« Voici vos réparations ! » : communiqué de la Fondation sur la tuerie de Buffalo

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Le samedi 14 mai 2022, Payton Gendron, un adolescent blanc de 18 ans ouvrait le feu dans un supermarché d’un quartier majoritairement noir de Buffalo, à l’est de l’État de New York. L’attentat a fait dix victimes. L’arme du crime, un fusil d’assaut de type AR15, modèle employé par l’armée américaine, est recouverte d’inscriptions à la peinture blanche. Cette particularité évoque les mots inscrits sur les carabines utilisées en mars 2019 par Brenton Tarrant, responsable des attentats commis contre deux mosquées à Christchurch, en Nouvelle Zélande. Les similitudes ne s’arrêtent pas là. Comme son prédécesseur, Gendron a tenté de diffuser son massacre en direct sur internet et, comme lui, il a revendiqué son crime dans les pages d’un pamphlet : un document PDF de 180 pages où il s’inquiète du déclin démographique de la race blanche en Amérique, en Europe et en Océanie, et met en garde contre « le remplacement racial et culturel complet du peuple européen » (p. 2).

Sur le canon de l’arme de Payton Gendron, on peut lire, en lettres capitales, l’insulte « Nigger », répétée plusieurs fois. D’un côté, au-dessus du chargeur et du bloc détente, des hommages à ses devanciers : les terroristes suprémacistes blancs Tarrant, bien sûr, mais aussi Dylann Roof, connu pour avoir abattu 9 personnes noires dans une église de Charleston, en Caroline du Sud, en juin 2018. Sur l’autre face de l’arme, les noms des Norvégiens Anders Breivik, qui a fait exploser une bombe à Oslo et assassiné à l’arme à feu plus de 70 militants de gauche à Utoya en juillet 2011, et Philip Manshaus auteur d’une fusillade dans une mosquée d’Oslo en 2019. Sur la crosse de l’arme, on peut lire « BLM Mogged », ce qui, dans l’argot de la droite radicale sur internet, se traduit par : Black Lives Matter dominé, surpassé ou surclassé. Sur l’autre face de la crosse, une autre phrase saute aux yeux : « Here’s your reparations ! », « Voici vos réparations ! » Le crime apparaît ainsi comme une réaction à l’égard de la vague de militantisme politique noir qui se développe depuis le début du XXIe siècle.

Dans son dernier ouvrage, Fear of Black Consciousness, le philosophe Lewis Gordon écrit : « Le négrophobe ou l’afrophobe […] ne sont pas effrayés par le corps. Ils sont effrayés par un type spécifique de conscience qui leur fait face : la conscience noire. » Les signes runiques du mépris qui courent sur l’arme de Gendron nous renseignent sur les ennemis mortels qu’il s’est donné : les mouvements pour les vies noires et pour les réparations en faveur des victimes de l’esclavage négrier et du colonialisme. La tuerie de Buffalo était une bataille, une étape d’une vaste croisade contre la conscience noire.

Mais les peintures sur l’arme, de même que le manifeste de Gendron, racontent surtout les aventures d’une conscience collective raciste qui ne cesse de gagner en intensité. Les mots du tueur cartographient une internationale de la suprématie blanche. D’abord, bien sûr, celle des assassins de masse qu’il honore et révère. Mais aussi, celle des intellectuels, politiciens et éditorialistes qui partagent les analyses de son manifeste ou de celui de Brandon Tarant. Chez les terroristes lourdement armés, les communautés suprémacistes qui prolifèrent sur les forums en ligne, et des figures plus respectables telles que l’écrivain Renaud Camus, inventeur du concept séminal de « Grand Remplacement », la Représentante au Congrès américain Elise Stefanik ou le candidat à l’élection présidentielle française Éric Zemmour, se déploie un même langage, une même philosophie et une même vision suprémaciste blanche de la frontière entre les amis et les ennemis.

