Tribunal permanent des peuples sur l’industrie minière – Audience sur l’Amérique latine

La Fondation Frantz fanon a participé au Tribunal permanent des peuples sur l’industrie minière canadienne du 29 mai au 1er juin, 2014 à Montréal, Canada

Le Canada est l’acteur étatique le plus important dans le secteur minier mondial. Sa législation, sa réglementation et l’ensemble de sa gestion gouvernementale favorisent le déploiement de l’industrie minière. D’abord au Canada, mais également au niveau international. Les témoignages entendus par le Tribunal permanent des peuples lors de la journée d’audience sur le rôle et l’imputabilité du Canada font état d’un soutien significatif, quasi-inconditionnel, du gouvernement du Canada aux entreprises minières canadiennes opérant en Amérique latine.

Des sessions antérieures du TPP ont mis en lumière une contradiction fondamentale de la mondialisation néolibérale : alors que celle-ci s’appuie sur le paradigme du libre-échange comme moteur du développement économique, son déploiement est rendu possible à travers une intervention publique soutenue. Ceci est particulièrement flagrant dans le cas de l’industrie minière, qui bénéficie d’arrangements institutionnels mis en place à la fois par les États hôtes, les États d’origine et les institutions financières internationales.

membres du jury : 
Maude Barlow ; Conseil des Canadiens
Mireille Fanon-Mendès-France ; Fondation Frantz Fanon, France
Nicole Kirouac ; Comité de vigilance de Malartic, Québec
Gérald Larose ; Université du Québec à Montréal
Viviane Michel ; Femmes autochtones du Québec
Javier Mujica Petit ; Centro de Políticas Públicas y Derechos Humanos, Pérou
Antoni Pigrau Solé ; Universitat Rovira i Virgili, Espagne
Gianni Tognoni ; Tribunal permanent des peuples, Italie

Chaque juge devait étudier plus précisément certains aspects. Le texte ci-dessous présente les violations de la norme impérative concernant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le droit de disposer des ressources naturelles ainsi que le droit à consultation et au consentement de bonne foi tel que précisé dans la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail

L’ensemble des analyses sera fournie ultérieurement
http://www.tppcanada.org/


Les droits à l’autodétermination, aux ressources naturelles – Les droits à consultation et à consentement

Mireille Fanon-Mendes France
Fondation Frantz Fanon

Dans le § 3 du préambule de la Déclaration universelle des droits de l’Homme il est précisé qu’il est essentiel que « les droits humains soient protégés par un régime de droit pour que les individus ne soient pas contraints, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression ».

1. Les témoignages entendus par les membres du Tribunal permanent des peuples portent d’une part, sur les opérations d’exploration et de construction de la mine Pascua Lama de l’entreprise canadienne Barrick Gold [1] et de sa filiale Nevada SpA qui, depuis l’acquisition de la concession en 1994, ont des impacts irréversibles sur l’environnement, les ressources hydriques et naturelles de la vallée du Huasco, au Chili.

2. Le témoin, Sergio Campusano, depuis 2004, président de la communauté autochtone Diaguita Huascoaltinos, a expliqué, images satellites à l’appui [2], que les dégâts dus aux poussières qui se déposent sur les glaciers après les forages et les dynamitages contaminent les eaux et les sols et que depuis l’installation de cette entreprise extractive la superficie des glaciers s’est réduite de manière substantielle, affectant l’alimentation en eau des activités agricoles –ce qui porte préjudice à la sécurité alimentaire de cette communauté-, de l’élevage et de l’utilisation domestique de l’ensemble des communautés de la vallée du Huascoa. Cette communauté est mobilisée contre ce projet depuis le début des années 1990.

3. Depuis le début de l’exploitation de la mine, des décisions ont été prises, sans le consentement des populations de la vallée du Huasco et sans la consultation de la communauté autochtone, Diaguita Huascoaltina, dont le territoire ancestral se trouve affecté et partiellement occupé par la mine de Pascua Lama. Les faits en cause constituent une violation du droit à l’autodétermination et du droit au consentement libre, préalable et éclairé des Diaguita Huascoaltinos.

4. Et d’autre part, sur celles de l’entreprise Tahoe Resources et sa filiale Minera San Rafael S.A. qui ont initié les opérations du projet minier Escobal, au Guatemala, en dépit de l’opposition des communautés des départements de Santa Rosa et de Jalapa exprimée lors de cinq consultations municipales et de neuf assemblées communautaires. Il a été précisé que la mine opère aussi en l’absence du consentement du peuple Xinca dont des communautés vivent près de la mine et sont affectées par son exploitation.

