Göteborg 10 octobre 2015 Annual commemoration day of the abolition of slaver in Sweden
Je voudrais d’abord remercier les organisateurs pour leur invitation à participer à la journée anniversaire de l’abolition de l’esclavage en Suède.
Ensuite, dire que cette rencontre vient à point nommé. Il y a presque un an que la décennie a été déclarée à l’ONU. Ce processus demeure invisible : peu de communications ; les Etats ne semblent pas concernés par ses enjeux et la société civile, pour celle qui porte la voix des Afro descendants, peine à mobiliser et à faire entendre sa volonté que soient construites des articulations signifiantes entre Etats, organisations et institutions internationales afin de déconstruire le paradigme racisant des sociétés. Se lève le défi de l’inversion de la logique mortifère portée par la domination blanche qui s’arcboute sur des privilèges, ancrés dans le capitalisme eurocentré, qu’elle entend garder, quitte à ériger en règle de droit, la guerre permanente imposée aux peuples.
Cette journée anniversaire de l’abolition de l’esclavage permet de faire le point sur certaines de ces questions. L’une des plus importantes est que, depuis la fin de la colonisation, nombre de pays ont toujours refusé de prendre conscience de la présence, sur leurs territoires d’une importante population noire. Peu leur importe que la couleur de peau refasse irruption dans le débat, au-delà et en-deçà de la culture, de l’origine nationale ou de la religion, ils restent sur leurs positions : aux descendants de la traite négrière de s’assumer dans le silence en s’assimilant au nom d’un universalisme pensé par les dominants blancs. Le but n’étant pas qu’ils sortent de l’invisibilité structurelle dans laquelle les dominants les ont installés mais qu’ils s’accommodent du statut qui leur est assigné.
Ne soyons pas naïfs et ne pensons pas que ces journées mémorielles vont permettre aux afro descendants de sortir de l’invisibilité dans laquelle ils ont été installés et aux Africains de cesser d’être victimes d’une afrophobie que l’on peut qualifier de névrotique.
Trop longtemps occultée ou folklorisée, l’histoire de la traite négrière, de la mise en esclavage et du colonialisme que ce soit en Suède ou dans d’autres pays anciennement acteurs de ces crimes contre l’humanité, refait surface et revient, souvent dans la confusion, aux devants de la scène politique.
Ainsi se pose la question lancinante de savoir comment émerger d’un passé traumatique et visiblement indépassable ? La question est d’autant plus complexe qu’elle renvoie irrésistiblement aux enjeux actuels, de l’immigration à la l’enracinement dans les sociétés européennes de jeunes issus de minorités « visibles ». La question n’est pas de savoir s’il est légitime ou non de se revendiquer d’ascendants réduits en esclavage ou de colonisés pour réclamer plus d’égalité. Dans un climat de xénophobie ascendante et d’émiettement social, comment éviter le conflit de mémoires, la surenchère des souffrances, entre des groupes acculés au repli communautaire et au chacun-pour-soi victimaire ?
Cette journée, comme toutes celles qui marquent la fin de l’esclavage dans de nombreux pays, n’aura de sens que si elle est partagée et assumée comme crime contre l’humanité par l’entière population d’un pays. C’est alors qu’aussi bien les victimes de l’afrophobie et de la négrophobie mais aussi les acteurs actifs ou passifs de ce racisme structurel et institutionnel pourront sortir de l’aliénation dans laquelle ils sont maintenus. Dans ce jeu pervers, l’Histoire n’a que peu de place. Et pour cause…quand le crime avéré est imprescriptible, on le tait. Ne voyons nous pas répéter cette posture avec les crimes de guerre commis en Palestine, en Irak et dans combien d’autres pays ?
Les afro descendants, en plus des conséquences qu’ils ont à affronter avec la traite négrière et la mise en esclavage et les Africains avec le colonialisme et les migrations économiques ou pour cause de guerre, sont les seuls à être l’objet de discriminations fondées sur la couleur de la peau ; un paramètre biologique qui échappe complètement au contrôle de la victime de cet ostracisme.
