Effectivité et Justiciabilité – Discrimination raciale

Dans le cadre de son mandat pour le groupe de travail sur les personnes d’origine africaine, Mireille Fanon-Mendes-France a participé à la session 2014 du 30 mars au 4 avril dernier- à Genève. La session de travail portait sur la Justice, un des trois thèmes retenus (Reconnaissance -2013-, Justice (2014), Reconnaissance (2015) pour la décennie qui devrait officiellement démarrer le 1er janvier 2015.

Palais des Nations 31 mars 2014

Mireille Fanon-Mendes France
Experte groupe de travail sur les Afro descendants

Un constat liminaire, pour la troisième année consécutive », la CNCDH constate que « les indicateurs de racisme sont en hausse, que l’intolérance augmente. Le phénomène s’ancre dans la durée, et cette évolution est particulièrement préoccupante [1] ». L’enquête souligne une « augmentation toujours plus marquée de la méfiance à l’égard des musulmans » et « un rejet croissant des étrangers, perçus de plus en plus comme des parasites, voire comme une menace ».

  • 55 % des personnes interrogées estiment que les musulmans forment « un groupe à part dans la société » [2]
  • 69 % des personnes déclarent qu’« il y a trop d’immigrés aujourd’hui en France [3] »
  • 65 % des sondés estiment que « certains comportements peuvent parfois justifier des réactions racistes » Selon les chiffres du ministère de l’intérieur, 1 539 actes et menaces racistes, xénophobes et antisémites ont été recensés en 2012.

La Commission souligne aussi qu’« on assiste à une dangereuse banalisation des propos racistes ». Et, selon elle, « Internet contribue grandement à cette banalisation ». La Commission précise cependant que cette « banalisation s’alimente également de l’instrumentalisation dans le discours politique de certaines thématiques (immigration, religion-laïcité), ainsi que de certains dérapages et des polémiques qui ont suivi ».

Pour commencer quelques exemples visant à illustrer la difficulté qu’il y a à obtenir que les actes racistes et xénophobes soient jugés en cohérence avec l’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale à savoir que « Les Etats parties assureront à toute personne soumise à leur juridiction une protection et une voie de recours effectives, devant les tribunaux nationaux et autres organismes d’Etat compétents, contre tous actes de discrimination raciale qui, contrairement à la présente Convention, violeraient ses droits individuels et ses libertés fondamentales, ainsi que le droit de demander à ces tribunaux satisfaction ou réparation juste et adéquate pour tout dommage dont elle pourrait être victime par suite d’une telle discrimination. »

Le premier cas porte sur l’annulation, en date du 5 février 2013, par la Cour de cassation de Fort-de-France de l’arrêt du 30 juin 2011 prononcé par la chambre correctionnelle de la Cour d’appel de cette ville.

Cet arrêt condamnait Huygues Despointes [4], sur le fondement de la loi du 21 mai 2001 –communément nommée loi Taubira-, pour avoir affirmé que « les historiens exagèrent un petit peu les problèmes. Ils parlent des mauvais côtés de l’esclavage, mais il y a les bons côtés aussi. C’est là où je ne suis pas d’accord avec eux ; il y a des colons qui étaient très humains avec leurs esclaves, qui les ont affranchis… » (…) quand je vois des familles métissées, enfin blancs et noirs, les enfants sortent de couleurs différentes, il n’y a pas d’harmonie. Il y en a qui sortent avec des cheveux comme moi, il y en a d’autres qui sortent avec des cheveux crépus dans la même famille avec des couleurs de peau différentes, moi, je ne trouve pas ça bien. On a voulu préserver la race [5] ».

Dans ces propos tenus sur Canal Plus Antilles en 2009, pouvait être poursuivi la « négation d’un crime contre l’humanité » au regard de la loi du 29 juillet 1881 avec à la clé une peine est de 1 an d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende et au regard des termes de la dernière phrase la « provocation publique à la discrimination raciale » punie, au regard de la même loi, à un an d’emprisonnement et à 45.000 € d’amende.

Rappelons que la Cour européenne a condamné le négationnisme [6] en tant que forme d’intolérance raciale incompatible avec l’esprit et la lettre de la Convention. En définitive, en ne reconnaissant pas « la provocation publique à la discrimination raciale » ont été sacralisés les propos de Huygues Despointes et les droits des victimes sacrifiés puisque leur a été retirée la possibilité « de demander une réparation juste et adéquate ».