5. Le témoin, Erik Castillo, agriculteur et membre actif du Comité pour la défense de la vie et la paix, a exposé les dégâts causés par l’exploitation de cette mine dont les conditions d’opération sont marquées d’irrégularités. A la suite d’un dépôt de plainte introduit par la communauté, le permis d’exploitation a été suspendu par la Cour d’appel du Guatemala en juillet 2013, mais la mine est toujours en activité.

6. Ces faits touchent principalement le droit à l’autodétermination des populations affectées par l’exploitation de mines et constituent une violation de ce droit à l’autodétermination ; ils portent atteinte à leurs territoires en affectant leurs ressources naturelles, ce qui n’est pas sans conséquence quant à l’exercice de leurs activités économiques traditionnelles, de leurs coutumes et modes de vie et de leur droit à une vie saine.

Lors de cette audience sur les violations des droits et les impacts socio-environnementaux des activités minières canadiennes en Amérique latine, les membres du Tribunal permanent des peuples ont identifié un cadre de référence dans lequel s’inscrivent les droits qui ont été spécifiquement violés. Entre autres, le Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le droit à la terre, aux territoires et aux ressources, mais aussi celui à la participation, à la consultation, le droit au consentement préalable, libre et éclairé, le droit à la non-discrimination et les droits économiques, sociaux et culturels.

Droit à disposer d’eux-mêmes

7. Le droit des peupIes à disposer d’eux-mêmes est une règle de droit international largement reconnue ; elle autorise les peuples à disposer d’eux-mêmes ce qui a une incidence directe sur le droit à disposer de leurs ressources naturelles. Ce droit, pensé pour donner aux peuples sous domination coloniale l’indépendance, est consacré par la Charte des Nations Unies et proclamé par l’ONU comme étant le droit [3] de tout peuple à se soustraire à la domination coloniale [4]. Ce droit est mentionné dans plusieurs instruments internationaux, entre autres dans la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples colonisés [5] précisant que tous les peuples ont le droit à l’autodétermination car les « soumettre à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangère constitue un déni des droits fondamentaux de l’homme et est contraire à la Charte des Nations unies ».

8. Dans les deux Pactes internationaux de 1966 dont le premier article [6]commun précise qu’« aucun peuple ne pourra être privé de ses moyens de subsistance et devra disposer librement de ses richesses, de ses ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l’intérêt mutuel, et du droit international ».

9. On peut dire qu’il [7] est avant tout la garantie d’une société pluraliste et démocratique, selon la formulation contenue dans la revendication en faveur d’un nouvel ordre économique international de 1974 [8].

10. Avec la résolution 2588 B (XXIV) du 15 décembre 1969 et la résolution VIII adoptée par la Conférence internationale des droits de l’homme, tenue à Téhéran en 1968, il est réitéré le besoin de « (…) continuer à chercher les moyens d’assurer le respect international du droit des peuples à l’autodétermination » et l’affirmation « que l’acquisition et la conservation d’un territoire contrairement au droit à l’autodétermination du peuple de ce territoire est inadmissible et constitue une violation flagrante de la Charte ».

11. Avec la Résolution 2649 [9], l’Assemblée générale de l’ONU a réitéré ses préoccupations face au fait que « de nombreux peuples se voient encore refuser le droit à l’autodétermination et sont encore assujettis à une domination coloniale (…) » et constate « que les obligations assumées par les États en vertu de la Charte des Nations Unies et les décisions adoptées par les organes de l’Organisation des Nations Unies ne se sont pas révélées suffisantes pour assurer dans tous les cas le respect du droit des peuples à l’autodétermination ».

12. Ainsi que cela est déjà dit dans la Charte des Nations Unies [10] le droit au développement [11] ne pourra être garanti que s’il est admis que la paix et la sécurité sont des éléments essentiels pour sa réalisation. Selon ce principe, rien ne s’oppose au respect des droits fondamentaux.

13. Il faut aussi mentionner la Déclaration sur le droit au développement [12]qui établit des liens très clairs entre le droit à l’autodétermination des peuples et leur droit à disposer librement de leurs ressources naturelles. Sans oublier la Déclaration et le Programme d’action de Vienne [13] qui réaffirme l’universalité des droits et précise que « tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel [14] ».

