
Le Forum Social Mondial de Dakar vu par la
Fondation Frantz Fanon
Le Forum Social Mondial tenu à Dakar du 6 au 11 février 2011 a été fortement « porté » par les vents révolutionnaires qui ont secoué la Tunisie et l’Egypte. L’économiste Samir Amin, rencontré lors d’un séminaire, en a retenu un enseignement optimiste : un autre monde est en construction dans « des endroits où on ne l’attendait guère ».
Ce FSM, en terre africaine, a été dominé de bout en bout par les révolutions populaires arabes. Lors de la formidable marche inaugurale à travers les rues de Dakar, la délégation tunisienne était l’une des plus photographiées et les Sénégalais comme les autres Africains se réjouissaient et allaient jusqu’à porter en triomphe des Tunisiens ravis, partagés entre incrédulité et exultation. Dans une très joyeuse cacophonie, la marche forte de 70 000 personnes, a été un défilé festif où se côtoyaient les représentants de toutes les causes sociales, écologiques, et d’émancipation politique. Mais à l’applaudimètre, c’est bien la délégation égyptienne qui a remporté la palme.
L’insurrection démocratique au nord de l’Afrique
Que dire alors de l’énorme clameur qui a secoué l’Université Cheikh Anta Diop quand, durant la cérémonie de clôture, l’animateur annonça le départ de Hosni Moubarak ? Ouvert par la Tunisie révolutionnaire, le FSM s’est clos sur une fête réunissant des gens de tous âges, d’horizons divers et de sensibilités politiques très différentes mais toutes unies dans la célébration de la victoire du peuple égyptien et d’un autre monde possible tout proche.
C’est un des moments forts de ce forum mais il est quand même à regretter que le processus du forum n’ait, une fois encore, pas pris en considération l’importance de ce qui se réalise dans cette région.
La révolte entamée par les peuples tunisien, égyptien, bahreïni, yéménite et libyen, annonce enfin, alors que l’année 2009 a vu se célébrer le 50ème anniversaire des Indépendances, la seconde phase de la décolonisation ; lors de la première période, l’esprit du colon incarné par les dictatures héritées a continué a ravagé les sphères politiques, sociales, culturelles et économiques. Or, pour que le colonialisme meure il faut tenir en tension une double problématique : la disparation politique du colonisé et de celle du colonisateur.
C’est le combat permanent des peuples asservis, torturés et pillés. Non seulement ils se libèrent du joug des dictateurs légués par la colonisation mais plus que tout ils manifestent leur volonté « d’avancer debout » et de décider eux-mêmes de leur avenir.
Ces changements fondamentaux vont obliger les Occidentaux et les Institutions internationales mais aussi les organismes financiers internationaux à revoir les accords bilatéraux imposés -aussi bien sur le plan des accords d’association économiques que sur la libre circulation des personnes-, les conditionnalités imposées par les programmes d’ajustement structurel et à repenser la nature des rapports de force dans les relations internationales. Mais aussi à révoquer le discours de guerre des civilisations, de cesser de diaboliser l’Islam et les musulmans. Les soulèvements populaires revendiquent l’inclusion de tous dans des rapports égalitaires et démocratiques.
Une dynamique renouvelée
Pour en revenir au Forum a, il a été, de l’avis général, un réel succès et a démontré l’évolution du mouvement altermondialiste et cela malgré une certaine désorganisation due à des changements de programme de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) où se tenaient les travaux du Forum. Tout le monde s’est adapté aux circonstances et les activités autogérées ainsi que les séminaires ont eu lieu pour le plus grand bonheur des étudiants dakarois qui, au sortir de leurs cours se mêlaient aux nombreux altermondialistes venus des quatre coins de la planète. S’y sont aussi mêlés, les nouveaux bacheliers qui n’ont toujours pas trouvé de place dans les universités sénégalaises et dont les revendications ont été additionnées à celles des participants du Forum. L’ensemble des questions et des préoccupations du mouvement a pu être débattu par des intervenants qualifiés et parfois de haut niveau.
