.2012 à 14h07 • Mis à jour le 25.10.2012 à 20h39Par Serge Michailof, professeur à Sciences Po, auteur de « Notre maison brûle au sud » (Fayard, 2010)

Nous avons devant nous une bonne cause : restaurer l’unité du Mali et casser un ramassis de trafiquants djihadistes qui mettent en coupe réglée le nord du pays. Ces bandits démolissent des mausolées, malmènent les populations locales, enlèvent nos compatriotes, menacent non seulement nos intérêts en Afrique, mais même la vie de notre « président normal ». Et puis les temps ont changé.

Nous n’allons quand même pas nous salir les mains. Juste fournir à des troupes africaines, et cela à leur demande et sous le couvert d’une résolution des Nations unies, les moyens logistiques qui leur manquent. Quelle belle cause, qui sera vivement réglée, car il ne fait pas de doute que Gao et Tombouctou seront réoccupées en quarante-huit heures et que nous pourrons déclarer comme un chef bien connu : « Mission accomplie ! »

Le malheur est que cette mission aura alors juste commencé et qu’il nous faut, la tête froide, examiner l’aventure dans laquelle nous allons nous engager. Tout d’abord par les fameuses troupes de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Les seules crédibles sont celles du Nigeria, qui seront loin de leurs bases et bien occupées par la rébellion de la secte islamiste Boko Haram ; celles du Sénégal, qui ont leurs problèmes en Casamance ; et celles du Tchad, dont le mépris des droits de l’homme est légendaire.

Si ces troupes se hasardent hors de leurs futures bases du nord du Mali, elles se feront étriller par des combattants mobiles, armés à profusion en Libye, bénéficiant de la profondeur d’un territoire qui va de la Mauritanie au Tchad, en passant par le Sud algérien et libyen. Certains de ces combattants, comme Abdelmalek Droukdel, le chef d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), ou Abou Zeid, qui détient nos otages, sont des anciens du Front islamique du salut puis du Groupe islamique armé et du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, qui combattent les troupes algériennes depuis 1993.

AVENTURE MILITAIRE

Ils contrôlent les trafics transsahariens, sont financés par le business des enlèvements, mais aussi par des réseaux du Golfe qui alimentent depuis dix ans les talibans afghans et que les services américains n’ont jamais pu démanteler. Si l’aviation et les forces spéciales françaises ne soutiennent pas les troupes de la Cédéao, celles-ci seront paralysées. Or, pas moins de quatre autres facteurs inquiétants doivent tempérer notre enthousiasme.

En premier lieu, l’attitude de l’Algérie, qui a évacué sur le Sahel le problème posé par ses irréductibles. Sans une participation active de l’Algérie, notre aventure militaire au Mali ne peut se terminer que sur un enlisement. En deuxième lieu, la situation politique malienne est désastreuse. La classe politique irresponsable et corrompue se déchire. L’armée est en ruine. Le principe d’une très large autonomie de l’Azawad refusé. A quelle autorité les troupes de la Cedeao remettront-elles les territoires reconquis ?

Troisième point, le terreau social, non seulement du nord du Mali, mais de tout le nord du Sahel est lui aussi désastreux. La population y double tous les vingt-deux ans, les sécheresses ont fragilisé le milieu naturel, l’administration est absente. Ce contexte rappelle l’Afghanistan… Enfin, l’absence d’investissements dans l’agriculture et l’élevage, secteurs délaissés par une aide française qui est aux abonnés absents dans ces régions depuis plusieurs décennies, font que le seul espoir d’ascension sociale pour les jeunes réside dans les trafics et dans un djihad qui a toutes les chances de se focaliser sur l’ex-puissance coloniale. Nous risquons donc fort, comme les Américains en Afghanistan, de nous tromper de guerre et de devoir passer, en quelques années, d’une petite opération antiterroriste bien localisée à une vraie guerre de contre-insurrection.