La Cour de cassation a considéré que la cour d’appel n’avait pas pris à sa juste mesure le principe de la loi « tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité » qui précise que « …si cette loi tend à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, une telle disposition législative ayant pour seul objet de reconnaître une infraction de cette nature ne saurait être revêtue de la portée normative attachée à la loi et caractériser l’un des éléments constitutifs du délit d’apologie ».

Il faut alors comprendre que cette loi n’a aucune valeur normative.

En effet, il faut revenir à la loi [7« tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe » qui, en son article 9, qualifie de délit la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité. Mais l’infraction de négationisme ne peut s’appliquer que sur des crimes déjà jugés.

Or, si les crimes contre l’humanité commis pendant la seconde guerre mondiale ont été jugés, il n’en est rien du crime contre l’humanité que furent la traite négrière et la mise en esclavage et le colonialisme.

Ce constat n’est pas spécifique à la France, des plaintes pour mise en esclavage ont été introduites aux Etats-Unis, dont celle de Solomon Northup, alias Platt qui n’a jamais réussi à faire reconnaître ses 12 années d’esclavage alors qu’il était un homme libre [8].

En un mot, la loi « tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité » n’est, pour l’heure, qu’une loi mémorielle d’affichage mais aucunement une loi permettant d’agir juridiquement ainsi que cela avait été envisagé dans le projet initial puisqu’il y était proposé de donner « la possibilité aux associations de défense de la mémoire des esclaves de se constituer partie civile ».

Il serait trop long d’expliquer les raisons [9] pour lesquelles le projet de loi a été réduit et a mis tout ce qui touchait aux aspects justiciables de la négation de la traite négrière et de la mise en esclavage hors du champ de la justice.

Reconnaissance ne veut pas dire accès à la justice mais peut être une étape nécessaire pour y parvenir. A voir…

C’est la grande différence entre les deux crimes contre l’humanité commis entre les 15ème et 19ème siècles et celui commis pendant le 20ème. Il ne semble pas utile de commenter les arguments mis en avant pour dénier à l’ensemble des peuples d’origines africaine, amérindienne, malgache ou indienne le droit à l’accès au droit. Ce que ces arguments révèlent c’est que, dans l’inconscient collectif des dominants, perdure ce qu’Achille Mbembe, dans Critique de la raison nègre [10], appelle « la construction de l’incapacité juridique » avec pour conséquence « la perte du droit d’en appeler aux tribunaux (…) », mis en place dès le 17ème siècle et qui perdure encore, ce qu’avait déjà diagnostiqué Aimé Césaire pour qui « tous les hommes ont les mêmes droits. […] » mais que « du commun lot, il en est qui ont plus de pouvoirs que d’autres. Là est l’inégalité [11] ».

Ce qui s’est passé au moment de la libération des esclaves illustre parfaitement la construction de cette inégalité. Une amnistie a été proclamée pour les esclaves « que l’horreur de la servitude a portés à s’enfuir [12] » et aux marrons à condition qu’ils acceptent de ne plus « occuper les terres qui ne leur appartiennent pas et de ne plus s’isoler d’une société qui ne voit plus dans tous ses membres que des frères égaux [13] ». Curieusement, il n’a pas été utile d’amnistier les esclavagistes qui avaient pratiqué les mutilations et les mises à mort. Ils étaient dans leur droit.
Mais reste une question essentielle, face aux propos de Huygues Despointes qu’en est-il de l’effectivité [14] ?

Paul Guggenheim précise que « (…) la validité d’une norme doit correspondre à son effectivité, son ineffectivité à sa nullité [15] ». Pour Monique Chemillier-Gendreau, « la norme juridique a pour objet de dicter leurs règles de conduite aux sujets de droit. C’est le devoir-être. Mais cette conduite doit être finalisée. (…) La finalité avouée de la norme est la réalisation du juste contre l’injuste, ou au moins du bien commun social utilitaire. La fonction apparente du concept d’effectivité en droit international est donc de servir à ce bien commun utilitaire, en réalisant la nécessaire adéquation du droit au fait [16] ».

