Quel avenir pour le panafricanisme au XXIème siècle

Le panafricanisme est il un concept encore pertinent 50 après les Indépendances et dans un contexte de globalisation ?

Suite au séminaire que la Fondation a tenu sur cette question, la Fondation, à la demande des participants, a décidé de continuer la réflexion. Cette question sera posée à de nombreuses personnes et les contributions seront proposées à une réflexion plus large. Une publication est envisagée.

Contributions de A.T.Moussa Tchangari et Omar Benderra

A.T. Moussa Tchangari*

En Afrique, l’année 2010 a été celle de la célébration du cinquantenaire des indépendances dans un grand nombre de pays ; et les manifestations organisées dans ce cadre ont été l’occasion pour les Africains de s’interroger sur la réalité des indépendances. S’il est vrai que le continent dans son ensemble est aujourd’hui débarrassé du colonialisme dans sa forme directe, nul ne conteste que l’indépendance des pays africains demeure toujours théorique ; car, il est difficile de compter sur le continent plus de cinq (5) pays où les politiques publiques ne sont pas dictées de l’extérieur par les puissances dominantes et les institutions qui représentent et défendent leurs intérêts.

Après l’accession de la plupart des pays africains à l’indépendance en 1960, les dirigeants déclaraient que le nouvel objectif était d’entamer la seconde étape de la lutte de libération des peuples du continent du joug du colonialisme. Cette nouvelle étape devrait se matérialiser par la conquête d’une indépendance économique vis-à-vis des anciennes puissances coloniales dont dépendaient pratiquement la totalité des États. La mise en œuvre des plans d’ajustement structurel au début des années 1980 est venue contrarier, voire éloigner pour longtemps, ce rêve d’indépendance économique ; car, les plans d’ajustement ont ouvert la voie à une reprise en mains économique et politique des États par les institutions financières internationales, notamment le fonds monétaire international et la banque mondiale.

Aujourd’hui, les dirigeants africains sont très peu nombreux à prôner encore la lutte pour l’indépendance économique et l’affirmation de la souveraineté de leurs pays. La soumission aux institutions financières internationales, et donc aux anciennes puissances coloniales, semble même faire consensus au sein de l’élite au pouvoir ; même s’il est vrai que quelques initiatives, telles que le plan d’action de Lagos et le NEPAD, sont venues entretenir un moment l’illusion d’une volonté de rupture. Le lancement de l’Union Africaine par le sommet des Chefs d’État, réunis à Lusaka en Zambie en 2001, a été un moment important de vendre cette illusion aux peuples du continent ; car, il a semblé que les dirigeants africains voulaient aller de l’avant dans la réalisation de l’unité politique et économique pour laquelle des générations d’Africains se sont battues depuis au moins la fin de la 2ème guerre mondiale.

Cependant, il importe de souligner que le nouveau projet d’union concocté par le sommet de Lusaka est très éloigné du rêve panafricain d’unité politique et économique ; car, le projet adopté par les Chefs d’État ne visait pas à bâtir les États-Unis d’Afrique, projet cher aux pères du panafricanisme tels que Nkrumah. Le nouveau projet visait plutôt à mettre en place un cadre d’intégration sur le modèle de l’Union européenne, avec des institutions telles que la Commission Africaine, le parlement panafricain, la Cour de justice africaine, le Mécanisme de règlement des conflits, le Conseil économique, social et culturel, le Conseil de paix et de sécurité, etc. Le sommet de Lusaka avait aussi doté la nouvelle union d’un plan stratégique servant de cadre commun d’action, sous l’appellation de Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD).

Dès la publication de ce plan stratégique, les milieux progressistes africains se sont très vite rendus compte que l’objectif poursuivi n’était pas de sortir de la logique néocoloniale qui a prévalu depuis les indépendances ; car, le document du NEPAD souligne clairement que le but ultime était de favoriser une meilleure intégration du continent africain dans la mondialisation à travers notamment un afflux massif des investissements directs étrangers. La déclinaison publique des objectifs poursuivis à travers le NEPAD est venue montrer que la création de l’Union Africaine participe d’une volonté d’appropriation, ou disons plus clairement de dévoiement, de l’idéal panafricain par une élite dirigeante totalement acquise aux intérêts des puissances dominantes.

Or, il convient de souligner que le projet panafricaniste, depuis son esquisse sur le continent américain dans les années 1900, a toujours été un projet de rupture et de libération. Il a été d’abord, un projet de libération des peuples noirs de la diaspora de la férule des régimes ségrégationnistes d’Amérique ; avant de devenir ensuite, un projet politique libération des peuples d’Afrique noire du joug du colonialisme. Le panafricanisme a toujours été associé à la lutte pour l’émancipation des peuples d’Afrique ; et aujourd’hui encore, s’il est demeuré vivace dans l’esprit de la jeunesse africaine, c’est avant tout parce qu’il continue de cristalliser l’espoir d’un changement politique radical.