Il faut dire que le comité africain d’organisation a su compenser les failles inévitables d’organisation en faisant preuve d’une très grande disponibilité et d’un indéniable savoir-faire diplomatique. Les approximations logistiques ont été plus que compensées par l’ingéniosité locale et par l’extraordinaire richesse des débats. Le seul incident sérieux est venu d’une délégation officielle marocaine, forte de 300 membres, qui en contravention avec tous les usages des FSM s’en est pris à des femmes sahraouies qui défendaient le droit de leur peuple à l’autodétermination, provocation qui avant pour but de brouiller les revendications d’autonomie et le travail mené avec les Sahraouis par des organisations marocaines issues des mouvements sociaux..
Remarquons que l’applicabilité du processus des FSM et sa manifestation dans l’organisation de différents FSM relève de la responsabilité de l’ensemble des organisations présentes lors des forums mais la faisabilité si elle dépend principalement de celle du comité d’organisation du pays hôte dépend aussi des organisations membres du Conseil international des FSM. Or, face aux problèmes rencontrés, les comités nationaux ont été seuls à répondre aux difficultés de gestion, alors qu’elles interrogent l’ensemble des membres du CI et qu’il est de leur responsabilité politique d’assumer conjointement les difficultés.
Au-delà de cette question importante, il doit être mis en avant que dans tous les séminaires et ateliers, c’est l’intelligence des débats qui a prévalu. Le FSM de Dakar a permis la tenue de plus 1 100 ateliers et de 38 assemblées de convergence au cours desquelles des déclarations finales ont été produites et lues lors de la séance de clôture. Déclarations politiques qui vont servir, outre de plan d’actions et de mobilisation à décliner avant le prochain forum mondial de 2013, de cadrage politique pour l’ensemble des mouvements sociaux et organisations présents. Il est à noter que la nature de ces déclarations montre la maturité politique du processus des FSM. Reste pourtant que cette maturité ne sort pas du cercle des altermondialistes, c’est un des défis que le processus des FSM a à relever pour que cette voix-voie soit non seulement entendue mais écoutée.
Thématiques communes et Palestine
Les thématiques économiques, notamment l’accaparement des terres agricoles du sud par les multinationales avec l’aide des autorités étatiques, la question climatique et de la souveraineté alimentaire qui a réussi à faire des ponts entre l’Afrique sub saharienne, certains pays d’Amérique du Sud et Haïti, ainsi entre toutes les organisations, il a été décidé de porter la proposition d’un forum mondial sur la souveraineté alimentaire. Les questions concernant sur les matières premières et les migrants ont été particulièrement suivies et débattues. Les syndicats africains ont regroupé des militants qui n’auraient jamais pu se rencontrer ailleurs et ont lancé des processus de réseaux à la formation syndicale et à la convergence des luttes. Ont été aussi portées les thématiques politiques, notamment celle sur les nouvelles formes de domination et de racisme mais aussi du panafricanisme, qui ont permis de montrer à quel point les jeunes africains sont demandeurs d’une information politique qui fait défaut. Les femmes africaines ont montré leurs forces et leur détermination à être des acteurs essentiels du changement et de propositions d’alternatives que ce soit dans le commerce, dans la défense des droits ou dans la culture des terres et dans la pêche.
Les participants étrangers, surtout ceux du Nord, ont vu la réalité subie par les habitants de ce pays d’Afrique de l’Ouest, de la confiscation des terres au surendettement des paysans en passant par le pillage des ressources halieutiques. Ils ont mesuré la détermination de populations beaucoup moins soumises qu’on a longtemps voulu le croire ou le faire croire. Des exemples concrets d’organisations autonomes ont été présentés.