Si l’on essaie de comprendre comment s’organise la construction de l’invisibilité, il faut interroger à la fois le caractère archaïque des préjugés et des stéréotypes anti-Noirs qui s’éternisent en Occident, et la structure des représentations dégradantes de la « figure » du Noir, qui résistent à la modernité, au-delà même de tous les changements survenus dans la vie de celui-ci.
On peut dire que les manipulations de l’image du Noir dans les médias occidentaux n’ont pas pour visée de modifier les représentations des Noirs qui structurent l’inconscient occidental, mais bien de les renforcer. Ces représentations historiques sont en effet construites, depuis de longue date, sur les clichés non revisités de l’infériorité du Noir, dont les Occidentaux sont, à différents niveaux, plus ou moins fortement convaincus.
Ceci est d’autant plus vrai que les institutions ne favorisent pas la construction de représentation basée sur la non-discrimination avec son corollaire l’égalité. Quand elles décident de lutter contre les discriminations, elles le font pour gagner une égalité sociale et non une « égalité ontologique » ; dès lors elles ne cherchent pas réellement à éliminer les phénotypes raciaux.
Il est aussi intéressant de regarder les différents codes législatifs et de constater que la couleur de la peau, l’origine ethnique y sont assez peu évoquées en tant que critères portant sur la racialisation pour lutter contre les discriminations. Il est alors légitime de se demander si dans la lutte institutionnelle contre les discriminations, il n’y a pas une forme de hiérarchisation intériorisée qui relègue à un plan secondaire l’afrophobie et la négrophobie.
Dès lors, il faut s’interroger sur la permanence de cette forme de racisme qui trouve son origine dans un mythe construit ainsi que cela a été affirmé en 195O par un groupe de scientifiques à qui l’UNESCO avait demandé un avis argumenté sur la question de la « race ».
Après de nombreux échanges, ils se sont accordés pour affirmer que « the biological fact of race and the myth of ‘race’ should be distinguished. For all practical social purposes ‘race’ is not so much a biological phenomenon as a social myth ». Ils ont admis que ce « myth of ‘race’ has created an enormous amount of human and social damage. In recent years, it has taken a heavy toll in human lives and caused untold suffering. It still prevents the normal development of millions of human beings and deprives civilisation of the effective co-operation of productive mind [1].
N’est ce pas ce que l’on peut encore constater sur le continent africain qui, au sortir de la colonisation, n’a pu accéder à sa pleine souveraineté ? Il s’est trouvé inféodé aux politiques des anciens colonisateurs, des institutions financières internationales, s’est vu imposé le consensus de Washington et différents accords économiques qui permettent aux transnationales, avec l’aide de certains représentants africains, de s’arroger le droit d’exploiter, à leur profit ou au profit de certains états anciennement colonisateurs, les ressources naturelles, sans que les peuples bénéficient d’une répartition des richesses équitables et durables. Ils se trouvent ainsi maintenus dans une situation de sous-développement que même les différents projets mis en place ou les programmes, tels que les 8 objectifs du millénaire pour le développement ou l’agenda post 2015, n’arrivent pas à substantiellement inverser.
Force est de constater que cette situation vient de l’injure originelle faite à l’Afrique, mais ce constat est valable pour d’autres pays qui se sont trouvés à un moment de leur histoire soumis à l’occupation colonialiste.
Il faut bien remonter à l’histoire et ne pas nier ou réécrire, ou enjoliver les faits.
La perception raciale de l’humanité avec la hiérarchisation des races et des cultures qui l’accompagne a permis, ainsi que le constate Frantz Fanon que « les nations européennes se vautrent dans l’opulence la plus ostentatoire. Cette opulence européenne est littéralement scandaleuse car elle a été bâtie sur le dos des esclaves, elle s’est nourrie du sang des esclaves, elle vient en droite ligne du sol et du sous-sol de ce monde sous-développé. Le bien-être et le progrès de l’Europe ont été bâtis avec la sueur et les cadavres des Nègres, des Arabes, des Indiens et des Jaunes [2] ».