Alors que faire ? La situation est gravissime dans le nord du Sahel. Les conséquences géopolitiques sont dramatiques non seulement pour l’Afrique de l’Ouest qui est déstabilisée, mais aussi pour la France qui abrite une importante communauté malienne. Nous payons notre impéritie, notre refus de reconnaître cette longue dégradation des conditions dans ces régions. Nous payons l’incohérence de nos choix budgétaires en matière d’aide au développement.

Que faire ? En tout cas, tenter en priorité d’obtenir un soutien ferme de l’Algérie si nous nous engageons dans cette aventure militaire. Mais aussi prévoir ce véritable « plan Marshall » pour le développement du Sahel.

Serge Michailof, professeur à Sciences Po, auteur de « Notre maison brûle au sud » (Fayard, 2010)

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Il faut assortir l’engagement militaire de réformes économiques

LE MONDE | 25.10.2012 à 14h04 • Mis à jour le 25.10.2012 à 14h27Par Roland Marchal, politologue au Centre d’études et de recherches internationales (CERI, Sciences Po)

Après des mois de tergiversations, le président François Hollande a donc décidé de soutenir une intervention militaire de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et l’Union africaine, encadrée par la résolution 2071 du Conseil de sécurité des Nations unies.

On peut saluer cette décision prise à un moment difficile où la vie d’otages français est en jeu, comme celle de Maliens otages, eux, d’un conflit qui les dépasse. Reste à dissiper les non-dits et contenir les risques de ce qui pourrait se réduire à une aventure militaire de plus sur le continent africain, même si les Africains en seront les seuls acteurs.

D’abord, la France et son allié américain doivent faire le bilan de leur incapacité à peser dans les années qui ont précédé la crise : la célébration de la trop fameuse démocratie malienne et la coopération militaire avec ce pays ont trop duré pour qu’on puisse accepter l’apparente surprise du printemps où deux tiers du pays ont été conquis sans résistance de l’armée malienne et la démocratie réduite aux acquêts par un mouvement de colère de jeunes officiers conduits par le capitaine Amadou Saya Sanogo, responsable du coup d’Etat du printemps.

Ensuite, il faudra que tous les acteurs internationaux ne cèdent pas sur les conditions politiques d’une telle intervention. La crise malienne se joue d’abord à Bamako dans la mise à l’écart de putschistes avides de tirer des avantages matériels de la confusion plutôt que de restaurer l’unité nationale.

Mais aussi dans une classe politique trop habituée à des compromis sur le dos d’une population impuissante et dénuée de canaux d’expression ; enfin, dans une corruption généralisée des institutions et de leurs cadres, qui risquent de remettre aux calendes grecques la mise en ordre de bataille d’un contingent militaire malien.

Le discours de la France et de ses alliés occidentaux et africains est bien atone sur ces questions. Un silence d’autant plus préoccupant que l’impact de cette crise se sentira à terme sur l’ensemble du pays.

La crise se joue aussi dans la région, il est clair que nombre de voisins du Mali ont des intérêts dans les trafics locaux ou dans la crise qui s’est développée depuis le putsch de 2012. Les Etats de la Cédéao, l’Algérie et la Mauritanie seront les acteurs d’une résolution ou au contraire d’un approfondissement de la crise. Leur bonne volonté ne peut se limiter à fournir des troupes (financées sans doute par l’Union européenne et les Etats-Unis) mais aussi à entamer les réformes de gouvernance et de police pour fragiliser l’économie criminelle régionale et répondre aux discours de contestation religieux. On souligne les bénéfices que retirent les organisations armées, djihadistes ou non, des trafics illégaux.

Cependant, c’est en s’attaquant aux complicités au sein des Etats de la région, vitales dans la poursuite de ces activités délictueuses, qu’on mettra un terme à cette économie de la protection. La répression seule ne résoudra rien ; au contraire, elle permettra des alliances entre populations et trafiquants. Il faut, au-delà d’une action d’urgence, s’atteler aux problèmes socio-économiques de cette zone, en pleine recomposition.