Pour la première fois en 10 ans de forum, la Palestine a gagné une réelle visibilité ; des organisations de Palestine ou d’ailleurs ont convergé pour partager, solidariser et combiner leur travail. Pour la première fois aussi, le comité d’organisation du FSM à la Palestine a dédié la journée du 8 février à la Palestine. L’un des axes essentiel a été la mobilisation autour de la campagne internationale Boycott, Désinvestissement, Sanction, initiée par la société civile palestinienne et reprise aussi bien par des organisations et syndicats européens, d’Afrique du Sud que du continent américain. Alors que les assemblées de convergence se réunissaient, dans l’espace Palestine près de 300 étudiants sénégalais se sont retrouvés pour participer à une réunion d’information sur BDS : 3 heures de d’information, de discussion, d’argumentation, d’échanges. Rien n’a été laissé de côté.
La Fondation Frantz Fanon à Dakar
La Fondation a animé deux ateliers-débats autour des thèmes « Pensée de Fanon et globalisation libérale » et « Actualité du Panafricanisme ». Les deux activités ont été suivies par une nombreuse assistance et les débats vifs et intéressants ont duré bien au delà de ce qui était initialement prévus.
Le premier séminaire animé par Doudou Diène, Gus Massiah et Mireille Fanon Mendès-France a permis d’entendre des exposés sur les fondements et les évolutions du discours idéologique du libéralisme mondialisé. La seconde phase des indépendances est l’étape actuelle caractérisée par l’irruption des peuples sur la scène politique est à la fois un rejet des régimes autoritaires et le refus d’un ordre global ou les sociétés sont hiérarchisées en fonction de leurs cultures et de leurs croyances. Dans la représentation du monde par le libéralisme, les différences sociales sont ethnicisées derrière un culturalisme qui justifie l’exclusion et l’arbitraire. A cet égard, les tensions politiques en Europe sur la question de l’immigration et des citoyens « issus de la diversité » montrent que le libéralisme a en quelque sorte « rapatrié » les méthodes appliquées par le colonialisme aux peuples « indigènes ». L’analyse de Fanon, loin d’avoir perdu de son actualité, est opératoire et d’après des participants aux débats son champ géographique s’est élargi aux centres historiques de l’expansion coloniale.
Le second séminaire consacré au Panafricanisme a été animé par un panel ou figuraient Aminata Traoré, Moussa Tchangari, Bakary Fofana et Omar Benderra. Les discussions ont été chaudes entre ceux qui tirent un bilan très négatif des esquisses bureaucratiques de rapprochement entre pays du continent et ceux qui estiment que l’Union Africaine est malgré tout un aboutissement significatif. Dans un contexte de recolonisation rampante, le terrain de la convergence des luttes démocratiques et de la solidarité entre forces sociales unies dans le même combat contre les inégalités et l’idéologie du marché est l’axe du Panafricanisme contemporain.
Les deux séminaires ont permis de nouer de nombreux contacts entre militants altermondialistes, étudiants de l’UCAD et chercheurs. Pour plus de détails voir La Fondation Frantz Fanon au Forum Social Mondial ci-après.
Les prochains enjeux du FSM
Ce FSM s’est déroulé malgré toutes les embûches, qu’elles viennent de l’Etat sénégalais, des difficultés organisationnelles et/ou politiques (arrivée d’un Président lors de l’ouverture du forum, agressions menées par des membres envoyés par le gouvernement marocain…)
Malgré tout cela, ce forum a été un succès, il a montré la vitalité du processus des fora sociaux -pour s’en convaincre il suffit de se rappeler que durant l’année 2010 il y a eu plus de 55 événements s’inscrivant dans le processus des fora et se revendiquant de la Charte des principes des fora sociaux mondiaux.
Reste que ce processus est sujet à des vulnérabilités.