Au cours de l’histoire agitée du continent africain, le projet panafricain a connu des fortunes diverses ; et certains pensent même qu’il s’agit plutôt de véritables mésaventures politiques. Le projet s’était matérialisé dans les années 1960 sous la forme d’un monstre, en l’occurrence l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), qui a dominé la vie politique africaine pendant trente neuf (39) ans. Cette organisation panafricaine, fondée sur le dogme de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, s’est effacée en 2001 au profit d’un autre moins hideux, fondée sur le désir de s’intégrer davantage à la mondialisation. Les deux organisations se rejoignent sur un point, à savoir le maintien sur tous les plans du statu quo hérité de la colonisation, non seulement quant à l’intangibilité des frontières, bien que des fissures soient apparues dans ce domaine avec la scission de l’Érythrée et du Sud Soudan, mais aussi quant à la sortie du pacte colonial, notamment dans ses aspects relatifs à la vocation de pourvoyeurs de matières premières.

En dépit de ce constat amer, force est souligner que le panafricanisme continue encore d’être en vogue dans les débats sur le futur du continent ; car, nombreux sont ceux qui croient encore que le continent ne s’en sortirait jamais sans avoir réalisé son unité politique. Les constitutions africaines de ces vingt (20) dernières années témoignent d’ailleurs de cette réalité. La plupart d’entre elles proclament explicitement que les peuples souverains sont attachés à l’idéal de l’unité africaine et qu’ils sont prêts à céder tout ou partie de la souveraineté de leurs États pour sa réalisation. S’il est heureux de constater que l’idéal panafricain est désormais inscrit dans les constitutions africaines, il ne faudrait pas perdre de vue qu’il n’a pas encore trouvé la place qu’il mérite dans les luttes et les résistances populaires ; et notre devoir n’est rien moins que de le maintenir vivace et de l’articuler à un projet révolutionnaire rénové et prenant en compte les leçons apprises des tentatives passées d’édification d’un nouvel ordre.

*A.T. Moussa Tchangari

Secrétaire Général

Alternative Espaces Citoyens

Omar Benderra*

Le Panafricanisme, Idéal et nécessité

Ou en est le Panafricanisme cinquante ans après les indépendances ? Dans quel état se trouve le rêve de Marcus Garvey et de Du Bois, le projet de Cheikh Anta Diop, de N’Krumah, de Frantz Fanon et de bien d’autres militants de la libération africaine ? L’état des lieux peut être effectué sans grande difficulté et le constat rapidement établi : le rêve reste en l’état et le projet n’a guère avancé. Le Panafricanisme ne serait il alors qu’un des mythes fondateurs du mouvement de décolonisation ? Un mythe autrefois actif mais qui serait aujourd’hui à ranger dans le placard déjà fourni des illusions défuntes d’une époque à jamais révolue ? Pourtant il n’est pas un lieu de rencontre politique sur le continent ou ce thème ne soit abordé, ou au moins évoqué. Le Panafricanisme, n’en déplaise aux partisans d’un réalisme sans vision, n’est pas mort pour autant. Plus qu’une espérance, il reste un objectif actuel pour les jeunes générations à travers le continent, et la présence de nombreux jeunes dans cette salle en témoigne aussi.

La mise entre parenthèse politique du Panafricanisme, hors quelques déclarations solennelles et manifestations sans lendemains, est le témoin le plus révélateur de la panne politique du continent. Les indépendances n’ont pas abouti à l’édification de sociétés équilibrées et dynamiques. Certes, des Etats ont vu le jour, les femmes et les hommes d’Afrique ont il été libérés pour autant ? Partout sur le continent, ces indépendances formelles et vidées de leur contenu émancipateur sont l’expression d’une forme renouvelée d’assujettissement à l’ordre global dominant : celui des anciens colonisateurs. S’ils ont plié leurs drapeaux et rapatrié leurs personnels, les colons ont veillé à laisser derrière eux un ensemble de bombes à retardements dont les effets délétères, se font sentir aujourd’hui encore. Du tracé volontairement absurde des frontières, aux divisions ethniques et religieuses créées et entretenues, les germes de la discorde continuent d’éclore un peu partout à travers le continent. Le transfert du pouvoir à des élites civiles ou militaires au service d’intérêts étrangers à leurs peuples à fait le reste. Quel que soit le discours ou le modèle de développement choisi, la misère et l’analphabétisme restent les deux insupportables caractéristiques des Etats qui forment l’Afrique contemporaine.

