Négrophobie d’État en Tunisie: Communiqué de la Fondation Frantz Fanon

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Le mardi 21 février 2023, le président tunisien, Kaïs Saïed, s’est dit alarmé du déferlement sur son pays de « hordes des migrants clandestins » en provenance de l’Afrique subsaharienne. En outre, il a interprété leur présence comme relevant d’une « entreprise criminelle pour changer la composition démographique » du pays en gommant son caractère « arabo-musulman ». Il a en outre laissé entendre que ces populations noires seraient des criminels en puissance faisant régner l’insécurité dans le pays.

De nombreux observateurs ont remarqué les similarités frappantes entre le discours du président et la fameuse théorie conspirationniste du Grand Remplacement qui circule depuis quelques années dans le monde occidental. Chez le personnel politique d’extrême-droite bien sûr : Éric Zemmour en France, la première ministre Giorgia Meloni en Italie, et de nombreux élus du parti Républicain aux États-Unis, entre autres. Mais aussi dans la prose des terroristes suprémacistes blancs comme Brenton Tarrant, l’assassin islamophobe des mosquées de Christchurch en Nouvelle-Zélande ou, plus récemment, Payton Gendron, le tueur négrophobe de l’État de New-York.

Dans tous ces cas, c’est la même structure argumentative qui revient : on assimile la présence des populations noires ou immigrées à une entreprise génocidaire, à une tentative de détruire démographiquement, biologiquement et culturellement le peuple majoritaire. Cette entreprise serait ourdie par quelque puissance occulte, gouvernement mondial secret ou réseau d’influence omnipotent. Ces sophismes, invariablement assénés avec beaucoup de conviction mais aucune preuve, se donnent des allures d’analyse géopolitique. En fait, c’est une négrophobie d’État qui s’exprime au grand jour.

Aveuglé par le racisme, le président tunisien affecte de voler au secours de l’Islam et de l’identité arabe en singeant une théorie du complot qui a légitimé les pires politiques et les plus meurtriers attentats islamophobes du siècle. Alors que plusieurs ONG s’alarment depuis de nombreux mois d’un climat xénophobe et négrophobe qui s’intensifie, s’accompagnant de violations des droits humains, Kaïs Saïed a fait le choix d’accompagner et même d’intensifier cette lame de fond chauviniste raciste.

Depuis la publication de ces propos, les associations d’étudiants issus de différents pays d’Afrique subsaharienne recommandent à leurs membres la plus extrême prudence. Les administrations de certaines universités se sentent obligées de rassurer leurs usagers noirs face à l’éventualité prochaine de purges, alors que d’autres prennent au contraire le parti de multiplier les contrôles afin de traquer les irrégularités. Chacun est comme tenu de prendre position face à l’éventualité d’un nettoyage ethnique. Les propos du président participent à la construction d’un véritable climat de lynchage qui pousse déjà certains immigrés à quitter le pays. A bon droit, des manifestations s’organisent pour lutter contre ce racisme et cette tentation fasciste de plus en plus assumée. Il est important de souligner que ce racisme structurel frappe aussi bien les migrants venant de l’Afrique subsaharienne que les Tunisiens noirs qui sont eux aussi invisibilisés, harcelés, ignorés dans une société tunisienne qui se pense blanche.

Ni les crises politiques, ni la position subalterne de la Tunisie dans l’ordre international ne peuvent servir de circonstance atténuante à l’expression de cette négrophobie d’État. Comme l’écrit Frantz Fanon, « Une société est raciste ou ne l’est pas. Il n’existe pas de degrés du racisme. » Une culture nationale dont la survie exige l’humiliation, le harcèlement et la traque des populations noires ne mérite pas d’être sauvée.

La Fondation Frantz Fanon affirme sa solidarité sans réserve à l’égard des populations noires qui doivent faire face au racisme d’État actuel en Tunisie. Elle affirme également son soutien à toutes les organisations, ainsi qu’à toutes les citoyennes et les citoyens tunisiens qui ont fait le choix de s’opposer à la négrophobie.

Fondation Frantz Fanon


State Negrophobia in Tunisia: Communiqué of the Frantz Fanon Foundation

On Tuesday, February 21, 2023, the Tunisian president, Kaïs Saïed, said he was alarmed by the flood of « hordes of illegal migrants » from sub-Saharan Africa into his country. In addition, he interpreted their presence as part of a « criminal enterprise to change the demographic composition » of the country by erasing its « Arab-Muslim » character. He also suggested that these black populations were potential criminals who were bringing insecurity to the country.

Many observers have noted the close similarities between the president’s speech and the famous conspiracy theory of the Great Replacement that has been circulating in the Western world for some years. Among far-right politicians, of course: Éric Zemmour in France, Prime Minister Giorgia Meloni in Italy, and many elected officials of the Republican Party in the United States, among others. But also in the prose of white supremacist terrorists such as Brenton Tarrant, the Islamophobic murderer of the Christchurch mosques in New Zealand, or, more recently, Payton Gendron, the negrophobic killer in New York State.

In all these cases, the same argumentative structure is used: the presence of black or immigrant populations is assimilated to a genocidal enterprise, to an attempt to destroy the majority people demographically, biologically and culturally. This enterprise would be engineered by some occult power, secret world government or omnipotent network of influence. These sophisms, invariably asserted with great conviction but no proof, give the appearance of geopolitical analysis. In fact, it is a State negrophobia that is expressed in broad daylight.

Blinded by racism, the Tunisian president affects to fly to the rescue of Islam and Arab identity by mimicking a conspiracy theory that has legitimized the worst policies and the most deadly Islamophobic attacks of the century. While several NGOs have been expressing alarm for many months about a xenophobic and negrophobic climate that is intensifying, accompanied by human rights violations, Kaïs Saïed has chosen to accompany and even intensify this racist chauvinist groundswell.

Since the publication of these remarks, student associations from various sub-Saharan African countries have recommended extreme caution to their members. The administrations of some universities feel obliged to reassure their black users of the possibility of upcoming purges, while others are taking the opposite approach of increasing controls in order to track down irregularities. Everyone has to take a position on the possibility of ethnic cleansing. The president’s words are helping to create a climate of lynching that is already causing some immigrants to leave the country. Demonstrations are rightly being organized to fight against this racism and this temptation to lynch.

 The president’s words are helping to build a real climate of lynching that is already driving some immigrants to the country. Demonstrations are rightly being organized to fight against this racism and this fascist temptation, which is becoming increasingly accepted. It is important to emphasize that this structural racism affects migrants from sub-Saharan Africa as well as black Tunisians who are also invisibilized, harassed, ignored in a Tunisian society that thinks of itself as white.

Neither political crises nor Tunisia’s subaltern position in the international order can serve as attenuating circumstances for the expression of this State negrophobia. As Frantz Fanon wrote, « A society is either racist or it is not. There are no degrees of racism. » A national culture whose survival requires the humiliation, harassment, and tracking of Black people is not worth saving.

The Frantz Fanon Foundation affirms its unreserved solidarity with the Black populations who must face the current state racism in Tunisia. It also affirms its support for all organizations and all Tunisian citizens who have chosen to fight against negrophobia.

Frantz Fanon Foundation

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