Antisémitisme et Antisionisme : une mise au point

« C’est par un effort de reprise sur soi et de dépouillement, c’est par une tension permanente de leur liberté que les hommes peuvent créer les conditions d’existence idéales d’un monde humain » (En guise de conclusion, Peau noire, masques blancs, Éditions du Seuil, 1952).

Au moment des attentats, il fallait impérativement s’avouer « Charlie » au risque de subir l’opprobre de la République et d’être rejeté dans le camp des terroristes ou de leurs soutiens. Silence valait aveu. 

L’Etat n’a trouvé que la mise en place de l’état d’urgence pour répondre à des actes extrémistes dont les ressorts sont à identifier aussi bien dans les politiques sociales, culturelles et économiques que dans les prises de position de la France dans des conflits internationaux ; pour certains d’entre eux, elle intervient dans le cadre d’OPEX (opérations extérieures). 

À l’heure des mobilisations des gilets jaunes dont les contours sont toujours protéiformes mais les revendications très claires, il faut quand même bien dénoncer qu’ils sont, à l’heure actuelle, responsables de toutes les dérives au sein du mouvement mais aussi de toute autre nature. Ainsi après l’agression verbale dont a été victime Alain Finkielkraut,  les Gilets jaunes, par un effet de sur-généralisation, dû essentiellement aux media mainstream et aux politiques, en particulier ceux membres du gouvernement et de la majorité, sont déclarés « antisémites ». Une façon de mettre en arrière plan, la légitimité de leurs revendications et leur refus de voir une de leurs demandes, un débat national sur les points qui leur sont essentiels, instrumentalisée par un président de la République qui, décidément, ne comprend ni le peuple ni ce qu’il est. 

Il ne suffit pas de se mettre en vedette pendant des heures, manches retroussées, à animer des débats et à répondre comme s’il avait réponse à tout, ou pendant 14 heures au salon de l’agriculture ou de laisser fuiter une photo « privée » qui le montre agenouillé et parlant vers un SDF pour appréhender la vie de ceux que la partie dominante de la société française a mis des siècles à maintenir hors de ses yeux, en construisant des lois iniques, des inégalités structurelles fondées sur un racisme structurel. 

Il ne s’agit ni de course d’endurance ni de multiplier les images qui le rendraient plus « humain » et plus sympathique. Il s’agit de la vie de ceux qui sont institutionnellement rendus invisibles, de ceux qui sont victimes du racisme d’Etat, de ceux qui sont envoyés à la périphérie des villes ; la liste serait longue…tout comme celle des reproches qu’on leur renvoie. Il faut, en tout cas, remarquer que plus aucun politique ne s’interdit de tenir des propos xénophobes, racialisants et excluant. Il s’agit de changer substantiellement la vie des Non-Êtres afin que la ligne de rupture établie par ceux qui sont du côté des Êtres soit déconstruite. 

À propos de ligne, celle de l’antisémitisme décidée par les dominants ne peut être franchie, dominants rongés par la culpabilité d’avoir aidé, assisté passivement au deuxième plus grand massacre de l’humanité. Le premier étant celui de la traite transatlantique négrière, la mise en esclavage et l’extermination des peuples indigènes, il s’est poursuivi avec les crimes commis au nom de la colonisation, dont on ose encore, dans une école de Nantes[1], vanter les « bienfaits ». Notons que pour ce premier crime, la ligne est franchie là où s’exprime la violence d’Etat qui est par ailleurs totalement banalisée. 

Depuis ces propos visant Alain Finkielkraut, la personne qui les a proférés a été arrêtée, identifiée comme un « radicalisé » ; la justice a-t-elle interrogé le même Finkielkraut, lorsqu’interviewé par le journal Haaretz, il s’en prend vivement aux « noirs », aux « arabes » et à l’Islam en tenant des propos jugés par les journalistes « pour le moins surprenants », dignes « d’un dirigeant d’extrême droite [2]» ?

A-t-il été entendu par la police pour négationnisme, alors que lors de la même interview, il affirmait que « ce pays (la France) mérite notre haine: ce qu’il a fait à mes parents était beaucoup plus violent que ce qu’il a fait aux Africains. Qu’a-t-il fait aux Africains ? Il ne lui a fait que du bien[3] ».  Cet homme, avec de tels propos, peut-il comme académicien représenter la pensée française ? 