Dans le continent de tous les pillages et de l’exploitation éhontée, les maîtres d’hier et leurs multinationales continuent de régner à travers des régimes et des systèmes qui ne sont rien d’autre que leurs fondés de pouvoir. Le néocolonialisme, forme encore plus perverse de la domination, est la norme continentale en matière de relations avec ceux qui restent les patrons tutélaires de l’Afrique. Cette domination repose sur l’émiettement du front politique africain et l’insertion vassalisée des économies du continent dans le marché mondial.

Le maintien des économies africaines dans un rôle de fournisseur de matières premières est la ligne directrice des Programmes d’Ajustement Structurel du FMI et des spécialisations agricoles imposées par la Banque Mondiale à des Etats impotents, sans jamais que les populations ne soient consultées. Ces stratégies fondées sur l’ouverture des marchés au profit des castes locales de pouvoir et des multinationales au nom de la doxa libérale et des théories de la gouvernance efficace ont abouti à l’appauvrissement généralisé et à un gigantesque déficit d’éducation. Les taux d’analphabétisme monumentaux sont un indicateur éloquent des politiques d’austérité budgétaire. Comment construire des sociétés prospères et dynamiques avec 50% et parfois 80% d’analphabètes ? C’est le cas de trop nombreux pays du continent. Combien il est alors facile d’égarer des populations entières vers de fausses contradictions et les maintenir dans la dépendance et l’aliénation…

La faillite des élites de pouvoir et d’Etats essentiellement réduits à l’encadrement policier des populations est d’abord l’expression de leur illégitimité. Le continent a fait l’expérience de toutes les formes de dictatures mais trop rarement celle de la démocratie, des libertés et de la citoyenneté. De fait, les indépendances n’ont pas abouti à la libération des peuples et c’est à ce niveau primordial de l’analyse qu’il faut probablement situer la stase du panafricanisme que certains ne veulent considérer que dans une dimension rhétorique ou sous ses aspects folkloriques.

L’organisation continentale, de l’OUA à l’UA, n’est guère plus qu’un syndicat de chefs d’Etats dont l’influence sur les enjeux globaux n’a que peu à voir avec le poids politique réel du continent. Si l’on a créé des regroupements régionaux (CER, pour Communautés économiques régionales), force est de reconnaitre qu’ils sont pour l’essentiel en déshérence (UMA, CEN-SAD) ou pour les plus actifs (SADEC, COMESA notamment), bien en deçà de ce que les populations attendent. Fondamentalement consacrées à leur maintien au pouvoir pour bénéficier de ses rentes, les élites « nationales » n’ont pas pour objectif le développement économique ou l’élévation des standards de vie de leurs populations. Pour défendre ces rentes de pouvoir à leur profit exclusif, les pouvoirs locaux ne souhaitent surtout pas diluer leur capacité de contrôle politique et économique sur leurs territoires. Le pouvoir des systèmes autoritaires repose sur des clientèles locales et des soutiens extracontinentaux, ils n’ont pas intérêt à envisager la modification d’un ordre qui leur est très profitable.

Pour autant, il arrive que des dirigeants africains, sous la pression de leurs partenaires occidentaux, tentent des expériences de développement commun, le résultat n’est guère plus probant que les regroupements administratifs déjà évoqués. Le NEPAD, construction bureaucratique, autour de la coopération d’Etats pour la réalisation de projets communs avec la participation du secteur privé, est la démonstration éloquente que des systèmes non représentatifs ne peuvent stimuler des dynamiques réelles malgré les proclamations grandiloquentes et des portefeuilles de projets sans lendemains.

C’est bien au niveau du déficit de légitimité et de représentativité que se pose le problème du blocage continental et de sa très faible performance globale. La condition première de la réussite de tout programme de coopération solidaire et le développement commun n’est pas d’ordre technique, elle réside dans l’engagement de dirigeants réellement représentatifs ancrés dans la réalité de leurs populations, et soucieux des intérêts de ces dernières. L’ampleur des défis, qu’il s’agisse du développement ou de celui des conséquences des modifications climatiques, impose une coopération étroite et active entre toutes les composantes du continent. A ce seul titre, le Panafricanisme est une nécessité.

L’idéal panafricain est celui de la convergence de peuples libres sur un continent libre, sa mise en œuvre est déterminée par l’expression démocratique et sociale des africains et de la volonté politique d’affronter ensemble les défis collectifs. La construction d’un ensemble viable efficacement tourné vers les besoins des populations est donc conditionnée par l’émergence d’élites politiques nouvelles, représentatives et librement choisies par les peuples. Ces élites renouvelées porteuses de l’éthique de la conviction des pionniers de la libération de l’Afrique existent à travers le continent et émergeront tôt ou tard. Les insurrections démocratiques et sociales au nord du continent montrent que l’Histoire est en marche et que la libération réelle est plus qu’un espoir. Cinquante ans après les indépendances, la révolution africaine, vecteur du Panafricanisme, est toujours en mouvement.

*Omar Benderra

Economiste

Directeur de la fondation Frantz Fanon

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