Par Pierre Didier
Il existe une communauté d’expérience en terme de vécu du racisme et de l’anticolonialisme et d’aspirations à la liberté, à la dignité entre nos illustres personnalités africaines, leur descendance et nous, qui, pour la plupart, sommes issus de l’immigration africaine (nord et sud), en lutte, dans nos sociétés occidentale pour l’égalité de traitement.
Ces hérauts de l’anticolonialisme sont autant des acteurs et témoins de la complexité du processus d’émancipation que de désaliénation. Figures majeures de la vie intellectuelle et politique du 20è siècle, ils ont atteint une dimension universelle qui aujourd’hui nous donne la mesure et l’intelligence des attentes et des enjeux de l’ère post colonial.
A partir de notre contexte, il peut être intéressant de voir les enseignements et les perspectives qui peuvent en découler.
Notre pays est marqué depuis plusieurs années par des tensions extrêmes autour de la figure de l’immigré (au sens propre et au sens d’assimilé au français d’origine africaine du nord et sud) pensé et projeté comme un « danger ». Depuis les années 80, les quartiers populaires sont criminalisés, les « chibanis » sont exclus des droits les plus élémentaires, l’histoire et la mémoire des luttes de nos parents sont disqualifiés et niés , qu’il s’agisse des luttes du mouvement des travailleurs arabes(MTA) ou de la fédération des étudiants d’Afrique noire(FEAN),des combats pour la dignité dans les foyers sonacotra, des participations aux événements de mai 68 ou des revendications issues des révoltes populaires. Sans parler de la diabolisation des musulmans.
Ces tensions se cristallisent autour de l’identité française, en vérité constituée de différentes origines (à travers les couches successives de l’immigration pour des motifs économique, démographique ou liés aux guerres de 1870,14-18,39-45).
On est dans un système de discrimination qui s’attaque aux habitants des quartiers populaires : blancs pauvres, arabes, noirs, musulmans. Il veut créer une classe de citoyens à part sur des bases nationalistes. Ces derniers ont toujours imaginé une seule identité : blanche, catholique, masculine avec une vision guerrière et virile (cf. Maurras, Gobineau).
Ce nationalisme n’était plus populaire après la 2è guerre mondiale à cause de la shoah et la collaboration avec l’Allemagne. Aujourd’hui, il revient en force sous le masque de l’islamophobie. C’est le rejet de la différence sans limite, y compris en Europe (cf. le nombre de gouvernements en alliance avec les nationalistes).
En France, c’est la création d’un ministère de « l’immigration et de l’identité nationale » qui vient alimenter cette logique. D’un côté, il y a les immigrés et assimilés (les français d’origine d’Afrique du nord et sud) et de l’autre l’identité nationale, comme si les deux ne pouvaient être liés. C’est la théorie de l’ennemi de l’intérieur. C’est-à-dire l’arabo musulman, le noir musulman qui veut envahir la France avec sa religion. La figure de l’immigré cristallise tout cela. Il est différent, n’a pas le même faciès, est de religion différente, vit des aides sociales, au crochet de la société, est délinquant, rempli les prisons, occupe les logements, est responsable du chômage, demeure polygame et émeutiers…
Par ailleurs, ils instrumentalisent la laïcité contre nous en nous présentant comme dogmatiques, obscurantistes, dangereux alors que l’esprit des « pères de la loi de 1905 » promeut une laïcité inclusive qui n’exclut pas telle ou telle population, qui permet le dialogue public et le rôle positif des communautés dans la richesse du lien social. Une société diverse dans l’unicité républicaine.
Il nous faut sortir de la confusion entre laïcité et sentiment anti religieux. La République doit protéger et faire dialoguer ses citoyens. Sortir de la confusion, c’est identifier clairement la figure de l’anti-clérical qui n’est pas raciste mais se trouve du côté des révolutions contre le pouvoir de l’église, du laïcard type qui a détourné ce concept pour en faire une religion. Fanatique, il existe dans tous les milieux, de droite comme de gauche, il pense que la civilisation est de son côté, que le musulman est un barbare, un arriéré, un inculte, que sa religion n’est pas adaptable à la France. Qu’elle est source de terrorisme et de perversion. Dans les années 30, c’était le juif…
Comment être citoyen athée, agnostique ou croyant, comment être musulman et vivre dans la quiétude en étant sans arrêt attaqué et agressé par des forces se drapant de la vertu laïc ? Alors que les vraies questions sont celles des inégalités sociales, économiques, les vrais problèmes sont ceux du partage des richesses rendu impossible par un système capitaliste qui met en concurrence tous contre tous. Nos quartiers symbolisent cette crise, ils flambent régulièrement. Les souffrances et les injustices s’y accumulent. Il y a des révoltes mais elles n’apportent pas de changement fondamental, en dehors d’être un terrain d’expérimentation pour les forces de l’ordre afin d’élaborer de nouvelles stratégies de guérilla urbaine.
Plus qu’un droit à la rébellion, la lutte s’impose à nous comme un devoir. Steve Biko, Malcom X et Franz Fanon mettent en évidence que la discrimination, le racisme amènent le complexe d’infériorité, la haine de soi, le sentiment de ne jamais être l’égal de l’autre. C’est le processus de destruction du colonisé que décrit Fanon dans ses ouvrages. Les luttes sont légitimes et nécessaires pour s’en libérer, pas seulement pour les citoyens stigmatisés des quartiers, mais de manière universelle pour toute l’humanité. De cette réalité, deux éléments irréversibles et fondamentaux peuvent être identifiés comme structurant nos luttes d’aujourd’hui. Nous nous pensons comme des acteurs politiques dans un monde occidental où nous sommes nés et qui est le nôtre, tout en étant fiers de nos origines et en rupture avec le complexe d’infériorité intériorisé depuis plusieurs générations. Nous ne sommes plus des minorités. Conscients de rompre avec l’assignation identitaire imposée par l’Etat, conscients de sortir de la fragmentation, la parcellisation, la balkanisation des luttes dans l’espace public, nous voyons s’agréger autour de nous (et non plus nous autour des autres) une démarche universelle (non plus communautaire) des forces sociales et politiques pour explorer de nouvelles dimensions du vivre ensemble. Une de ces traductions est la construction d’un mouvement politique autonome, le FCP : Force Citoyenne Populaire. Que voulons-nous ? Nous ne voulons plus de notre société qu’elle gère à sa marge des millions de nos concitoyens au confins de la république avec des moyens de gestion et de coercition inédits, en fonction de leur confession, patronymes, origines. Nous voulons organiser l’unification des opprimés dans un contexte post-industriel et post-colonial. Nous voulons réunir les moyens idéologiques, matériels pour que les résistances populaires dispersées et isolées augmentent en puissance de mobilisation pour traduire un rapport de force en faveur d’un système de coopération et non plus de domination. Nous voulons construire des projets sociaux, culturels et économiques s’adossant à l’éducation populaire pour pérenniser l’engagement politique et le stabiliser. Si nous sommes parvenus à théoriser nos aliénations, nos souffrances et les injustices, c’est dans l’espoir que nous parviendrons, avec le FCP, à dépasser la continuité coloniale.