Mettre en œuvre une politique réaliste et alternative n’est pas aisé et le sera encore moins dans la dynamique d’une intervention militaire : le rôle de l’Union européenne devra être essentiel et rester en phase avec les évolutions sur le terrain sans se perdre dans sa gestion bureaucratique, la période d’urgence passée. Sur cet aspect, les erreurs au Mali et la tentative au Niger doivent fournir les matériaux d’une réflexion critique et créative dans un franc dialogue avec les sociétés civiles et les Etats de la région. Les hésitations de l’Algérie nous rappellent aussi que la confiance entre Etats de la région n’est pas aussi grande qu’on veut bien nous le dire.

Enfin, il s’agit de définir des conditions et les buts de l’action militaire. La situation sur le terrain n’invite pas à l’optimisme, au-delà des délais incertains. La plupart des responsables militaires maliens veulent reprendre le Nord et restaurer un statu quo ante qui est inacceptable. Les troupes de la Cédéao n’ont pas d’expérience de combat dans ce type d’environnement et ont quelquefois des réputations sulfureuses. Les dommages collatéraux provoqués par les forces nigérianes sont pour beaucoup dans la popularité de Boko Haram.

Ces troupes devront tisser des liens avec la population, construire la confiance et avoir une action civile : aucune armée de la région ne semble bien entraînée pour ces tâches complexes. La résolution 2071 est confuse sur les cibles de cette intervention militaire. Seule Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) est mentionnée.

Il faut espérer que la communauté internationale et l’Etat malien auront une analyse plus profonde des ancrages locaux des groupes armés et des solidarités qu’il faudra émousser pour donner une chance sinon à une victoire militaire impossible, du moins au dialogue entre un Etat malien en quête de légitimité et des populations ulcérées par l’indifférence de Bamako à leurs revendications.

Restauration militaire de l’Etat malien ou espace croissant donné à la négociation avec l’avancée de l’intervention internationale, dans tous les cas, les relations entre communautés religieuses ou ethniques et l’Etat vont connaître de profondes altérations dans les années à venir. Faute d’avoir su régler ces problèmes récurrents depuis 1991, c’est le tissu social du Mali qui va devoir se transformer au prix de nouvelles crispations.

Roland Marchal, politologue au Centre d’études et de recherches internationales (CERI, Sciences Po)

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Notre pays doit se libérer !

LE MONDE | 25.10.2012 à 14h22 • Mis à jour le 25.10.2012 à 14h28Par Amadou Haya Sanogo, président du comité militaire de suivi des réformes des forces de défense et de sécurité (Mali)

« La France ne peut être la France sans la grandeur », disait le général de Gaulle. Le Mali, qui a écrit dans le grand livre de l’histoire une des pages les plus glorieuses de l’histoire africaine, ne peut se concevoir sans grandeur et sans honneur. C’est pourquoi l’invasion de notre pays par les hordes barbares est une indignité nationale, comme l’a été pour la France le déferlement des hordes nazies sur son territoire en juin 1940. Aujourd’hui Tombouctou est « outragée », Tombouctou est « brisée » Tombouctou est « martyrisée », mais Tombouctou sera « libérée » comme Paris l’a été.

En juin 1940, le maréchal Pétain a accepté le déshonneur de la capitulation, mais de Gaulle a su dire non. Le président Amadou Toumani Touré a été pour le Mali ce que le maréchal Pétain a été pour la France en 1940 et je n’ai été pour le Mali que ce que de Gaulle a été pour la France.

La débâcle au nord du Mali n’est pas seulement une défaite de l’armée malienne mais celle du chef de l’armée Amadou Toumani Touré qui, pour des raisons de survie politique personnelle, n’a pas voulu donner les moyens à l’armée pour défendre le territoire. Le chef de l’Etat, chef de l’armée, Amadou Toumani Touré, en intelligence avec l’ennemi, a laissé les groupes armés occuper le nord du pays pour ne pas organiser des élections et invoquer l’occupation du nord pour des buts inavoués plutôt que de défendre l’intégrité du territoire national.

