La Fondation Frantz Fanon a la tristesse d’annoncer le décès de Marie Jeanne Manuellan survenu le 8 août dernier à Paris.
Marie Jeanne Manuellan, femme engagée et solidaire des peuples maintenus sous le joug colonial, n’a jamais renoncé à lutter pour le droit des peuples à leur indépendance et leur souveraineté. Elle s’est battue sans relâche contre l’Etat d’Israël maintenant la Palestine et son peuple entre les quatre murs d’une occupation illégale et a toujours affirmé le droit au retour du peuple palestinien. Elle n’a cessé d’appeler au Boycott, désinvestissement, Sanction d’un Etat qui agit contre le droit international et contre le droit humanitaire international.
Marie Jeanne Manuellan a soutenu avec constance et solidarité le travail de la Fondation depuis sa création. En 2017, elle a publié Sous la dictée de Fanon, L’Armourier Editions; elle a décidé de donner l’ensemble de ses droits d’auteur à la Fondation.
Mot de la présidente :
« J’aimais la désinvolture avec laquelle Marie Jeanne se peignait; d’un geste de la main, elle affirmait « oh mais ce que j’ai fait n’est rien », « cela n’a aucune importance ». Elle laissait la place de choix à ceux qu’elle admirait. En premier lieu, son mari, le père de ses enfants, puis mon père et bien sûr de très nombreux autres.
Je ne suis pas très adepte d’une telle admiration mais je dois dire qu’au-delà, Marie Jeanne avait cette faculté de recréer par quelques images ou échanges, un moment de sa vie auquel elle s’était trouvée mêlée ou auquel elle avait participé. Mais jamais elle ne rejouait cette scène en s’attribuant le premier rôle. Elle adorait les seconds rôles….
Marie Jeanne a été la seule personne, ayant un peu connu mon père, qui ne le présentait pas comme un surhomme ou comme une personne qui aurait dû être « déifiée ». Elle l’a rendu vivant à mes yeux.
Elle l’a sorti de la place de mythe dans laquelle certains de ceux, qui prétendent le connaître le mieux, voudraient l’enliser. De cela, je lui suis infiniment gré.
Sous les paroles de Marie Jeanne, j’ai vu mon père râler devant des chemises non repassées, assis devant une table de réveillon de Noël dressée, danser, marcher de long en large à la recherche du mot, du concept exact devant permettre la réflexion, l’engagement et l’action à la lecture des Damnés de la terre. Tout comme j’ai vu la tête éberluée de Marie Jeanne devant la rudesse et le peu d’aménité dont mon père pouvait faire preuve lorsqu’il lui dictait ce qui deviendra un livre faisant référence.
J’imagine la surprise qu’elle a dû ressentir à l’écoute des mots, des phrases qu’elle devait coucher sur la feuille blanche avalée par la machine à écrire. J’imagine le choc que cela a dû être et en même temps la fascination de participer à une telle démarche. J’imagine son étonnement qui ne s’est manifesté que par ses doigts restés, pendant un court instant, en suspens au-dessus du clavier, lorsque mon père, au détour d’une phrase restée, elle aussi, en suspens, a parlé de sa fille, alors qu’elle ne lui connaissait qu’un fils.
Mais j’imagine aussi le plaisir, sans nom, d’être là à ce moment et je comprends pourquoi elle s’est lancée dans une telle entreprise, alors qu’elle ne le connaissait pas et qu’elle n’avait jamais tapé à la machine de sa vie.
Cette prise de risque, cette facilité à la prendre symbolise parfaitement, en ce qui me concerne, Marie Jeanne. Peu de gens aurait enfourché cette machine à écrire et peu aurait supporté les exigences du docteur Fanon…
Alors, oui Marie Jeanne me manquera, nous manquera à tous et toutes, pour des raisons très différentes et des attachements tout aussi différents. Elle restera parce qu’elle était une femme présente, engagée, solidaire qui n’a jamais abandonné l’action tant que son corps l’y autorisait et qui n’a jamais renoncé à ses combats. »
Mireille Fanon-Mendes-France