Si les scientifiques réunis par l’Unesco ont affirmé que « the biological differences between ethnic groups should be disregarded from the standpoint of social acceptance and social action. The unity of mankind from both the biological and social viewpoints is the main thing. To recognise this and to act accordingly is the first requirement of modern man [3] », il n’en demeure pas moins que la représentation du noir a peu évolué ou seulement à la marge ; ce qui n’a jamais permis que les Africains ou les personnes d’origine africaine bénéficient du droit à la dignité humaine basé sur la non-discrimination avec son corollaire l’égalité ainsi que le précise la Charte des Nations unies. Devant ce constat sans appel, il est raisonnable d’interroger le concept d’universalisme puisque une partie de l’humanité est réduite à une masse aux membres indifférenciés, sans jugements ni valeurs propres, dont les points de vue sont marginalisés ; à qui les privilèges raciaux accordés aux blancs sont refusés. Le premier des privilèges concerne la possibilité d’étudier l’histoire de son point de vue et dans laquelle on a le beau rôle. La traite négrière, le rôle que les pays y ont joué, ainsi de la Suède qui a fondé une partie de son économie sur ce commerce, la mise en esclavage qui a non seulement enrichi les esclavagistes mais aussi les pays colonisateurs, sont vues en tant que bienfait et non pour des actes d’une violence inouïe faite à d’autres hommes, femmes et enfants. Ce sont des crimes contre l’humanité qui ne peuvent être prescrits et encore moins oubliés ou minimisés et qui ne peuvent se contenter d’une journée mémorielle. Ces crimes fondent la structure institutionnelle des pays occidentaux et de leur modèle économique. Au sortir de l’abolition, les esclaves sont passés de l’état de meuble à celui de sous-prolétaires taillables et corvéables à merci.
Si ces journées commémoratives ont une importance, c’est seulement parce qu’elles parlent de crimes contre l’humanité et que « nous décidons de ne plus (l’) les oublier [4] ». Il ne s’agit pas de se souvenir et de retourner vers un monde où le noir est infériorisé ou dans certains cas, juste toléré, il s’agit de construire une mémoire commune, partagée qui assume dans un même élan, le rôle des acteurs de ce crime effroyable et les souffrances des victimes.
Il faut bien convenir que l’héritage d’une histoire terrible ne peut être dépassé que par la disparition des formes d’oppression qui la perpétuent. Nous en sommes loin.
La décennie suffira t elle à répondre à ces urgences ? Il le faudrait, mais les forces mortifères vont encore jouer un jeu délétère et préférer mener la danse du capitalisme universel plutôt que de travailler à l’émergence d’un universel commun et partagé dans lequel doit s’inscrire l’humanité.
Les forces contraires sont à la fois celles portées par les Etats qui s’inscrivent dans un rapport de forces, oubliant qu’ils ne sont que les représentants des peuples qui les ont élus pour respecter à la fois leurs obligations à leur égard mais aussi à celui des autres peuples du monde ; les institutions multilatérales internationales, entre autres l’ONU instrumentalisée par la communauté internationale dont elle fait partie et d’où elle tire ses ressources. L’ONU, dans le contexte actuel de guerre permanente imposée aux peuples et aux gens, n’arrive plus à faire valoir les principes fondateurs de sa Charte, pas plus qu’elle ne parvient à imposer les normes impératives du droit international, voire même elle lui arrive de les dévoyer elle-même.
La façon dont s’est déroulée la Conférence de Durban en 2001 montre que priment d’abord les logiques hégémoniques et néocoloniales ; les peuples étant les oubliés d’une Charte des Nations unies rédigée en leur nom.
Si l’on considère la Déclaration et le Programme d’action de Durban, obtenus de haute lutte à l’issue de cette même conférence, on pourrait être tenté de considérer que le chemin s’était ouvert vers une prise de conscience universelle, le racisme, sous toutes ses formes, mais particulièrement celui basé sur la hiérarchisation des races et des cultures, conduit le monde à sa perte.