C’est là où sa responsabilité est encore plus lourde que celle de Pétain. Pétain a subi une occupation, Amadou Toumani Touré l’a planifiée. Après la débâcle, de Gaulle a appelé à la résistance et réorganisé l’armée, l’a réarmée moralement pour la grande bataille de la reconquête.

« La bataille de France doit avant tout être la bataille des Français », disait de Gaulle. Pour nous aussi, la bataille de Tombouctou, de Kidal et de Gao doit avant tout être la bataille de l’armée malienne. C’est pourquoi nous sommes d’accord avec la position du président François Hollande, l’armée malienne n’a besoin que de soutien logistique pour libérer le nord du pays.

L’Etat qui s’est effondré est en train d’être reconstruit, l’armée qui a été réarmée moralement est en train d’être rééquipée afin qu’elle soit à la hauteur des circonstances exceptionnelles de sa mission historique. La vie politique n’est pas une priorité pour nous. En mars 2012, nous avons cru devoir prendre nos responsabilités pour agir et aboutir à ce qu’on appelle un coup d’Etat. Il est à notre sens vertueux car nous n’avions que le seul dessein de sauver ce qui restait de la République.

GUERRE CONTRE LE TERRORISME

La sécurité est à la base du contrat social et, moralement, un gouvernement qui a failli au point de perdre les deux tiers du territoire ne pouvait plus rester en place. Par ailleurs, la bataille pour libérer le nord du Mali s’inscrit dans une guerre mondiale contre le terrorisme. Dans les années 1990, la communauté internationale avait fait preuve de cécité politique en laissant le commandant Massoud seul face aux talibans en Afghanistan. Le nord du Mali est comparable à l’Afghanistan des années 1990 quand Al-Qaida venait de s’y installer pour en faire une base mondiale pour le terrorisme.

Pour l’Occident et le monde arabe, aider le Mali à chasser Al-Qaida, c’est s’aider soi-même, car Al-Qaida au Maghreb islamique veut transformer Tombouctou en Kandahar et Gao en Kaboul. Le nord du Mali serait la base arrière d’où partiraient les terroristes pour lancer des attaques à l’étranger. Le processus a déjà commencé, nous notons la présence de plus en plus importante d’Algériens, de Pakistanais, de Soudanais et de ressortissants du Golfe. Nous demandons donc à la communauté internationale d’accorder son appui à l’armée ainsi qu’aux autorités de la transition.

Nous aspirons à un Mali démocratique, respectant ses minorités et les droits de l’homme. Dans le nouveau comité militaire de suivi des réformes des forces de défense et de sécurité, créé par une loi et rattaché au président de la République, le seul credo qui vaille est l’émergence d’une armée malienne républicaine, garante d’une démocratie exemplaire au service de la paix et de l’intégrité territoriale du Mali.

Amadou Haya Sanogo, président du comité militaire de suivi des réformes des forces de défense et de sécurité (Mali)

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Au Mali, des islamistes largement soutenus

LE MONDE | 25.10.2012 à 14h17 • Mis à jour le 25.10.2012 à 19h39Par Boubou Cissé, économiste à la Banque mondiale ; Joseph Brunet-Jailly, économiste ; Gilles Holder, anthropologue (CNRS)

En venant à Paris le 20 septembre présenter sa conviction qu’il faut « déloger les narcotrafiquants et les terroristes » de son pays, le premier ministre du Mali aura trouvé une oreille attentive en François Hollande. Un processus de légalité internationale est désormais enclenché et l’on attend que la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) donne corps à celle-ci pour enfin « chasser les bandits armés ».

Cette expression fait l’unanimité à Bamako. Tout le monde semble déterminé à chasser les « bandits armés », sans pourtant qu’aucun acte n’ait accompagné ces déclarations, jusqu’à ce que le chef de l’Etat demande, le 1er septembre, le secours de la Cédéao. Décision importante car elle internationalise le conflit.