Un autre exemple, dans le cadre de la SNCF –société nationale des chemins de fer français- qui s’est déroulé au sein d’une antenne de la sécurité ferroviaire appelée « sûreté générale » ou « SUGE [17], unité constituée d’agents de sécurité armés circulant à bord des trains et intervenant en cas d’incident. Courant 2012, deux agents de la SUGE de Montpellier, témoins d’actes racistes, ont alerté la direction de la SNCF.

Le premier acte est un SMS envoyé par un agent à plusieurs de ses collègues et qui parodiait une publicité Citroën en se félicitant de la mort de plusieurs Arabes dans des accidents de la route. « Vous n’imaginez pas tout ce que Citroën peut faire pour vous », disait le SMS.

L’autre dérapage a consisté en la diffusion de musique d’un groupe néonazi dont les paroles appelaient sans équivoque au « massacre des sales rebeus » au sein même du bureau de la gare.

Ces deux actes ont fait l’objet d’une enquête interne. Des « rappels déontologiques » ont été faits ; une « mission d’évaluation » a été lancée ; un nouvel adjoint au chef de sûreté a été nommé, en septembre 2013. Mais au final, aucun de ces dérapages n’a abouti à des sanctions disciplinaires ou pénales comme le permet la loi.

Après avoir consulté ses juristes, la SNCF, qui depuis 2005 a créé une « direction de l’éthique » pour lutter contre les dérapages -cette direction a été saisie de 100 à 150 cas en 2013, dont 37 concernaient des faits de discriminations- a conclu que le SMS, ayant été réalisé dans « la sphère privée », ne pouvait aboutir ni à une sanction disciplinaire ni à une saisine du parquet. Quant à la diffusion de chants nazis, la SNCF qui précise n’avoir recueilli qu’un seul témoignage, a jugé cela insuffisant pour engager des actions.

Le Défenseur des droits, quant à lui, a estimé que la direction de la SNCF n’était pas directement en cause ; son comportement étant, sous d’autres aspects, exemplaire. Ainsi, en 2004, l’entreprise a été l’un des premiers signataires de la charte de la diversité contraignant à mettre en place, en interne, des actions de sensibilisations contre les discriminations.

Notons que par tradition, la SNCF, dans la plupart des cas, tente de résoudre ce type de violations à l’amiable avec transaction financière, ce que justifie Stéphane Volant, secrétaire général de la SNCF « nous traitons les dossiers de cette manière quand, par manque de preuves, la justice elle-même estime ne pas pouvoir poursuivre et que nous avons donc du mal à démêler le vrai du faux ».

Se pose d’une part, la question de la pénalisation du racisme ordinaire dans une entreprise de plus de 250 000 personnes et d’autre part celle de la preuve de l’insulte, du SMS graveleux ou de la blague à caractère raciste pour qu’ils aboutissent à des sanctions judiciaires ?

Dernier exemple. En juillet 2013, le meurtrier de Trayvon Martin a été acquitté par un jury de six femmes dont cinq d’origine caucasienne –au sens étatsunien du terme- et une d’origine hispanique. Il n’est pas utile de rappeler les faits. Les conditions de la mort de ce jeune homme de 17 ans ont sidéré le monde entier.

S’agit-il d’un crime raciste ? La procureure de Floride en doute, tant il est évident pour elle que « Trayvon Martin avait un profil. Il n’y a pas de doute sur le fait qu’il avait le profil pour devenir un délinquant. Même si le racisme était l’une des composantes dans l’esprit de George Zimmerman ».

Ainsi, le meurtrier a été acquitté sur la représentation essentialiste et stigmatisante que Trayvon Martin, jeune Afro-américain, avait le profil du délinquant et sans que George Zimmerman n’ait à s’avouer raciste. Pas plus d’ailleurs que la procureure.

Cette affirmation emprunte de préjugés négatifs ne repose sur aucun fondement et permet de préciser que le racisme structurel organise, en cette période néolibérale, l’ensemble de la société nord-américaine, aussi bien dans ses institutions que par ses pratiques et son idéologie dominante.

Ce n’est bien sûr pas le seul Etat dans ce cas !