Lors de l’ouverture, la commissaire aux droits de l’homme de l’époque avait reconnu la faillite des Etats dans le combat contre le racisme et les avait exhortés à faire preuve d’ambition et de responsabilité assumée.
C’était sans compter avec la soif inextinguible de certains Etats préférant jouer avec le feu.
La décennie pour les personnes d’origine africaine, qui s’appuie sur cette même DDPA [5], parviendra t elle à inverser la logique d’humiliation, de stéréotypification, de stigmatisation, de marginalisation dont sont victimes les Africains et les personnes d’origine africaine ?
Il faudra plus que la volonté des organisations et de la société civile. Si les Etats refusent de travailler en étroite relation avec elles, ils continueront d’élaborer des programmes éloignés des réalités et des attentes des personnes concernées. Ils continueront à penser la fin du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie, de l’afrophobie en terme d’égalité sociale sans rien changer au regard intériorisé dévalorisant, dépréciatif trop souvent porté sur les noirs. Et peu importe qu’il y ait des couples mixtes ou que l’on voie de plus en plus de noirs dans les rues des villes. Le regard porté sur eux renferme en lui l’idée forte qu’ils sont de la nature des non-êtres. Tout comme l’étaient nos ancêtres mis en esclavage.
On peut penser des programmes, des actions qui seront comptabilisées au bout des 10 ans. Changeront ils la condition, dans l’inconscient dominant blanc, des Africains et des personnes d’origine africaine ?
Les premières décisions prises montrent que l’on se heurte à un plafond de verre entretenu par les Etats eux-mêmes. Ainsi, faire le choix d’un forum international, alors qu’il faudrait un forum permanent, qui deviendrait un organe consultatif auprès du Conseil Économique et social [6] de l’ONU, et pourrait fournir des rapports qui pourraient avoir un impact politique, n’est pas un bon signe.
A cette décision s’en ajoute une autre, incompréhensible. Le mandat des experts du Groupe de travail sur les personnes d’origine africaine –mécanisme issu de la conférence de Durban- inclut, depuis 2008 les Africains, ce qui est cohérent puisque cela est mentionné dans la DDPA.
Or, réduire le forum aux seules personnes d’origine africaine revient à éliminer une des raisons qui a ont conduit à l’invisibilité, à l’appréhension négative des descendants de cette histoire partagée entre les Africains et les personnes d’origine africaine. C’est donc une fois encore séparer le continuum, qui a duré plus de trois siècles, qui va de la traite négrière à la mise en esclavage, au colonialisme, au néocolonialisme actuel avec son lot de discrimination raciale, de xénophobie, d’afrophobie et de négrophobie.
Les Etats, si cette décision est maintenue, deviendront responsables de la réécriture d’une histoire volontairement parcellisée, occultée. Les négationnistes auront alors beau jeu ! C’est aussi séparer les Afro descendants du continent de leurs ancêtres alors que l’Union africaine a déclaré, en 2011, la diaspora sixième région de l’Afrique, montrant ainsi qu’il existe un lien historique et indéfectible entre le continent et les différents lieux où vit la diaspora.
Le Forum pour les personnes d’origine africaine et africaines doit être pensé au regard des 3 thèmes de la décennie, Justice, Développement et Reconnaissance et comme la colonne vertébrale du processus porté par la décennie afin d’élaborer des orientations engageant substantiellement vers l’éradication du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie, ce qui devrait impacter le paradigme de la domination.
Sous le thème « Reconnaissance » pourrait être abordée, au niveau du continent africain, entre autres, la question de la « direction [7] » ou du « pilotage » mis en place dans certaines sociétés afro descendantes ou africaines pour résoudre des problèmes de prises de décision tant politique que juridique, de rapports sociaux, de répartition des biens, d’éducation et de transmission, de construction de savoirs, de rapports avec la nature. Une façon dynamique d’interroger la modernité occidentale et d’y intégrer les apports d’autres cultures essentielles au devenir du monde.