Face à ces assauts d’une internationale suprémaciste blanche qui n’avance même plus masquée, la Fondation Frantz Fanon déclare d’abord toute sa solidarité à l’égard des victimes et de leurs proches. Pour empêcher que de telles horreurs ne se reproduisent, la FFF réaffirme la nécessité de revendiquer la Conscience Noire, cible explicite de cette dernière attaque. Contre ce racisme homicide, nous ne devons pas désarmer nos luttes en faveur des réparations et des vies noires. Nous clamons notre attachement à la tradition radicale noire, internationaliste, décoloniale et sociale, que les suprémacistes blancs, partout dans le monde, cherchent aujourd’hui à étouffer sous les calomnies, les injures ou les balles.

Fondation Frantz Fanon


« Here’s your reparations ! »: communiqué on the Buffalo shooting

On Saturday, May 14, 2022, Payton Gendron, an 18-year-old white teenager opened fire in a supermarket in a predominantly black neighborhood in Buffalo, eastern New York. Ten people were killed in the attack. The murder weapon, an AR15 assault rifle, a model used by the U.S. Army, is covered with inscriptions in white paint. This feature evokes the words inscribed on the rifles used in March 2019 by Brenton Tarrant, responsible for the attacks on two mosques in Christchurch, New Zealand. The similarities don’t end there. Like his predecessor, Gendron attempted to broadcast his massacre live on the internet and, like him, he claimed responsibility for his crime in the pages of a pamphlet: a 180-page PDF document in which he worries about the demographic decline of the white race in America, Europe and Oceania, and warns of « the complete racial and cultural replacement of the European people » (p.2).

On the barrel of Payton Gendron’s gun, one can read, in capital letters, the insult « Nigger », repeated several times. On one side, above the magazine and the trigger block, tributes to his predecessors: the white supremacist terrorists Tarrant, of course, but also Dylann Roof, known for having shot 9 black people in a church in Charleston, South Carolina, in June 2018. On the other side of the gun, the names of Norwegians Anders Breivik, who detonated a bomb in Oslo and murdered more than 70 left-wing activists with a gun in Utoya in July 2011, and Philip Manshaus author of a shooting in a mosque of Oslo in 2019. On the butt of the gun, it says « BLM Mogged, » which in radical right-wing internet slang translates to: Black Lives Matter overpowered, outgunned or outclassed. On the other side of the stick, another phrase jumps out, « Here’s your reparations! » The crime thus appears as a reaction to the wave of black political activism that has been building since the beginning of the 21st century.

In his latest book, Fear of Black Consciousness, philosopher Lewis Gordon writes, « The negrophobe or afrophobe … it’s not the body that frightens them. It’s fear of special kind of consciousness looking back at them: black consciousness. » The runic signs of contempt that run across Gendron’s gun tell us about the mortal enemies he has made: The movements for black lives and reparations for the victims of slave slavery and colonialism. The Buffalo massacre was a battle, one step in a vast crusade against black consciousness.

But the paintings on the gun, as well as Gendron’s manifesto, tell above all the adventures of a collective racist consciousness that is constantly gaining in intensity. The killer’s words map an international of white supremacy. First, of course, that of the mass murderers he honors and reveres. But also, that of the intellectuals, politicians and editorialists who share the analyses of his or Brandon Tarant’s manifesto. Among the heavily armed terrorists, the supremacist communities that proliferate on online forums, and more respectable figures such as writer Renaud Camus, inventor of the seminal concept of « Grand Remplacement, » U.S. Congresswoman Elise Stefanik, or French presidential candidate Éric Zemmour, the same language, the same philosophy, and the same white supremacist vision of the boundary between friend and enemy is deployed.

In the face of these assaults by a white supremacist international that no longer even advances masked, the Frantz Fanon Foundation declares its solidarity with the victims and their loved ones. To prevent such horrors from happening again, the FFF reaffirms the need to reclaim Black Consciousness, the explicit target of this latest attack. Against this homicidal racism, we must not disarm our struggles for reparations and Black lives. We proclaim our commitment to the radical black, internationalist, decolonial and social tradition that white supremacists everywhere today seek to stifle with slander, insults or bullets.

Frantz Fanon Foundation

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