Presque deux siècles après l’abolition de l’esclavage, les stéréotypes négatifs ont la vie dure et n’ont pas permis de changer durablement le paradigme racial sur lequel s’est organisée et s’organise encore la vie de millions de personnes sur différents continents dont celui de l’Afrique à coup d’inégalités sociales, économiques, culturelles, environnementales politiques et y compris dans les relations internationales

Ces cas exemplaires d’un dysfonctionnement de la justice ou à tout le moins d’une réelle difficulté pour la justice de se saisir de ces cas de discrimination témoignent que quel que soit l’endroit où les faits se sont produits, il y a toujours une réelle difficulté à ce que les actes racistes soient jugés pour ce qu’ils sont à savoir des crimes contre la dignité humaine et contre l’un des principes fondamentaux de la Charte des Nations unies, qu’est la non-discrimination avec son corollaire l’égalité.

Force est donc de s’interroger sur la difficulté ou plus exactement la résistance qui limite les victimes dans leur droit à obtenir réparation des actes –au sens large- racistes, discriminatoires ou xénophobes ou qui favorise le classement de ces actes dans la sphère privée, évitant ainsi à la justice de se prononcer.

Pourtant les juridictions pénales internationales ont introduit, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, une sanction contre les actes racistes, discriminatoires, xénophobes. Cela est mentionné aussi bien dans l’article 3 commun aux Conventions de Genève, mais aussi dans le Pacte international aux droits civils et politiques qui affirme que « tout appel à la haine nationale raciale, ou religieuse (…) est interdit par la loi [18] » pour assumer la mise en cohérence avec l’article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et endroits ».

Citons aussi la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale qui oblige « d’incriminer pénalement [19] » tous les actes de racisme qui devraient être tenus pour des délits punissables, notamment la diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale. Le CERD a pris soin de préciser, dans une recommandation adoptée en 1993 [20], que l’article 4 doit être considéré compatible avec la liberté d’expression, compte tenu de l’importance de la valeur qu’il tend à protéger.

Dans l’Affaire Barcelona Traction [21], la Cour internationale de justice a précisé que l’interdiction de la discrimination est une règle de droit international coutumier et constitue de facto une obligation internationale erga omnes.

La Commission européenne, dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme, a émis une jurisprudence importante considérant qu’une législation orientée à partir de considérations raciales constituait un traitement dégradant au sens de l’article 3 [22]. De fait, la discrimination raciale a été jugée contraire à la dignité humaine.

La même Commission a aussi sanctionné [23] l’usage qui pourrait être fait de la liberté d’expression car des personnes pourraient être tentées de s’en servir pour diffuser des idées tendant à la discrimination raciale.

On doit souligner que l’article 17 [24] de la Convention européenne des droits de l’homme vise à protéger plus globalement la société démocratique pour éviter toute dérive et afin de défendre le principe essentiel de non-discrimination, dans le cadre d’une société démocratique, en sanctionnant l’intolérance raciale.

Le négationnisme est aussi concerné dans ce même article 17 où il est considéré comme un vecteur de racisme et d’antisémitisme. La Commission européenne a jugé important « l’interdiction faite à une personne de propager une publication qualifiant de mensonge le fait historique de millions de juifs par le régime nazi ». Elle voulait montrer que les valeurs essentielles d’une société démocratique étaient mises en cause.

Le Protocole 12 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ratifiés par 18 Etats et signés seulement par 19 –signalons que la France ne l’a toujours pas signé- élargit le champ d’application de la non-discrimination, « Nul ne peut faire l’objet d’une discrimination de la part d’une autorité publique quelle qu’elle soit [25] (…) ». Certains objecteront que cet article ne concerne que la discrimination émanant d’autorités publiques ; cette position est pour le moins insoutenable car la plupart des actes racistes se passent entre personne privées.

Ce droit précisant que « nul ne peut faire l’objet d’une discrimination de la part d’une personne privée »…doit devenir effectif ; cela suppose que la Cour européenne des droits de l’homme impose aux Etats des obligations actives pour sauvegarder ce droit fondamental dans les relations entre particuliers.

Il pourrait être cité quelques dispositions constitutionnelles, ainsi du Préambule de la constitution française de 1946 « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l’homme et du citoyen (…).

Cette déclaration affirme la sauvegarde de la dignité humaine, ce qu’a confirmé le Conseil constitutionnel en lui donnant ses lettres de noblesse et en affirmant que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ».

Mais alors si la discrimination raciale est une forme de dégradation de l’individu pourquoi le droit appelant à des obligations répressives est-il si difficile à obtenir ? L’interdiction de la discrimination raciale ne doit souffrir d’aucune exception et est opposable erga omnes aussi bien dans le domaine des droits sociaux que des droits civils.