Fragilités endogènes d’une part, qui sont inhérentes au processus lui-même. Il ne peut être obéré que les rapports de force au sein du Conseil international -constitué par des organisations ayant adhéré à la Charte des principes- sont parfois la reproduction de la nature des rapports de force exercés par les dominants et dénoncés par ces mêmes organisations. Dès lors se pose la question des éléments à réfléchir et à construire pour que cette contradiction soit dépassée. Ainsi, il est souvent reproché au CI de manquer de transparence, de ne pas pratiquer la démocratie ni transversalement ni horizontalement, de ne pas articuler le politique à la démarche des mouvements sociaux, de ne pas faire entendre la voix des FSM particulièrement face à des situations d’urgence telle que la crise financière ou celle instrumentalisée -mais endossée par certaines personnes se réclamant du processus -par les dominants qui veulent que soit crédibilisée « la crise de civilisation »…
Pourtant, cette crise dite de civilisation est organisée par les puissants pour mieux diviser le monde. Dès lors se pose la question de la pertinence de la part des mouvements sociaux d’endosser une telle approche. Il ne s’agit nullement d’une crise de civilisation mais bien plutôt d’une crise qui secoue l’ensemble du modèle occidental de domination qui cherche à asservir, re-esclavagiser une partie du monde à son profit. Le mouvement social adhérent au processus des FSM se doit de se démarquer de telles analyses au risque de devenir à son tour « une des parties du problème » lorsque l’a fort justement dit une des participantes à ce forum.
Facteurs exogènes d’autre part, qui sont dues à la violence du processus libéral, capitaliste et impérialiste qui tente par tous les moyens- financiers, militaires- de délégitimer toute proposition d’alternative à un système générant sa propre mort. Une des victoires de ce FSM 2011 est qu’il a réussi à se tenir hors de l’agenda de Davos et dès lors les media, qui ont fait le choix délibéré et négocié de relayer l’information à l’usage des dominants ont informé sur ce forum et ses enjeux.
La Fondation Frantz Fanon au Forum Social Mondial
Le Forum social mondial s’est déroulé sur le continent de toutes les luttes, de tous les désenchantements mais aussi, aujourd’hui plus que jamais celui de tous les espoirs.
La liberté et l’émancipation des peuples qui constituent la substance vive de la pensée de Fanon et le sens de son combat restent pour beaucoup d’Africaines et d’Africains un idéal et un objectif. Dakar était donc pour la Fondation le lieu et le moment d’affirmer avec force la volonté libératrice et de désaliénation exprimée par Frantz Fanon.
Si les indépendances inachevées et les nouvelles formes, encore plus perverses, de domination valident pour les jeunes générations les critiques de Fanon, le réveil des peuples et les formes nouvelles de résistance confirment sa vision humaniste et la pertinence de sa vision révolutionnaire et libératrice.
Séminaires suivis par la Fondation
·Palestine,
·Haïti
·Maghreb –Machrek
Les séminaires organisés par la Fondation
7 février 2011 : Premier séminaire co-organisé avec Forum Mondial des Alternatives, Fondation N’krumah
L’actualité de la pensée de Fanon
face aux nouvelles formes d’hégémonisme et de racisme
La domination prend des formes nouvelles plus indirectes mais tout aussi préjudiciables à l’émancipation et au développement. Le discours colonial, entre racisme ouvert et déterminisme, retrouve une place de plus en plus agressive dans l’espace politique occidental. La pensée de Fanon et son œuvre sont plus que jamais actuelles pour décrypter et affronter les formes renouvelées de l’hégémonisme et du racisme.
Lors du séminaire, sont intervenu-e-s
·Doudou Diène, ancien rapporteur spécial auprès du Secrétaire général des Nations unies sur les questions de racisme, de xénophobie, de discrimination
·Mireille Fanon Mendes France, présidente de la Fondation Frantz Fanon.
·Gus Massiah, ancien président du CRID
A la suite des présentations, des échanges ont eu lieu avec la salle, Immanuel Wallerstein, ancien Président de l’Association international de Sociologie, auteur et professeur, a participé au débat au cours duquel plusieurs interventions très structurantes sont venues complétées les présentations.