14. Dans le cas des entreprises minières canadiennes s’installant dans les pays hôtes –Chili, Guatemala mais aussi Equateur, Mexique et Honduras-, le développement s’organise de manière unilatérale et au profit exclusif des entreprises extractrices. Toute tentative des peuples autochtones de développer leur économie se solde par une destruction systématique de ce secteur afin de garantir à l’exploitation minière une totale liberté sur l’espace qu’elle tente de s’approprier ou qu’elle s’est déjà approprié.

15. Au regard des activités de ces entreprises, ce droit au développement, exprimé sous le droit de pouvoir disposer librement des ressources naturelles, est violé de manière continue. Au vu des différentes Déclarations et Pactes et en vertu de la Déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones [15], la communauté autochtone Diaguita Huascoaltina et le peuple Xinca qui ont droit à l’autodétermination et à l’ensemble de leurs ressources naturelles, sont privés de leurs moyens de subsistance et de ce fait particulièrement discriminés. Alors qu’au Chili, par exemple, lors du premier Examen périodique universel, certains Etats -membres du Conseil des droits de l’homme- avaient fait des recommandations, entre autres pour la protection des groupes vulnérables [16]. Il a été demandé à cet Etat de « prendre les mesures nécessaires pour protéger les groupes vulnérables, ainsi des femmes, des enfants et de toute autre minorité dont les droits pouvaient être violés ». Entre le premier et le second EPU, il n’y a eu aucun changement au sujet des violations discriminant les peuples autochtones.

16. En ce qui concerne plus spécifiquement les ressources naturelles, les membres du Tribunal permanent des peuples se sont référé à la Résolution 1803 –XVII- de l’Assemblée générale [17] portant sur la « Souveraineté permanente sur les ressources naturelles » qui souligne l’importance qu’il y a pour les peuples de pouvoir exercer ce droit « dans l’intérêt du développement national et du bien-être de la population de l’Etat intéressé ».

17. Pour éviter toute ambiguïté à propos de la notion de peuple et d’Etat, les membres du Tribunal permanent des peuples ont souligné que le concept de « nation » est souvent employé en lieu et place de celui de « peuple [18] » ; or, aussi bien la Charte des Nations unies [19] que les deux Pactes internationaux de 1966 [20] mentionnent et insistent sur la notion de « peuple ». Les membres du Tribunal permanent des peuples se sont référé au travail d’Aureliu Cristescu, ancien rapporteur spécial du droit des minorités [21], qui suggère de retenir deux éléments pour définir ce qu’est un peuple « (…) une entité société possédant une évidente identité et ayant des caractéristiques propres ; cela implique une relation avec un territoire, même si le peuple en question en avait été injustement expulsé et artificiellement remplacé par une autre population [22] ».

18. Dans cette acception, la communauté autochtone Diaguita Huascoaltina et le peuple Xinca sont bien des peuples qui devraient se voir appliquer le droit à l’autodétermination et de facto à l’ensemble de leurs ressources naturelles, ainsi d’ailleurs que cela a été confirmé dans la Déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones [23].

19. Il faut rappeler que si le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est cadré par les deux Pactes internationaux de 1966 il l’est aussi par la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats et conformément à la Charte des Nations Unies. Ces éléments obligent les Etats à respecter le droit à l’autodétermination en conformité avec la Charte des Nations Unies et à favoriser la réalisation du droit des peuples à l’autodétermination. Au vu des témoignages et des rapports, cela ne concerne pas ces deux communautés.

Droit aux ressources naturelles

20. L’Assemblée générale de l’ONU, dans sa Résolution 1803 [24] –XVII- sur la « Souveraineté permanente sur les ressources naturelles », a proclamé certaines obligations découlant de cette souveraineté et « l’importance qu’il y a pour les peuples de pouvoir exercer ce droit dans l’intérêt du développement national et du bien-être de la population de l’Etat intéressé ». Concernant la prospection, la mise en valeur et la disposition de ces ressources, l’entreprise Barrick Gold et la Tahoe Resources et sa filiale Minera San Rafael S.A auraient dû vérifier que ces dispositions « étaient conformes aux règles et conditions que les peuples et nations considèrent en toute liberté comme nécessaires ou souhaitables pour ce qui est d’autoriser, de limiter ou d’interdire ces activités ».