Le Conseil de l’Union européenne a manifesté cette préoccupation en affirmant que « la directive justiciable entend assurer une protection juridictionnelle effective aux victimes des comportements racistes [26]… »

Cette directive veut aller au-delà des faiblesses processuelles des droits nationaux et réduire les « angles morts » de la mise en œuvre nationale des traités internationaux portant sur la discrimination raciale qui est une transgression aux principes et valeurs d’une société démocratique, à l’ordre public et aux droits d’autrui.

Force est de constater que l’effectivité du droit à la non-discrimination raciale est rarement réalisée même si elle est soutenue par un dispositif national de protection approprié.

Elle a dès lors besoin de voir améliorer les moyens de poursuite et ceux de la preuve, entre autres l’instauration d’un dispositif national de protection approprié et surtout bien appliqué.

Ainsi, les partis politiques propageant des idées racistes, discriminantes, xénophobes, appelant à la haine, à la discrimination ou à la violence raciale devraient être dissous et se voir supprimer tout octroi de subsides. La France a bien instauré, en 1972, une disposition –article 10- visant à la dissolution de tels partis, mais ne l’a jamais utilisée à cet effet.
Pourtant, la loi sur la liberté de la presse offre d’autres moyens de sanctionner des infractions racistes, entre autres l’aggravation de la peine en cas de récidive [27].
Outre cette disposition incluse dans la loi du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme qui réprime la provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, il faut mentionner la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe et qui affirme l’interdiction de toute discrimination fondée sur l’appartenance ou non à une ethnie ; la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations qui étend le droit de la non-discrimination à l’ensemble de la relation de travail, y compris dans la fonction publique ; la loi du 3 février 2003 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite et xénophobe et qui introduit la notion de circonstances aggravantes pour les crimes et délits accompagnés de motivations racistes, antisémites et xénophobes ; la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité et qui élargit le domaine de la circonstance aggravante ; la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances donnant une base légale aux tests à l’improviste (« testing ») ; la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations précisant les notions de discrimination directe et indirecte.

La Belgique, quant à elle, a instauré un dispositif [28] permettant de priver un parti politique de dotation publique s’il viole les libertés et les droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme. Ce dispositif a été appliqué au parti Vlaams Blok.

Il pourrait être intéressant que des Etats européens se servent de ce modèle, surtout à un moment où le nombre de partis prônant des idées racistes, xénophobes et appelant à la discrimination raciale ne cesse d’augmenter.

Quant aux victimes, la situation est encore plus difficile, elles doivent vaincre les inerties des autorités publiques et sont souvent obligées d’insister pour que la police reçoive leurs plaintes. Devant ces difficultés, la France, par sa loi du 15 juin 2000 [29], oblige la police à recevoir les plaintes.

Mais est-ce suffisant ? 14 ans après la mise en place de cette loi introduite dans le Code de procédure pénale, il semble qu’un autre constat doit être fait, à savoir que trop souvent les policiers sont loin d’être sensibles à la discrimination raciale, voire même certains d’entre eux véhiculent des stéréotypes négatifs et des préjugés raciaux incompatibles avec leur mission.

A cela s’ajoute la difficulté de la mise en œuvre de l’action publique par le ministère public. Trop souvent la question de l’opportunité des poursuites est posée, le parquet préférant, dans de nombreux cas, classer sans suite des cas qui demanderaient « une réparation juste et adéquate » pour le dommage que la victime a subi par suite d’une discrimination raciale, à tel point qu’en 1988, le garde des sceaux avait envoyé une circulaire aux parquets pour leur rappeler leur mission vis-à-vis des crimes de discrimination raciale.

On peut se demander pourquoi ces réticences et ces lenteurs existent alors qu’elles laissent la victime dépourvue et seule quand ce qui l’a blessée heurte le principe essentiel reposant sur la non-discrimination avec son corollaire l’égalité.

Cela a pour conséquence que le nombre d’affaires portées devant les tribunaux ne reflète pas la réalité de la discrimination raciale dans une société.

Préférant des sanctions légères –par exemple en cas de récidive, la peine n’est pas aggravée- ou même ne les appliquant pas alors qu’elles sont prévues par la loi, il reste qu’un des problèmes identifié tient au fait que souvent la défense du racisme semble heurter la liberté d’expression, ce qui explique le caractère inapproprié des peines.