Passons sur ses autres dérapages et revenons plutôt à l’injonction faite à tout un chacun de se déclarer « contre l’antisémitisme » ; et comme la manipulation des esprits est le jeu favori des dominants avec l’aide de certains media, il fallait aussi tordre le cou à l’antisionisme qui est, comme l’a déclamé notre théâtral président de la République, lors du 75e anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv,  « une des formes modernes de l’antisémitisme[4] », propos réitérés au dîner du CRIF[5].

Affirmant ceci, notre président montre son absence d’analyse historique et politique. Je ne me lancerais pas dans la différence entre antisémitisme, tout aussi inadmissible et détestable que les autres variations du racisme, et antisionisme qui « est une opinion, un courant de pensée né parmi les juifs européens au moment où le nationalisme juif prenait son essor. Il s’oppose à l’idéologie sioniste qui préconisait (et préconise toujours) l’installation des juifs du monde en Palestine, aujourd’hui Israël »[6]. Il est navrant de constater que l’Union européenne a endossé, en décembre dernier, la définition de l’antisémitisme, incluant l’antisionisme, adoptée par l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah. 

La France s’apprête à faire de même. C’est vraiment le délitement de la pensée et de l’esprit critique mais surtout c’est s’inféoder à une alliance qui n’est en rien une institution internationale. Il est préoccupant de constater que la France, malgré les nombreuses demandes du Conseil des droits de l’homme, entre autres lors de son passage pendant l’examen périodique universel –EPU-, refuse de répondre aux recommandations qui lui sont faites, dont celles de procéder à des statistiques ethniques dans l’objectif de mieux identifier les différentes formes de racisme dont sont victimes nombre de personnes, mais elle accepte, sans aucune analyse critique, de mettre en place une définition qui n’est pas une définition, juste un acte autoritaire portant sur des enjeux dont dépendent le droit inaliénable et les droits fondamentaux des Palestiniens tels qu’ils sont présentés dans « la Déclaration des Droits de l’Homme cette grammaire commune des nations dont nous venons de célébrer le 70ème anniversaire[7] ». Dès lors, en annonçant une telle décision pour montrer patte blanche à un gouvernement commettant des crimes de guerre, la France participe à la déstructuration et à la délégitimation du droit international. Prendre une telle décision entraîne un peu plus le monde vers l’inhumanité de l’humain. 

Engageons nous à nous déclarer antisionistes et à continuer à soutenir la campagne BDS, mais refusons tout propos antisémite. Demandons au président de la République et à son gouvernement, de respecter l’article 4 de Constitution de la République qui stipule que « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions ». Il faut raison garder et ne pas se tromper de combat surtout lorsque le pays a signé des instruments internationaux qui forcent à respecter quelques obligations internationales lorsque des peuples sont victimes d’actes internationalement illicites. 

 

Paris, le 3 mars 2019

Mireille Fanon Mendes France

Fondation Frantz Fanon


[1] https://www.parismatch.com/Actu/Societe/Nantes-un-exercice-sur-les-bienfaits-de-la-colonisation-en-CM2-cree-le-malaise-1609831

[2] Cité par l’Obs : https://www.nouvelobs.com/societe/20051123.OBS6303/finkielkraut-les-noirs-et-les-arabes.html

[3] Voir note 2

[4] http://www.crif.org/fr/actualites/diner-du-crif-le-discours-du-president-emmanuel-macron-au-34eme-diner-du-crif

[5] http://www.crif.org/fr/actualites/diner-du-crif-le-discours-du-president-emmanuel-macron-au-34eme-diner-du-crif

[6] Tribune parue dans Libération, le 28 février 2019 signée par 400 universitaires et personnalités signataires de ce texte, l’antisionisme est une pensée légitime contre la logique colonisatrice pratiquée par Israël. Le fait qu’il serve d’alibi aux antisémites ne justifie pas son interdiction.

[7] Propos tenus par Emmanuel Macron au dîner du CRIF, http://www.crif.org/fr/actualites/diner-du-crif-le-discours-du-president-emmanuel-macron-au-34eme-diner-du-crif