21. Pour l’entreprise Tahoe Resources, cela n’a pas été le cas ; grâce à l’appui du gouvernement du Guatemala qui n’a organisé aucune consultation sur les points précisés dans la Résolution déjà mentionnée, cette entreprise s’est vu octroyer les permis d’exploitation, alors que neuf consultations communautaires et cinq autres municipales [25] ont eu lieu dans les départements de Jalapa et de Santa Rosa ; considérées comme des « consultas de buena fe », elles ont massivement rejeté le projet minier. Ainsi, dans la municipalité de La Villa de Mataquescuintla [26], après un référendum municipal en novembre 2012, plus de 10 000 personnes se sont prononcées contre le projet minier et 100 personnes en sa faveur. Dans celle de Jalapa [27], 98,3 % des 23 000 personnes ayant participé au référendum de novembre 2013 se sont prononcées contre la mine Escobal.

22. A la suite de ce forcing, les communautés ont déposé plainte. Les différentes plaintes ont été traitées en une seule fois par le ministère des Mines et de l’Énergie et rejetées en bloc le 3 avril 2013. Ce même jour, Tahoe Resources s’est vu octroyer le permis d’exploitation. Suite à des démarches judiciaires portant sur le rejet de ces plaintes, en juillet 2013, un ordre de suspension du projet a été décrété par la Cour d’appel du Guatemala, enjoignant le gouvernement de donner un suivi adéquat aux plaintes. Mais aussi bien le gouvernement que l’entreprise Tahoe Resources ont fait appel de la décision. En janvier 2014, Tahoe annonçait le début des opérations d’extraction, alors que la Cour suprême n’avait pas encore rendu sa décision finale.

23. Bien conscientes que « les capitaux importés et les revenus qui en proviendraient ne seraient pas régis par (…)la loi nationale en vigueur et par le droit international » et que « les bénéfices obtenus ne seraient pas répartis dans la proportion librement convenue, dans chaque cas, entre les investisseurs et l’Etat où ils investissent, étant entendu qu’on veillera à ne pas restreindre, pour un motif quelconque, le droit de souveraineté dudit Etat sur ses richesses et ses ressources naturelles [28] » ; les communautés du Chili et du Guatemala, avant que ne soit octroyé le permis d’exploitation, plus de 200 personnes ont déposé des plaintes.

24. En ce qui concerne le Chili, l’organisation autochtone, Comunidad Agricola Diaguita de los Huascoaltinos, dont le territoire ancestral [29] a déposé plainte contre l’État chilien en 2007 auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme pour contester l’incurie de la justice chilienne et pour dénoncer la violation par l’État de divers articles de la Convention américaine des droits de l’homme, dont les articles 21 sur le droit à la propriété privée, 8 sur les garanties judiciaires et 25 sur la protection judiciaire. La Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme a reconnu [30], en 2009, le déni de justice imposé à la communauté Diaguitas Huascoaltinos.

25. Le droit au recours effectif n’a pas été respecté, pourtant la Déclaration universelle des droits de l’Homme [31], en son article 8, précise que « toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes de violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi ».

26. Cette volonté contenue dans la DUDH doit être pondérée par le fait que depuis plus de trente ans le pouvoir des entreprises transnationales s’est accru et force est de constater que les mécanismes devant permettre de rendre celles-ci comptables des violations qu’elles commettent n’ont pas été ajustés en conséquence. Cela se solde pour les victimes par un déni de justice.

27. Force est de constater que dans les deux cas du Chili et du Guatemala, la justice a été incapable de prouver que « la nationalisation, l’expropriation ou la réquisition était fondée sur des raisons ou des motifs d’utilité publique, de sécurité ou d’intérêt national, reconnus comme primant les simples intérêts particuliers ou privés, tant nationaux qu’étrangers –article 4 (…) » de la Résolution mentionnée.

28. L’entreprise Barrick Gold aurait dû allouer –au regard des titres de propriété détenus par cette communauté-, « (…) une indemnisation adéquate aux propriétaires, conformément aux règles en vigueur dans l’Etat qui prend ces mesures dans l’exercice de sa souveraineté et en conformité du droit international. Dans tout cas où la question de l’indemnisation donnerait lieu à une controverse, les voies de recours nationales de l’Etat qui prend lesdites mesures devront être épuisées. Toutefois, sur l’accord des Etats souverains et autres parties intéressées, le différend devrait être soumis à l’arbitrage ou à un règlement judiciaire international [32] ».