On peut se demander si à l’instar de l’Allemagne, il ne faudrait pas, dans de nombreuses législations, détacher la discrimination raciale de la liberté d’expression et s’il ne faudrait pas, pour lutter contre l’impunité, créer des sections spécialisées.

Il serait aussi nécessaire que le ministère public soit pénétré de l’idée que la discrimination raciale blesse les droits de la personne mais aussi heurte le principe essentiel de la société démocratique ou de l’ordre public.

Pour conclure, on ne peut penser la question de l’effectivité de la sanction de la discrimination raciale hors du contexte mondial. Force est de constater que l’organisation de la communauté internationale contemporaine repose sur la domination, la discrimination -contraire au Préambule de la Charte des Nations unies- et l’imposition d’un ordre international anti-démocratique qui oublie, lorsque cela l’arrange que la paix et la sécurité internationale sont des éléments essentiels pour la réalisation de l’ensemble des droits fondamentaux et des droits humains. Dès lors, la justiciabilité de la discrimination raciale dépend, hélas, de ce contexte et de la nature des rapports de force.

Notes

[1] en se basant sur un sondage réalisé fin 2012 par l’institut CSA auprès de 1 029 personnes

[2] + 4 points par rapport 2011

[3] + 10 points par rapport à 2011

[4] Arrivée en Martinique au XVIIe siècle, la dynastie des Huyghues Despointes a ses racines dans le nord de la France. A partir de Case-Pilote, cette famille d’origine protestante va connaître une expansion financière prodigieuse au XIXe siècle grâce à l’industrie sucrière. Au XXe siècle, à la suite de mauvaises fortunes, les descendants devront ferrailler pour réussir. La réussite la plus éclatante est celle d’Alain Huyghues Despointes, qui, à partir d’une usine de production de glaces, a bâti un groupe agroalimentaire.

http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/les-10-familles-les-plus-entreprenantes-de-la-martinique_1370350.html#K1p5I5FrssixpMRE.99

[5] Propos diffusés le 6 février 2009 au cours du magazine « spécial Investigation » sur Canal Plus Antilles et sur le site internet Megavideo.com

[6] Affaire Lehideux et Isorni vs France

[7] no 90-615 du 13 juillet 1990

[8] Twelve years slave, film de Steve Mac Queen, USA 2013

[9] Cet article a été retoqué par nombre de députés au prétexte qu’entre les crimes d’extermination commis pendant la seconde guerre mondiale et les crimes contre l’humanité que sont la traite négrière et la mise en esclavage -je cite ce que dit le rapport 1378 du 16 février 1999- « les enjeux sont d’une autre nature, tous les protagonistes directs ayant disparu, la négation des atrocités de l’esclavage n’a pas atteint la même ampleur que le révisionnisme nazi. Dès lors, dans le double souci de veiller à ce que les dispositions législatives soient adaptées à la réalité du risque et que soient préservés les espaces nécessaires à la liberté d’expression des chercheurs et des historiens dans les débats que susciteront leurs travaux sur cette période encore relativement mal connue, l’extension de la loi « Gayssot » ne semble pas le meilleur choix ».

[10] Critique de la raison négre, Achille Mbembé, La Découverte, 2013

[11] Discours sur le colonialisme, Aimé Césaire, Présence africaine, 1955

[12] Rapport Taubira, Assemblée nationale, 1998

[13] Voir note 12

[14] loi 2003-88 du 3 février 2003 et la loi 2004-204 du 9 mars 2004 ; art 23, 24 alinéa 6 et 7, ou art 42 de la loi du 29 juillet 1881

[15] Cours de droit international, Paul Guggenheim, La Haye, 1949

[16A PROPOS DE L’EFFECTIVITE EN DROIT INTERNATIONAL, Revue de droit international, n°1, 1975

[17] Le Monde | 24.01.2014 à 10h55 • Mis à jour le 24.01.2014 à 12h48 | Par Elise Vincent

[18] Article 20, PIDCP, 1966

[19] Article 4, Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

[20] Recommandation 15-42

[21] Arrêt du 5 février 1970, 1970, page 32

[22] Article 3 « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants », Convention européenne des droits de l’homme

[23] Article 10

[24] Article 17 ; « Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention ».