Ne devrait pas être oublié un travail de mise en relation, d’identification afin de réconcilier les histoires pour mieux les accorder. Lors de ce forum permanent devraient être reliés les rapports entre les différences afin de parvenir à la rencontre des unes et des autres.
Par ailleurs, compte tenu de la croyance intériorisée d’une hiérarchisation des races et des cultures, il est important que soit réaffirmé et martelé que toutes les doctrines, y compris la doctrine de la découverte, qui invoquent ou prônent la supériorité en se fondant sur des différences d’ordre national, racial, religieux, ethnique ou culturel sont racistes, scientifiquement fausses, juridiquement sans valeur, moralement condamnables et socialement injustes.
Ajoutons que le Forum avec le thème « Justice » doit permettre un travail de suivi sur l’effectivité des droits des personnes d’origine africaine et implique un engagement formel des Etats, appuyés par les sociétés civiles, de dénoncer les politiques structurelles et systémiques discriminatoires, le racisme racisant, la xénophobie, l’afrophobie, la négrophobie. Des analyses sérieuses devront être menées pour identifier les politiques nationales, régionales ou internationales devant impérativement être dénoncées et pour élaborer de nouvelles normes qui changeront le paradigme racialisant de nombre de sociétés. Ce travail d’identification et d’élaboration sera le travail préalable aux éléments à partir desquels la Déclaration de l’ONU pour les droits de l’homme des personnes d’origine africaine sera rédigée.
Au-delà de ces apports, la décennie doit être un premier pas vers une démarche inclusive de réhabilitation de la mémoire et de réparation morale d’un des crimes majeurs perpétré contre l’humanité mais aussi la période que se donne l’ensemble des nations et des peuples pour restituer leur pleine dignité à ceux qui ont été bafoués, avilis et qui ne sont plus là pour réclamer justice. Elle doit aussi montrer aux jeunes générations, que l’histoire de leurs ancêtres ne passera pas par pertes et profits des aléas de l’histoire.
Ainsi le tour colonial organisé par des associations afro suédoises est un élément de connaissance important de cette histoire qui jusqu’à maintenant est masquée. Il devrait être généralisé, appuyé par les villes de Göteborg, Stockholm et Malmö, par les ministères du tourisme et de l’Éducation comme un apport essentiel à un processus de reconnaissance et de réparation.
La reconnaissance est, en effet, un élément fondamental de la reconstruction des relations humaines, elle révoque les classifications des hiérarchisations raciales établies au nom d’une prétendue civilisation, par des criminels au service de l’exploitation et de la spoliation.
Que pourrait faire la Suède dans un contexte qui s’annonce difficile ?
A un niveau régional et international :
- user de son statut, de son poids et de l’image que lui attribuent nombre de pays pour convaincre que les enjeux de la décennie justifient largement le passage d’un forum international à un forum permanent à la fois pour les Africains et les Afro descendants
- participer au fonds de financement spécial pour rendre la décennie visible et accessible à tous, partout dans le monde
- porter la justiciabilité du crime contre l’humanité qu’ont été la traite négrière, la mise en esclavage et le colonialisme
Au niveau national :
- combattre les mesures de discrimination positive qui ne permettent pas que soient déconstruites les essentialisations frappant les Afro descendants et les Africains.
