Journée internationale sur les victimes de l’esclavage et de la traite négrière

Palais des Nations, salle XIX,

Mercredi 23 mars 2011

Intervenants

Prosper Vokouma, ambassadeur du Burkina Faso

Serguei Ordzonikidze, Directeur général de l’Office des Nations Unies à Genève

Navanethem Pillay, Haut Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme

Jan Lönn, World against racism network

Mireille Fanon Mendès France, Fondation Frantz Fanon

Martin Maluza, Président du Comité international pour le respect de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples

Ositadinma Anaedu, ambassadeur du Nigéria

Intervention de Mireille Fanon Mendès-France

Présidente de la fondation Frantz Fanon

Monsieur l’Ambassadeur,

Madame la Haut Commissaire,

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie infiniment de m’avoir invitée à m’exprimer lors de cette journée internationale sur les victimes de l’Esclavage et de la traite négrière.

Héritières d’un passé traumatique, nombre de personnes issues de l’immigration interrogent l’histoire de l’esclavage et de la traite négrière pour appréhender un monde arbitraire et dénoncer les injustices qu’elles continuent de subir.

Trop longtemps occultée ou folklorisée, l’histoire coloniale – et celle de la traite en est la phase inaugurale – que ce soit en France ou dans d’autres pays anciennement colonisateurs refait surface et revient, souvent dans la confusion, aux devants de la scène politique. A une histoire sereinement revisitée qui situe les acteurs et leurs responsabilités s’oppose une lecture idéologique et revancharde dont la loi sur « les bienfaits du colonialisme » est l’expression la plus révélatrice. Ainsi, si depuis 2005, la France a la mémoire qui flambe c’est parce que les populations issues des colonies, anciennes ou actuelles, et de l’immigration postcoloniale sont les premières victimes de l’exclusion sociale et de la précarisation. A l’actualité des inégalités s’ajoute le poids d’une Histoire omniprésente.

Comment émerger d’un passé traumatique et visiblement indépassable ? La question est d’autant plus complexe qu’elle renvoie irrésistiblement aux enjeux actuels, du débat sur l’immigration et à l’enracinement dans la société de jeunes Français issus de minorités « visibles ». La question n’est pas de savoir s’il est légitime ou non de se revendiquer d’ascendants colonisés ou réduits en esclavage pour réclamer plus d’égalité. Dans un climat de xénophobie ascendante et d’émiettement social, comment éviter le conflit de mémoires, la surenchère des souffrances, entre des groupes acculés au repli communautaire et au chacun-pour-soi victimaire ?

C’est un enjeu majeur, particulièrement en France, où vivent des millions de personnes qui sont le produit de cette histoire tourmentée. Mais ce n’est pas le seul pays où le substrat colonial et de la traite pèse dans les rapports sociaux contemporains.

De fait, si l’ère coloniale est achevée, son héritage commun continue d’influer sur le présent, il faut bien convenir que les imaginaires et les représentations sont loin d’avoir été libérés.

Dès lors cette journée prend un sens particulier, car nombre de pays sont traversés par des logiques où le racisme trouve, hélas, encore sa place, non plus de manière ouverte mais sous des formes plus indirectes.

Après maints avatars, le racisme se fond aujourd’hui dans un ensemble de mécanismes d’exclusion et d’infériorisation qui semblent fonctionner de manière autonome, sans que personne n’ait à s’assumer explicitement raciste. Les superstructures idéologiques d’Etat nourrissent l’exclusion par des stigmatisations essentialistes. De « l’homme noir qui n’est pas entré dans l’histoire » à une laïcité de combat, l’essentialisme est bien l’habit neuf d’un vieux discours. Les hiérarchies ontologiques visent à différencier irrémédiablement pour mieux exploiter.

Dans un contexte de crise générale, la France semble avoir pris conscience de la présence, sur son territoire d’une importante population noire. La couleur de peau refait irruption dans le débat, au-delà et en-deçà de la culture, de l’origine nationale ou de la religion. La caractérisation du noir valant déculpabilisation supposée du blanc. L’un et l’autre prisonnier de sa propre aliénation. Dans ce jeu pervers, l’Histoire n’a que peu de place. Et pour cause….quand le crime avéré est imprescriptible, on le tait, à charge pour les descendants d’esclaves de s’assumer dans le silence.

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