Pourtant, cette décision est malencontreuse, comme toutes les interventions extérieures jusqu’à présent. La Cedeao a été maladroite vis-à-vis du capitaine Sanogo ; elle l’a installé durablement dans sa caserne de Kati, qui domine Bamako. La Cédéao a été mal inspirée en imposant un premier ministre inexpérimenté, dont le seul atout était d’appartenir à la famille de l’ancien dictateur Moussa Traoré et de pouvoir compter sur l’équipe de ce dernier.

La Cédéao a mal choisi le médiateur, le président Compaoré, dont la situation politique est fragile dans son propre pays, le Burkina Faso. Ce médiateur lui-même a commis de lourdes erreurs, en imposant l’un de ses conseillers comme ministre des affaires étrangères du Mali, ou en lançant des discussions avec des groupes rebelles sans y associer les autorités maliennes. Le fait que l’Union africaine apporte son soutien, que les Nations unies se disent prêtes à donnerprochainement leur feu vert à une intervention, que la France et les Etats-Unis promettent un appui logistique, tout cela ne fait que rendre plus probable une intervention vouée à l’échec, et accroître la mise sous tutelle du Mali.

Cette décision est malencontreuse également parce qu’une intervention armée classique n’obtiendra aucun résultat contre des djihadistes, salafistes et indépendantistes financés par des trafics en tout genre et se défendant sur leur propre terrain.

Il faudrait tenir compte de la détermination des « bandits armés » : qu’ils soient bien payés ou pas, qu’ils soient endoctrinés ou pas, ils sont animés par une envie de domination territoriale et d’élimination de toute influence occidentale, prêts à mourir pour la cause qu’ils servent. Il est clair qu’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ne s’est pas fixé au nord du Mali pour négocier l’application de la charia : les djihadistes se sont offert un sanctuaire d’où il sera possible d’entreprendre des actions de plus en plus loin. Les maux qui ont conduit le Mali à la ruine sont présents dans les pays voisins.

Il faudrait également envisager la complexité des alliances qui ont permis aux « bandits armés » d’occuper tout le nord du Mali. Il est sûr qu’AQMI a su tirer les marrons du feu, mais il n’est pas sûr que ceux qui ont bénéficié de son appui lui soient dévoués. Il se pourrait aussi que le soutien populaire aux islamistes soit plus profond qu’on ne l’imagine.

On crie « chassons les bandits armés » au Sud, mais on est de moins en moins prêt à vivre dans le même pays que les populations du Nord, contre lesquelles des violences ont été organisées en février. On crie « chassons les bandits armés » sans voir qu’au Nord, en dépit de ses excès destinés à terroriser la population, l’application de la charia est ressentie comme la réintroduction d’une forme de justice que l’Etat n’assurait plus. Et au Sud, on crie « chassons les bandits armés », mais on discute à Bamako même, au sein du Haut Conseil islamique, où s’est constitué un puissant parti wahhabite, des conditions raisonnables de l’application de la charia.

Ce n’est donc pas au Nord seulement que la religion a un bras politique. Au Sud, l’ismalisme peut mobiliser 50 000 personnes contre un code de la famille qu’il juge trop éloigné de la charia et prendre la tête de la commission électorale indépendante dans la foulée. Si on en est là, c’est que l’Etat s’est montré si obstinément prédateur que la population ne le supportait plus, et ceci aussi bien au Sud qu’au Nord. Si on en est là, c’est que les dirigeants politiques, tous partis confondus, depuis quarante ans, se sont réparti les prébendes au lieu de faire face aux besoins de leurs concitoyens.

L’irruption sur la scène politique d’un capitaine inconnu, auréolé du mérite d’avoir chassé un chef d’Etat dont toute la carrière avait été fondée sur le mépris des partis et des débats politiques, a paralysé la classe politique et intellectuelle malienne. A part quelques vedettes médiatiques capables de croire qu’un jeune officier serait mieux à même d’établir un régime favorable au peuple, le personnel politique a été muet pendant de longs mois. Les militaires ont d’ailleurs fait ce qu’il fallait, en allant cueillir à leur domicile certains dirigeants bien connus, pour les tabasser et les garder quelque temps dans les geôles de la caserne de Kati.