29. Ce n’est pas ce qui s’est passé, la compagnie a tenté d’obtenir, de diverses façons, l’appui des populations de la vallée opposées au projet. Ainsi, la Barrick Gold et la Junta de Vigilancia del Valle del Huasco ont conclu en 2006 une entente prévoyant le versement par Barrick Gold de 60 millions de dollars US, échelonné sur une période de 20 ans, pour le dédommagement des conséquences éventuelles sur la production agricole des activités de Barrick Gold. Cet accord prévoit en retour le consentement définitif de l’organisation de paysans propriétaires de terres sous irrigation. Or, cette compagnie se devait de s’assurer que l’implantation d’une telle mine ne porterait pas préjudice aux droits de l’homme. Elle aurait dû, de plus, prévenir le risque de négligence autour de l’impact menée par un particulier [33] en faisant preuve de diligence au sens entendu par l’obligation précisée dans l’article 2 de l’Observation générale 31 sur la nature des obligations juridiques des Etats parties [34]. Au regard de cette obligation, les entreprises auraient dû vérifier de manière proactive le respect des normes avant d’installer la mine et s’assurer, au cours de l’exploitation, du respect de celles-ci.

30. Ces compagnies ne sont pas les seules coupables de violations des droits fondamentaux des communautés Diaguitas Huascoaltinos et Santa Rosa et de Jalapa du Guatemala. L’Etat hôte mais aussi l’Etat d’origine de l’investissement ont joué un rôle dans la violation des droits des communautés. Ainsi le Chili et le Guatemala sont tout autant coupables que l’Etat canadien qui se retranche derrière le principe de non-ingérence pour justifier sa non-intervention face aux agissements de ses entreprises opérant à l’extérieur du territoire canadien.

31. Agissant ainsi, les compagnies Barrick Gold et Tahoe Resources mais aussi les Etats chilien et guatémaltèque ont gravement contrevenu à « l’exercice libre et profitable de la souveraineté des peuples et des nations sur leurs ressources naturelles, violant ainsi le droit des peuples à l’autodétermination » ainsi que cela est précisé dans la Résolution 1803.

32. En ce qui concerne les entreprises, si les normes du droit international ne peuvent être convoquées comme obligations, il n’en demeure pas moins que ces entreprises ont la responsabilité de respecter les droits humains. Mais responsabilité n’est pas obligation ; un vide existe et il favorise les entreprises car elles ont un pouvoir bien supérieur à celui des communautés.

33. Quant au droit à la libre disposition des richesses et des ressources, les Etats ont l’obligation de veiller à ce qu’il « s’exerce dans l’intérêt du développement national et du bien-être de la population ». Entre autres, ce droit doit permettre la réalisation des droits contenus dans les Pactes, droits économiques, sociaux et culturels, civils et politiques.

34. Le témoignage de Sergio Campusano apporte des informations sur les tentatives mises en place pour obtenir l’adhésion des communautés au projet minier en achetant les uns et les autres, ce qui constitue une forme de corruption et ne respecte pas le droit à la décision juste et impartiale. Par ailleurs, la question des impacts éventuels de ces projets miniers ne tient absolument pas compte des effets à long terme sur l’environnement. Les membres du Tribunal permanent des peuples, concernés par le droit à la vie des populations autochtones et plus largement pour l’ensemble des peuples, recommandent que les entreprises minières canadiennes appliquent le principe de précaution et cessent à la fois de le monnayer et de jouer de la dynamique mortifère pour les peuples autochtones entre les uns et les autres.

35. Les membres du Tribunal permanent des peuples, au vu des témoignages, constatent que ce ne sont pas les seuls droits violés. Au regard de la Convention 169 qui s’applique aux peuples autochtones, entre autres à la Comunidad Agricola Diaguita de los Huascoaltinos du Chili et aux communautés des départements de Santa Rosa et de Jalapa du Guatemala, le droit à consultation n’a pas été respecté aussi bien par les entreprises que par les Etats.

Droit à consultation et au consentement

36. Le droit à consultation, reconnu dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones [35] adoptée par l’Assemblée Générale de l’ONU en septembre 2007, oblige les Etats à consulter « les peuples autochtones concernés et coopèrent avec eux de bonne foi par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives, en vue d’obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources, notamment en ce qui concerne la mise en valeur, l’utilisation ou l’exploitation des ressources minérales, hydriques ou autres ».