Intervention de Mireille Fanon Mendes France
Le discours raciste relooké et la pensée de Fanon
Si le colonialisme à « l’ancienne » est bien mort emporté par les indépendances, la domination et l’exploitation sont, elles, plus vivantes que jamais, sous des formes renouvelées mais peut-être encore plus nocives et anti-humaines.
Le bilan déjà tiré est sans appel : les promesses de libération de l’homme et d’émancipation des peuples n’ont pas été tenues, les indépendances n’ont pas abouti à la libération des peuples opprimés, ont été vidées de leur contenu et détourné par des contre-élites, militaires ou civiles, tout en étant toujours soumises aux modèles des métropoles. Dès lors, les sociétés restent orphelines d’Etats qui n’ont pu naître, les réseaux néocoloniaux imposant des potentats qu’ils changent d’ailleurs au gré des intérêts et des conjonctures.
L’oppression et l’écrasement des libertés, la prédation et la misère ne sont plus le fait des spoliateurs européens, elles sont assumées par leurs héritiers, les dictateurs africains, légataires universels du colonialisme et fondés de pouvoir des réseaux de prédation dont la tête est en Occident.
Des découpages territoriaux pensés pour empoisonner durablement les relations entre Etats naissants, des élites militaires -comme en Algérie ou en Angola- et civiles –comme en Afrique de l’Ouest- chargées d’administrer l’héritage des anciens maitres pour leur compte et celui des ex-métropoles, des séparations ethniques entretenues sinon délibérément créées –comme en Afrique des grands lacs– ont empêché la formation d’Etats dignes de ce nom au service de leurs populations.
A la violence coloniale a succédé une violence indirecte, celle infligée via des Africains renforcée par les institutions financières internationales qui imposent à ces peuples la violence du système néolibéral sous toutes ses formes : militaire, économique, le concept importé de la bonne gouvernance etc…
Au fil du temps, les hommes-liges des premiers âges du néocolonialisme, pivots historiques de la Françafrique ont cédé le pas à d’autres régimes moins caricaturaux mais toujours engagés dans le dispositif modernisé de la domination.
La mondialisation, qui n’est rien d’autre que l’insertion vassalisée de l’Afrique dans l’ordre libéral, est aujourd’hui le nom du nouvel avatar de la domination et de l’aliénation. Le consensus de Washington (privatisation-désengagement de l’Etat- démantèlement des budgets sociaux) appliqué au moyen des programmes d’ajustement structurel du FMI est le dogme, la doxa « indépassable » qui théorise hypocritement la soumission des économies africaines à l’ordre des multinationales. Le coût humain de ces « ajustements structurels » est effroyable, des millions de femmes et d’hommes sont privés des soins les plus élémentaires et des millions d’enfants n’ont pas accès à l’éducation pendant que des minorités associées à ces mêmes multinationales -les exemples tunisien et égyptien sont particulièrement édifiants – pillent leurs peuples avec les félicitations de l’Occident civilisé.
L’importation contrainte d’un modèle économique foncièrement criminel s’accompagne du renouveau du discours raciste et essentialiste visant à justifier la permanence de l’exploitation au nom de l’infériorité « naturelle » des cultures africaines et le caractère irrémédiablement inapte à la modernité démocratique de l’Islam.L’occidentalisation du monde autorise un processus de reconquête pervers économique qui s’accompagne d’un discours colonial à peine réaménagé. Le discours prononcé ici même dans l’enceinte de l’Université Cheikh Anta Diop est éloquent.
Je ne me livrerais pas à une exégèse critique des propos de juillet 2007 du chef de l’Etat français mais les relents racistes et colonialistes de ces propos permettent de rappeler ce que Frantz Fanon précisait à propos du « peuple colonisé qui est idéologiquement présenté comme un peuple arrêté dans son évolution, imperméable à la raison, incapable de diriger ses propres affaires, exigeant la présence permanente d’une direction. L’histoire des peuples colonisés est transformée en agitation sans aucune signification et, de ce fait, on a bien l’impression que pour ces peuples l’humanité a commencé avec l’arrivée de ces valeureux colons ».