Voilà pourquoi, dans ce pays, personne ne dispose plus de la moindre autorité légitime. Au-delà des aigreurs qu’expriment la presse et certaines organisations pro-putchistes sur le fait que la Cédéao, la France, les Etats-Unis bafouent la souveraineté du Mali, il faut admettre que personne ne dispose dans ce pays d’une autorité légitime capable de prendre les décisions de stratégie militaire et politique qui s’imposent et qui se présenteront pendant toute la période de guerre. Personne, sauf peut-être les religieux.

L’urgence n’est pas dans une intervention mal préparée dans la zone conquise par les islamistes. L’urgence est dans la reconstitution au Sud d’un Etat reposant sur une légitimité populaire. Sera-t-il laïque ? Sera-t-il islamique ? Nous n’en saurons rien tant qu’un peu d’ordre n’aura pas été rétabli depuis Bamako.

Ceci suppose que les Maliens s’interrogent sur l’effondrement brutal d’un Etat que, depuis des années, savaient très faible, et qui n’est que l’ultime manifestation de la disparition d’une nation ruinée par une distribution des revenus au profit de la bourgeoisie politico-administrative et de quelques grands spéculateurs.

Rares sont les personnes disposant encore de l’autorité morale qui leur permettrait de jouer un rôle dans une conférence nationale en jetant les bases de nouvelles institutions et de règles de désignation des dirigeants. Il y en a pourtant quelques-unes, bien silencieuses. Elles devraient prendre une initiative.

Boubou Cissé, économiste à la Banque mondiale ; Joseph Brunet-Jailly, économiste ; Gilles Holder, anthropologue (CNRS)

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Au Sahel, le conflit armé n’est pas de même nature qu’en Afghanistan

LE MONDE | 17.01.2013 à 16h31 • Mis à jour le 17.01.2013 à 16h31 Par Frédéric Ramel

La prise de la ville de Konna par les mouvements armés et islamistes fut une bifurcation stratégique dans la crise qui affecte le Sahel : rapprochement de Mopti – base régionale militaire – et de Sévaré, second aéroport contrôlé par l’armée malienne après celui de la capitale.

C’est la raison pour laquelle le président par intérim Dioncounda Traoré a officiellement demandé l’aide militaire de la France pour contrer cette offensive.

1 700 MILITAIRES DONT 800 AU MALI

En répondant favorablement à cet appel par l’implication de 1 700 militaires dont 800 au Mali, le président François Hollande s’est engagé dans la première intervention militaire de son mandat.

Celle-ci a empêché le basculement de ces villes pivots au profit d’acteurs qui contrôlaient le nord du pays. Mais cette décision est surtout révélatrice de la posture stratégique adoptée par la France en Afrique subsaharienne.

Elle se caractérise par trois éléments : une utilisation des forces militaires en dernier ressort, une demande explicite des Etats africains et un respect du cadre multilatéral.

Avec l’intensification de la crise en 2012 – renversement du président, défaite de l’armée malienne -, les organisations de la région se sont mobilisées en établissant la Mission de la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest au Mali (Micema).

Dans un esprit de collaboration avec les structures régionales, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est aussi saisi de la situation en adoptant plusieurs résolutions au titre du chapitre VII de la Charte de San Francisco.

« GARANTIR LA SÉCURITÉ ET L’UNITÉ DU TERRITOIRE MALIEN »

Celle du 15 octobre 2012 (2071) rappelle son attachement au principe de souveraineté en soulignant que « c’est aux autorités maliennes qu’il incombe au premier chef de garantir la sécurité et l’unité du territoire malien ».

Celle du 21 décembre 2012 (2085) autorise le déploiement de la Mission internationale de soutien au Mali : une force de 3 000 hommes pendant un an composée de troupes africaines, disposant d’un accompagnement financier et logistique de l’Union européenne.

La résolution 2085 ne comprend pas de calendrier précis et se veut avant tout incrémentale, notamment par la formation des soldats qui rejoindront la force multinationale.

