Festival Aguimes (Gran Canarias)
20 juillet 2012
Introduction au Débat sur l’actualité de Frantz Fanon
Omar Benderra – Fondation Frantz Fanon
Ce texte est une version légèrement modifiée d’une intervention sur le même thème lu à la Casa Arabe à Madrid en Marss 2012
Le 6 décembre 1961, il y a un peu plus de cinquante ans, Frantz Fanon était emporté par une leucémie à l’hôpital Bethesda de Washington. Au cours de sa brève existence, ce combattant de la liberté, né en Martinique et enterré en Algérie, a produit une œuvre fondatrice pour la compréhension du phénomène colonial et du racisme. Son analyse de l’aliénation et des mécanismes de domination idéologique reste d’une vibrante actualité dans un contexte de crise générale du capitalisme et d’aggravation des luttes politiques sur toute la planète. De crise bancaire en crise de l’endettement des Etats, la concentration de la richesse et l’élargissement de la pauvreté sont l’évidence de la mondialisation libérale. Ici aux Canaries on le distingue peut-être mieux qu’ailleurs, les indépendances africaines n’ont pas fondamentalement modifié la réalité d’un rapport hégémonique où l’exploitation des ressources s’accompagne d’un discours d’exclusion et de dévalorisation des peuples du sud.
Ce discours s’est libéré en Europe ou le populisme démagogique mêlant xénophobie et autoritarisme prend racine et libère une parole contrainte depuis la chute du nazisme. Les formes ont certes évolué, l’histoire ne se répète pas, mais l’islamophobie et la négrophobie occupent une place considérable dans le discours politique occultant opportunément la crise, dont les origines et les conséquences passent au second plan. Les propagandistes médiatiques s’emploient à le démentir mais, comme le notait Berthold Brecht « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde. »
Mais à la lumière des guerres impériales et de la détérioration de la situation économique globale, le racisme n’est qu’un élément dans le dispositif plus vaste de domination du libéralisme mondialisé. C’est exactement l’observation de Fanon dans Pour la révolution africaine, Fanon considérait du racisme qui « n’est qu’un élément d’un plus vaste ensemble : celui de l’oppression systématisée d’un peuple ». L’ethnicisation des conflits sociaux et les justifications culturelles de l’exclusion des plus pauvres et des plus vulnérables sont les axes de propagande et de diversion martelés par les relais médiatiques et intellectuels de l’ordre dominant. Les nouveaux avatars de la « mission civilisatrice » se nomment « ingérence humanitaire » et « droit de protéger ». La volonté de protéger ceux qui portent la responsabilité de la crise est le prétexte à toutes les manœuvres de diversion et de stigmatisation. La mise à l’index des catégories de citoyens issus de l’immigration ou de la diversité ainsi que la diabolisation de l’Islam, au prétexte de la lutte légitime contre le terrorisme, est le pendant de la stratégie globale de déploiement impérial. La mécanique néocoloniale hier déployée outre-mer est aujourd’hui pleinement rapatriée sur le territoire premier de l’expansion coloniale. La déconstruction de ce discours et l’appréhension de ses impacts, tant au plan individuel qu’à celui des luttes politique pour l’égalité de droits et le droit inaliénable des peuples à disposer d’eux-mêmes, à disposer de leurs ressources naturelles et à choisir librement de leur système politique est au cœur de la pensée de Frantz Fanon. De Peau noire, masque blanc aux Damnés de la terre, Frantz Fanon, penseur et homme d’action n’a cessé de décrypter les formes et les conséquences des structures idéologiques d’asservissement et d’assujettissement du colonialisme. Sa participation active aux luttes de libération nationale et sa réflexion se sont frayés un chemin jusqu’à nous. Il a su formuler les aspirations profondes du combat des peuples du tiers-monde qui se sont dressées contre un système capitaliste colonisateur, tout en faisant vivre un marxisme vivant, chaud et ouvert, s’affranchissant ainsi de ses avatars caricaturaux, glacés et bureaucratiques. Ce souffle lui a survécu au-delà des générations. L’analyse des pathologies sociales et politiques du racisme par Fanon est d’une étonnante actualité ; l’analyse politique, psychologique et sociale dépasse le contexte dans lequel elle a été élaborée, conservant une fraîcheur et une pertinence étonnantes. Ni apologie de la violence ni appel à la vengeance, la pensée de Fanon est l’exaltation de la liberté et de l’universalité des luttes pour la justice. L’apport de Fanon est donc très précieux pour comprendre les enjeux actuels du combat contre les aliénations et pour les libertés.