Qu’une loi glorifiant le colonialisme ait pu être envisagée au sein du parlement d’un pays au lourd passé colonial, près de cinquante après les indépendances, n’est pas un accident de parcours. Cette compulsion à la non-repentance ou cette revendication d’un passé sanglant est la manifestation éclatante de la vitalité de l’idéologie coloniale aux millions de victimes.
L’ordre colonial a contaminé le territoire des colonisateurs. Par un paradoxe dont l’histoire a le secret, « l’indigène » est aujourd’hui omniprésent non seulement dans son aire d’origine mais également dans ce que Fanon appelait les « villes interdites », les citadelles européennes où s’exercent les formes renouvelées de la discrimination. Les descendants européens des peuples colonisés, ces français « issus de la diversité » sont sommés d’accepter un statut d’infériorité.
Les mécanismes de l’aliénation analysés par Fanon fonctionnent toujours et sous couvert de regard décomplexé sur l’histoire, le néo-conservatisme, forme agressive du libéralisme, réintroduit le discours des spécificités ontologiques irréductibles et de hiérarchie des cultures.
Ainsi Fanon, en Afrique et en Europe, apparaît aujourd’hui comme plus actuel que jamais. Il fait sens pour les militants africains de la liberté et des droits de l’homme, il fait sens aussi pour tant d’africains et d’arabes d’Europe contre lesquels s’exprime désormais dans les médias un racisme décomplexé.
Intervention résumée de Gustave Massiah
A la recherche des radicalités de la nouvelle phase de la décolonisation
La situation est caractérisée par une double crise emboîtée : celle du néolibéralisme en tant que phase de la mondialisation capitaliste et celle du système capitaliste lui-même qui s’élargit à une crise de civilisation, celle de la civilisation occidentale.
Cette double crise rencontre directement le mouvement historique de la décolonisation. La crise du néolibéralisme met en évidence les limites de la première phase de la décolonisation, celle des luttes de libération nationale et des indépendances, confrontée à l’offensive des anciens empires coloniaux regroupés dans le G8. La crise du capitalisme renvoie au temps long de la colonisation et à la nature de l’universalisme occidental.
Le mouvement des insurrections populaires des peuples du Maghreb et du Machrek témoigne de cette nouvelle phase.
Elle met en avant l’articulation entre les revendications sociales, pour les libertés et pour l’indépendance. Elle renvoie aux dimensions de la crise structurelle : sociale, idéologique et démocratique, géopolitique avec une dimension nouvelle, celle de la crise écologique qui est une donnée nouvelle dans l’histoire de l’Humanité.
L’actualité de la pensée de Fanon s’ancre dans cette nouvelle phase de la décolonisation, celle d’une nouvelle indépendance par rapport à celle des Etat-nations, celle d’une nouvelle autodétermination et d’une émancipation des peuples. Comme Fanon avait su si magistralement le faire, il s’agit pour tous ceux qui veulent s’inscrire dans cette perspective, de mettre en évidence les nouvelles radicalités de cette nouvelle phase de la décolonisation.
Rédaction Gus Massiah
9 février 2011 : Séminaire organisé conjointement par Alternatives Niger, Forum pour un autre Mali, Forum mondiale des Alternatives
Le panafricanisme, 50 ans après les indépendances :
Quel nouveau projet pour l’Afrique afin de contrer la mondialisation libérale ?
Il s’agissait d’une part, de tenter un bilan des différentes tentatives de construction de l’unité africaine, depuis la création de l’OUA jusqu’à la mise en place de l’Union Africaine ; et d’autre part, de lancer la réflexion sur la réinvention du panafricanisme dans un contexte nouveau celui de la mondialisation néolibérale.