Or, la pénétration rapide des groupes armés et islamistes modifie le contexte. Ce serait un jugement hâtif que de conclure à une libération entière de l’action stratégique française à la suite des événements de Konna.

Que cette action sortirait des contraintes juridiques. L’opération de la France s’inscrit à l’intérieur d’un dispositif élaboré par les Nations unies : référence à l’article 51 ainsi qu’à une accélération de la mise en place de la résolution 2085.

De plus, la France bénéficie de l’assistance opérationnelle d’autres Etats comme la Grande-Bretagne (deux Boeing C-17 de la Royal Air Force sont destinés à la livraison de véhicules blindés) et, plus significatif encore, du soutien indirect de l’Algérie : autorisation du survol de son territoire par les avions français et fermeture de sa frontière avec le Mali.

LIENS ENTRE LE MALIEN OMAR SID’AHMED OULD HAMMA AVEC AQMI

Une telle posture présente ici des caractéristiques distinctes par rapport aux interventions emblématiques des années 2000, à savoir l’Afghanistan ou l’Irak. Si les deux opérations citées peuvent être qualifiées de conflits asymétriques, celle déclenchée au Mali relève plutôt de la catégorie des conflits dissymétriques.

Certes, les groupes touareg et islamistes bénéficient de ressources matérielles favorables comme les trafics d’armes et la vitalité des recrutements notamment, sans oublier des alliances conjoncturelles ou plus durables avec des criminels qui connaissent bien le désert et favorisent leur action – on pense aux liens entre le Malien Omar Sid’Ahmed Ould Hamma avec Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).

Mais pour l’instant, il ne s’agit pas d’une guerre d’usure dans laquelle les protagonistes évoluent « au milieu des populations » mais d’une guerre de position ou de mouvement.

LES REDÉPLOIEMENTS TACTIQUES DES GROUPES ARMÉS

La gestion des colonnes de véhicules par les groupes armés qui aspirent à pénétrer le sud du pays rend bien compte de cet aspect. Les redéploiements tactiques des groupes armés après les bombardements de Gao participent de cette tendance.

De plus, il ne s’agit pas de créer ex nihilo un nouveau régime politique. L’objectif vise à accompagner la reconstitution d’un corps politique, laquelle ne peut être envisagée et réalisée que par les populations elles-mêmes, c’est-à-dire au-delà de l’action militaire.

La problématique de l’Etat failli occulte cette dimension, car elle privilégie une approche étrangère de reconstruction d’un Etat. Or, un corps politique est animé par une sensibilité réciproque entre ses parties.

Il ne peut subsister qu’en procédant à une intégration des individus : satisfaire leurs besoins économiques et sociaux (ceux de la jeunesse) ainsi que leurs besoins symboliques de reconnaissance.

NÉ D’UNE SCISSION AVEC AQMI EN RAISON DES PRATIQUES RACISTES

Soulignons qu’une distinction majeure doit être effectuée entre les Touareg (Mouvement national de libération de l’Azawad MNLA, Ansar Eddine) et les autres acteurs comme AQMI et le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), né d’une scission avec AQMI en raison des pratiques racistes de la majorité arabe en son sein.

Les premiers se situent dans un espace de revendications ethniques ou nationales : accès à l’indépendance d’une région du Mali (MNLA) ou constitution d’un Etat islamique (Ansar Eddine).

Les seconds ont des ambitions transnationales à travers, notamment, l’élaboration d’un califat de la Mauritanie à la Somalie. Autrement dit, l’intervention militaire n’est qu’un élément au sein d’une stratégie générale, pour reprendre l’expression du général Lucien Poirier, mort le 13 janvier.

Frédéric Ramel, professeur des universités en science politique, Sciences Po Paris

Frédéric Ramel

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Les Maliens ont cru à la fin de leur pays

LE MONDE | 17.01.2013 à 16h22Par Boubacar S. Traoré, fondateur et directeur du groupe Afriglob Conseil

L’intervention française a permis de mettr

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