[25] article 1-2

[26] J.F. Flauss, L’action européenne dans le domaine de la lutte contre le racisme et la xénophobie

[27] Article 63, loi 1881 ; « L’aggravation des peines résultant de la récidive ne sera applicable qu’aux infractions prévues par les articles 24 (alinéas 5, 6, 8 et 9), 32 (alinéas 2 et 3) et 33 (alinéas 3 et 4) de la présente loi. En cas de conviction de plusieurs crimes ou délits prévus par la présente loi, les peines ne se cumuleront pas, et la plus forte sera seule prononcée ».

[28] Loi du 12 février 1999

[29] Article 15-3 du Code de procédure pénalev

Dans le cadre de son mandat pour le groupe de travail sur les personnes d’origine africaine, Mireille Fanon-Mendes-France a participé à la session 2014 du 30 mars au 4 avril dernier- à Genève. La session de travail portait sur la Justice, un des trois thèmes retenus (Reconnaissance -2013-, Justice (2014), Reconnaissance (2015) pour la décennie qui devrait officiellement démarrer le 1er janvier 2015.

Palais des Nations 31 mars 2014

Mireille Fanon-Mendes France
Experte groupe de travail sur les Afro descendants

Un constat liminaire, pour la troisième année consécutive », la CNCDH constate que « les indicateurs de racisme sont en hausse, que l’intolérance augmente. Le phénomène s’ancre dans la durée, et cette évolution est particulièrement préoccupante [1] ». L’enquête souligne une « augmentation toujours plus marquée de la méfiance à l’égard des musulmans » et « un rejet croissant des étrangers, perçus de plus en plus comme des parasites, voire comme une menace ».

  • 55 % des personnes interrogées estiment que les musulmans forment « un groupe à part dans la société » [2]
  • 69 % des personnes déclarent qu’« il y a trop d’immigrés aujourd’hui en France [3] »
  • 65 % des sondés estiment que « certains comportements peuvent parfois justifier des réactions racistes » Selon les chiffres du ministère de l’intérieur, 1 539 actes et menaces racistes, xénophobes et antisémites ont été recensés en 2012.

La Commission souligne aussi qu’« on assiste à une dangereuse banalisation des propos racistes ». Et, selon elle, « Internet contribue grandement à cette banalisation ». La Commission précise cependant que cette « banalisation s’alimente également de l’instrumentalisation dans le discours politique de certaines thématiques (immigration, religion-laïcité), ainsi que de certains dérapages et des polémiques qui ont suivi ».

Pour commencer quelques exemples visant à illustrer la difficulté qu’il y a à obtenir que les actes racistes et xénophobes soient jugés en cohérence avec l’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale à savoir que « Les Etats parties assureront à toute personne soumise à leur juridiction une protection et une voie de recours effectives, devant les tribunaux nationaux et autres organismes d’Etat compétents, contre tous actes de discrimination raciale qui, contrairement à la présente Convention, violeraient ses droits individuels et ses libertés fondamentales, ainsi que le droit de demander à ces tribunaux satisfaction ou réparation juste et adéquate pour tout dommage dont elle pourrait être victime par suite d’une telle discrimination. »

Le premier cas porte sur l’annulation, en date du 5 février 2013, par la Cour de cassation de Fort-de-France de l’arrêt du 30 juin 2011 prononcé par la chambre correctionnelle de la Cour d’appel de cette ville.

Cet arrêt condamnait Huygues Despointes [4], sur le fondement de la loi du 21 mai 2001 –communément nommée loi Taubira-, pour avoir affirmé que « les historiens exagèrent un petit peu les problèmes. Ils parlent des mauvais côtés de l’esclavage, mais il y a les bons côtés aussi. C’est là où je ne suis pas d’accord avec eux ; il y a des colons qui étaient très humains avec leurs esclaves, qui les ont affranchis… » (…) quand je vois des familles métissées, enfin blancs et noirs, les enfants sortent de couleurs différentes, il n’y a pas d’harmonie. Il y en a qui sortent avec des cheveux comme moi, il y en a d’autres qui sortent avec des cheveux crépus dans la même famille avec des couleurs de peau différentes, moi, je ne trouve pas ça bien. On a voulu préserver la race [5] ».