37. La Convention 169 [36], quant à elle, stipule que l’Etat doit consulter les peuples autochtones susceptibles « d’être touchés directement par des mesures législatives ou administratives » et obtenir leur consentement [37], selon le principe de la bonne foi, sans oublier qu’ils ont le « droit de décider de leurs propres priorités en ce qui concerne le processus du développement [38] » ; l’article 15 reconnaît le droit des peuples autochtones à la consultation concernant l’exploitation des richesses du sous-sol de leur territoire même dans les cas où celles-ci seraient la propriété de l’Etat, ce qui a été confirmé en 2001 lors de la Conférence de Durban, il était rappelé aux Etats « de consulter les représentants des autochtones lorsque des décisions sont prises sur les politiques et les mesures qui les touchent directement [39] ».

38. Si les Etats chilien, en 2009, et guatémaltèque, en 2010, ont bien ratifié la Convention 169 de l’OIT, l’intégration dans les lois nationales est loin d’être faite. Cette ratification aurait dû introduire des réformes juridiques, entre autres dans les codes de l’eau, du minerai, de la pêche et de celui régissant les concessions électriques. Pourtant, la constitution du Guatemala prévoit le respect [40] de certains peuples autochtones et s’engage à garantir leur développement [41]

39. Selon le Plan d’action de Durban, les Etats, dont une partie de la population est autochtone et qui est victime de discriminations, se devraient de suivre ses articles 15 et 20 pour « adopter ou continuer d’appliquer, en concertation avec eux, des mesures constitutionnelles, administratives, législatives et judiciaires et toutes les mesures voulues tendant à promouvoir, protéger et garantir aux peuples autochtones l’exercice de leurs droits et la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales sur la base de l’égalité, de la non-discrimination et d’une pleine et libre participation à tous les aspects de la vie sociale, en particulier dans les domaines qui touchent à leurs intérêts [42] » et recommande aux Etats « d’honorer et de respecter les traités et accords qu’ils ont conclus avec les peuples autochtones et de les reconnaître et les appliquer comme il se doit ».

40. Or, aussi bien au Chili qu’au Guatemala, les peuples autochtones n’ont pas été consultés, dès lors leur consentement, selon le principe de la bonne foi, n’a pu être donné ni aux entreprises ni à l’Etat. Outre la Convention 169, ce droit est reconnu dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones [43] ; il oblige les Etats à consulter « les peuples autochtones concernés et coopèrent avec eux de bonne foi par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives, en vue d’obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources, notamment en ce qui concerne la mise en valeur, l’utilisation ou l’exploitation des ressources minérales, hydriques ou autres ».

41. Les membres du Tribunal permanent des peuples ont eu connaissance, pour le Chili, du fait que, dès les premières discussions portant sur l’adoption de la Convention 169, des parlementaires ont présenté, entre 2000 et 2009, des recours en constitutionnalité pour réduire son impact et tenter de combattre la décision [44] qui affirmait que l’article 6 était, du fait de son caractère « auto-exécutoire », obligatoirement applicable pour toute mesure législative ou administrative affectant les peuples autochtones.

42. Les membres du Tribunal ont aussi eu connaissance que lors de la 149ème session de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme, dans le cas du Chili, elle a fait part de sa préoccupation [45] face à la menace persistante et à l’impact des plans et des projets de développement et d’investissement ainsi que des concessions pour l’extraction des ressources naturelles sur les territoires ancestraux ; à la persécution, la stigmatisation et la criminalisation des autorités ancestrales, des dirigeants et dirigeantes autochtones impliqués dans la défense de leurs territoires.