- Refuser l’activation du fossé créé entre la société blanche et les Afro descendants et Africains, dont les migrants, par une lecture racialisante dans la présentation des faits sociaux qui criminalisent les non- blancs en déformant leur image. Il n’est pas possible de ne pas penser à ces jeunes qui, essentialisés par un système qui ne voit en eux que menace, violence, trafic de drogues, sont morts en raison de la couleur de leur peau
- Obliger les media à refuser la pression économique qui justifie la valorisation du blanc au détriment des minorités visibles, faisant ainsi le jeu de l’instrumentalisation du noir au profit de la construction du groupe des Blancs
- Arrêter de se focaliser sur les différences qui opposent les noirs aux blancs, ce qui est le meilleur moyen de renforcer le sentiment de ressemblance entre Blancs
- Cesser de penser aux Africains et aux personnes d’origine africaine en termes misérabilistes, paternalistes et condescendants, ainsi que l’on peut le constater à propos de Haïti
- Historiciser la traite négrière et le rôle joué par certaines entreprises suédoises qui se sont enrichies sur ce crime contre l’humanité mais aussi la mise en esclavage et le colonialisme
- Séquencer les racismes dont l’acte inaugural a été la mise en place de la politique de la race à partir de laquelle ont été construits les autres racismes
- à tout le moins prononcer des excuses pour la participation de l’Etat suédois dans le commerce triangulaire
Pour conclure, il est important de comprendre que l’enjeu de la décennie « reconnaissance, Justice, développement » mais également des luttes politiques et sociales visant à réduire à jamais cet héritage d’une culture de haine, est l’un des moyens dynamiques pour en finir avec le legs vénéneux d’une histoire trop souvent occultée.
Durant ces 10 ans, il faudra répondre à des questions dont seules les réponses permettront enfin de faire monde. Comment construire la parité sans mettre l’accent sur la structure psychique des sujets mais à partir des institutions et des interactions sociales historiquement situées ?
Comment promouvoir des politiques de reconnaissance et de restauration qui ne soient pas des politiques d’identité mais de parité ?
Comment répondre à l’impérieuse nécessité pour l’ensemble des peuples de vivre dans une société où il n’y a aucun sens à penser l’autre en termes de catégorisation raciale ?
Quand les Etats admettront ils enfin que les superstructures idéologiques de l’Etat nourrissent l’exclusion par des stigmatisations essentialistes lorsqu’ils distillent subrepticement des éléments de division, tout en essayant de détruire le lien social ou en cherchant à diviser leurs citoyens en les assignant à une seule et unique communauté ?
Quand les Etats se décideront ils à penser la reconnaissance comme une question de statut social et politique afin de ne plus appréhender les personnes par leur origine ethnique mais en leur reconnaissant un statut de partenaires égaux dans les interactions sociales ?
Pour cela, ne faudrait il pas ne plus appeler la reconnaissance identitaire mais recourir à la non-domination des identités particulières et lever l’ensemble des obstacles structurels qui empêchent une pleine participation de tous les citoyens ?
C’est l’unique chemin qui doit être pris pour parvenir à un monde où chacun, chacune agit politiquement, en tant que citoyens et citoyennes, égaux et différents.
La reconnaissance du statut des Africains et des Afro Descendants n’est pas seulement un geste politique à l’endroit des victimes et des générations actuelles et futures ; elle est aussi un facteur déterminant de la libération de ceux qui ont dominé, exploité et infligé d’insupportables souffrances à d’innombrables populations pendant des siècles. Il va falloir penser collectivement, dans le cadre du processus de la décennie, à la façon dont sera levé l’horizon brouillé de millions d’Afro-descendants et d’Africains qui ne sont perçus qu’à travers le prisme dévalorisant de la race.
Le chemin oblige de dessiner les contours d’une dynamique de relation qui engendre des magnétismes entre les différents. Cela ne pourra se faire que parce qu’il y aura des espaces où la relation pourra se construire, se dire, se renforcer afin d’arrêter d’exclure.
Il s’agit réellement d’une volonté politique, celle de changer le paradigme de la domination basée sur un racisme racisant.
Notes
[1] § 14, The Race Question, UNESCO, Paris, July 1950
[2] Les damnés de la terre, Frantz Fanon, Éditions Maspero, 1961
[3] voir note 1
[4] voir note 2
[5] Durban Declaration and Programme of Action
[6] Chapitre X de la Charte des Nations unies
[7] Au lieu du terme « gouvernance » qui pour polémique qu’il est, fait aussi référence à un terme trop connoté dans le champ de la domination