Dans ces propos tenus sur Canal Plus Antilles en 2009, pouvait être poursuivi la « négation d’un crime contre l’humanité » au regard de la loi du 29 juillet 1881 avec à la clé une peine est de 1 an d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende et au regard des termes de la dernière phrase la « provocation publique à la discrimination raciale » punie, au regard de la même loi, à un an d’emprisonnement et à 45.000 € d’amende.

Rappelons que la Cour européenne a condamné le négationnisme [6] en tant que forme d’intolérance raciale incompatible avec l’esprit et la lettre de la Convention. En définitive, en ne reconnaissant pas « la provocation publique à la discrimination raciale » ont été sacralisés les propos de Huygues Despointes et les droits des victimes sacrifiés puisque leur a été retirée la possibilité « de demander une réparation juste et adéquate ».

La Cour de cassation a considéré que la cour d’appel n’avait pas pris à sa juste mesure le principe de la loi « tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité » qui précise que « …si cette loi tend à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, une telle disposition législative ayant pour seul objet de reconnaître une infraction de cette nature ne saurait être revêtue de la portée normative attachée à la loi et caractériser l’un des éléments constitutifs du délit d’apologie ».

Il faut alors comprendre que cette loi n’a aucune valeur normative.

En effet, il faut revenir à la loi [7« tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe » qui, en son article 9, qualifie de délit la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité. Mais l’infraction de négationisme ne peut s’appliquer que sur des crimes déjà jugés.

Or, si les crimes contre l’humanité commis pendant la seconde guerre mondiale ont été jugés, il n’en est rien du crime contre l’humanité que furent la traite négrière et la mise en esclavage et le colonialisme.

Ce constat n’est pas spécifique à la France, des plaintes pour mise en esclavage ont été introduites aux Etats-Unis, dont celle de Solomon Northup, alias Platt qui n’a jamais réussi à faire reconnaître ses 12 années d’esclavage alors qu’il était un homme libre [8].

En un mot, la loi « tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité » n’est, pour l’heure, qu’une loi mémorielle d’affichage mais aucunement une loi permettant d’agir juridiquement ainsi que cela avait été envisagé dans le projet initial puisqu’il y était proposé de donner « la possibilité aux associations de défense de la mémoire des esclaves de se constituer partie civile ».

Il serait trop long d’expliquer les raisons [9] pour lesquelles le projet de loi a été réduit et a mis tout ce qui touchait aux aspects justiciables de la négation de la traite négrière et de la mise en esclavage hors du champ de la justice.

Reconnaissance ne veut pas dire accès à la justice mais peut être une étape nécessaire pour y parvenir. A voir…

C’est la grande différence entre les deux crimes contre l’humanité commis entre les 15ème et 19ème siècles et celui commis pendant le 20ème. Il ne semble pas utile de commenter les arguments mis en avant pour dénier à l’ensemble des peuples d’origines africaine, amérindienne, malgache ou indienne le droit à l’accès au droit. Ce que ces arguments révèlent c’est que, dans l’inconscient collectif des dominants, perdure ce qu’Achille Mbembe, dans Critique de la raison nègre [10], appelle « la construction de l’incapacité juridique » avec pour conséquence « la perte du droit d’en appeler aux tribunaux (…) », mis en place dès le 17ème siècle et qui perdure encore, ce qu’avait déjà diagnostiqué Aimé Césaire pour qui « tous les hommes ont les mêmes droits. […] » mais que « du commun lot, il en est qui ont plus de pouvoirs que d’autres. Là est l’inégalité [11] ».

Ce qui s’est passé au moment de la libération des esclaves illustre parfaitement la construction de cette inégalité. Une amnistie a été proclamée pour les esclaves « que l’horreur de la servitude a portés à s’enfuir [12] » et aux marrons à condition qu’ils acceptent de ne plus « occuper les terres qui ne leur appartiennent pas et de ne plus s’isoler d’une société qui ne voit plus dans tous ses membres que des frères égaux [13] ». Curieusement, il n’a pas été utile d’amnistier les esclavagistes qui avaient pratiqué les mutilations et les mises à mort. Ils étaient dans leur droit.
Mais reste une question essentielle, face aux propos de Huygues Despointes qu’en est-il de l’effectivité [14] ?

Paul Guggenheim précise que « (…) la validité d’une norme doit correspondre à son effectivité, son ineffectivité à sa nullité [15] ». Pour Monique Chemillier-Gendreau, « la norme juridique a pour objet de dicter leurs règles de conduite aux sujets de droit.

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