Pour ces motifs,

  • En réponse aux questions qui leur ont été posées, les membres du Tribunal permanent des peuples décident que :
  • les communautés autochtones chiliennes, particulièrement la Comunidad Agricola Diaguita de los Huascoaltinos et guatémaltèques dont celles des départements de Santa Rosa et de Jalapa appartenant au peuple Xinca, constituent un peuple dont les droits fondamentaux, individuels et collectifs, devraient et doivent être respectés conformément au droit international
  • l’exploitation du territoire de ces communautés, alors qu’elles en possèdent les titres de propriété, par les entreprises Barrick Gold et Tahoe Resources et sa filiale Minera San Rafael S.A, constitue une violation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
  • en privant ces communautés Diaguita de los Huascoaltinos et celles des départements de Santa Rosa et de Jalapa appartenant au peuple Xinca de leurs ressources naturelles et traditionnelles, ces entreprises violent les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux, civils et politiques -normes impératives contenues dans les deux Pactes de 1966- obligeant les Etats à répondre de leurs obligations internationales. Ces communautés voient ainsi leur mode de vie, leurs savoirs traditionnels et leurs processus économiques et sociaux propres à leur culture mis à mal par les politiques des entreprises minières canadiennes
  • les entreprises, mais aussi les gouvernements chilien, guatémaltèque et canadien, ont contrevenu à l’obligation qu’impose la convention 169 de l’Organisation mondiale du travail en particulier sur le droit à consultation et le droit à consentement de bonne foi
  • les peuples autochtones subissent une discrimination probante ; ils sont privés des droits essentiels devant assurer la dignité humaine. Cette exigence de non-discrimination, avec son corollaire l’égalité est un des piliers fondateurs de la Charte des Nations unies. Ce principe trouve son expression dans l’article 1§4 de la Constitution du Chili qui se trouve violé dans le cas de la communauté Diaguita de los Huascoaltinos et dans les articles 2 (titre I), 4 (titre II) de la constitution guatémaltèque en ce qui concerne celles des départements de Santa Rosa et de Jalapa appartenant au peuple Xinca

Notes

[1] Goldcorp, Teck

[2] Rapport du Centre pour les droits humains et l’environnement –CEDHA

[3] Ce droit a été postérieurement réaffirmé par les deux pactes de 1966 et largement confirmé par la Cour Internationale de Justice dans l’Affaire du Timor Oriental, dans l’Opinion consultative sur la construction du mur par l’Etat d’Israël et dans l’affaire des activités militaires au Nicaragua où la Cour a implicitement élargi son contenu et l’a clairement mis en rapport avec le principe de la non-intervention et avec le droit des peuples à choisir son propre modèle politique et idéologique.

[4] Résolution 1514 de 1960

[5] Résolution 1514, Assemblée Générale de l’ONU, 14 décembre 1960

[6] Article 1-alinéa 2

[7] Dans ce qui se dégage des deux pactes internationaux de 1966

[8] Déclaration de l’Assemblée générale de l’ONU

[9] 30 novembre 1970

[10] Article 1-1

[11] 41/128 du 4 décembre 1986

[12] Résolution 2542 de l’Assemblée Générale de l’ONU, 11 décembre 1986)

[13] 1993

[14] Article 2

[15] Conseil des droits de l’homme et Assemblée Générale, septembre 2007

[16] Recommandation 121-34, A/HRC/26/5

[17] 14 décembre 1962

[18] § 221, Le droit à l’autodétermination : développement historique et actuel sur la base des instruments des Nations unies, Aureliu Cristescu, 1981

[19] Préambule de la Charte et article 55

[20] Signé par l’Etat d’Israël le 3 octobre 1991

[21] Conseil des droits de l’Homme, ONU

[22] Voir note 18

[23] Conseil des droits de l’homme et Assemblée Générale, septembre 2007

[24] En date du 14 décembre 1962

[25] Entre autres les 17, 19 février, 20 mars et novembre 2013-

[26] Département de Jalapa

[27] voir note 24

[28] Article 3, Résolution 1803-XVII, Assemblée générale

[29] Reconnu officiellement par des titres de propriété fournis par l’État

[30] Pièce INFORME n°141/09, PETICION 415-07

[31] Article 8

[32] Article 4, Résolution 1803-XVII, Assemblée générale

[33] Fischer, S. et T., Triest (2012)

[34] U.N. Doc. HRI/GEN/1/Rev.7,80e session, p.4

[35] A/RES/61/295 article 32-2

[36] OIT, 1989, Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux

[37] Article 6

[38] Article 7 de cette même convention

[39] Article 22.-d

[40] Article 66, section III

[41] Article 68, section III

[42] Article 20

[43] A/RES/61/295 article 32-2, adoptée par l’Assemblée générale en septembre 2007

[44] 4 août 2000, requerimiento formulado por diversos diputados para quel el tribunal resuelva la constitucionalidad del convenio n°169, sobre pueblos indigenas y tribales en paises independientes adoptado por la organization internacional del trabajo, el 27 de junio de 1989, de acuerdo al articulo 82, n°2 de la constitucion politica de la republica, Sentencia Tribunal Constitucional Rol 309, Agosto 2000 http://www.politicaspublicas.net/pa…

[45http://www.oas.org/es/cidh/indigena…

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