17ème session du Conseil des Droits de l’Homme : Juin 2011

Palais des Nation

juin 2011

17ème session du Conseil des Droits de l’Homme

Panel sur les bonnes pratiques pour combattre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance associée, Durban + 10

Mireille Fanon-Mendès France

Working Group Afro Descents

Fondation Frantz Fanon

Je vous remercie de m’avoir invitée à intervenir lors de ce panel axé sur les meilleures pratiques dans la lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance dans le contexte du dixième anniversaire de la Déclaration de Durban et du Programme d’Action. Comme vous le savez, je viens d’être nommée experte du groupe de travail pour les Afro descendants, dès lors j’ai trop peu de recul pour une analyse portant sur l’ensemble de l’aire géographique pour laquelle j’ai été élue.

Je ne parlerai, dès lors que de la situation en France, où, dès 1789, la protection contre toutes les formes de discrimination a été inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, où depuis 1998 a été créé un Haut Conseil à l’Intégration avec pour objectif de « donner son avis et de faire toute proposition utile sur l’ensemble des questions relatives à l’intégration des résidents étrangers ou d’origine étrangère », où depuis 2001, deux instances pour lutter contre le racisme ont été créées, d’une part, en 2003, le Comité interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme qui, agissant dans les domaines de la Sécurité, de la Justice, de l’Education, de la Cohésion sociale, de la Communication et des Affaires étrangères, veille à la cohérence et à l’efficacité des actions engagées par les différents ministères et d’autre part, en 2004, la Haute Autorité de lutte contre le racisme et pour l’égalité qui informe, oriente le grand public et accompagne les personnes discriminées. Sans oublier bien sûr sur le plan législatif des lois qui renforcent la répression à l’égard des crimes ou délits racistes et la loi portant sur la reconnaissance des traites et des esclavages comme crime contre l’humanité adoptée en 2001, quelques mois avant Durban.

10 ans après Durban, 10 ans après la Déclaration finale et le Plan d’action obtenus à la suite de débats houleux et passionnés à la hauteur des enjeux, peut on pour autant affirmer que la plus noble des causes, celle de la fraternité humaine et de l’altérité, a réellement avancé et que les miasmes d’un passé tourmenté ont été définitivement révoqués ? En un mot, le racisme a t il significativement reculé ? Pour ceux qui vivent au quotidien en Europe la question est largement rhétorique. Le racisme réfugié dans le non-dit est vivace et constitue l’une des principales grilles d’explication de la situation politique générale du « vieux » continent.

Certes, les formes les plus caricaturales de l’exclusion sur la base de la couleur de peau et de la religion ne sont plus vraiment de mise et des progrès incontestables ont été enregistrés ; le racisme est considéré par la justice de nombreux pays non plus comme une opinion mais bien pour ce qu’il est : un délit passible des tribunaux. L’élection d’un président afro-descendant à la tête de la première puissance mondiale a été un symbole particulièrement significatif de la profondeur des transformations superstructurelles dans un pays qui fut autrefois un des foyers de l’esclavagisme et de la ségrégation.

Ironie d’une histoire où l’hypocrisie est une constante de l’expression politique, cette élection a été célébrée en Europe comme la démonstration éclatante de la modernisation américaine par ceux-là mêmes qui utilisent les ressorts du racisme pour mieux justifier l’exclusion.

Les révoltes des jeunes des banlieues françaises en 2005 a montré à l’opinion mondiale les conséquences d’une stratégie de soft-apartheid où les populations françaises d’origine immigrée sont parquées à la périphérie des grands centres urbains, analysés par nombre de sociologues et urbanistes comme des ghettos.

Les jeunes de ces milieux, d’origine africaine, sub-sahariens ou maghrébins, sont souvent français de naissance, voire dans de très nombreux cas issus de parents titulaires de la nationalité française. Il ne s’agit pas, pour l’écrasante majorité, d’immigrés de fraîche date. Pourtant sans qu’aucune instruction officielle, aucune réglementation ni aucune loi ne le stipule, ces jeunes, dont beaucoup sont diplômés, sont condamnés au chômage ou aux petits boulots. Cette catégorie, celle des jeunes noirs et arabes, compte le plus fort taux de chômeurs de la République française. Ce constat extrêmement éloquent n’a pas empêché un philosophe institutionnel, Alain Finkielkraut, de déclarer, sans être poursuivi ni inquiété le moins du monde, que « ces jeunes ne se sont pas révoltés parce qu’ils sont pauvres mais parce qu’ils musulmans ».

Cette antienne sera déclinée sous toutes les formes possibles pour installer dans le système de représentation officielle la caractérisation essentialiste ou ethnique des catégories les plus pauvres et pour attribuer aux problèmes sociaux d’une société, où les inégalités se creusent à un rythme inédit, l’appartenance ethnique comme seule dimension.

Le racisme, puisqu’il s’agit précisément de cela, a trouvé ses habits neufs : il ne s’agit plus d’inférioriser les êtres humains selon leur seule apparence physique mais d’aller au delà. Ils sont inférieurs et dangereux (rappelons nous des propos d’un ministre de l’intérieur « socialiste » qui qualifiait les jeunes de « sauvageons ») parce qu’ils appartiennent à un continuum culturel différent, l’Islam étant particulièrement visé. A la ségrégation spatiale, la relégation dans des banlieues sous-équipées et sous-administrées, s’ajoute la ségrégation identitaire officiellement reconnue.

Car quel était donc ces questionnements sur « l’identité nationale » introduit par la création d’un ministère ou celui sur « l’Islam et la laïcité » et la tentative d’un débat « grotesque » mais éminemment dangereux – sur ces thématiques ? Le racisme aujourd’hui ne se reconnaît plus : il est puissamment suggéré, sous-entendu certes, mais présent en permanence dans toutes les instances de débat public, il passe par la mise en doute systématique de la validité des mariages entre étrangers, par la désignation des enfants de familles « immigrées » coupables, selon le ministre de l’Intérieur en charge de l’Immigration, de représenter les deux tiers des échecs scolaires -statistique particulièrement inexacte-, par la traque des sans papiers ou par le refoulement des demandeurs d’asile, voire leur renvoi dans les pays qu’ils ont fui car ils y étaient en réel danger. Les gouvernants actuels prennent la terrible responsabilité d’encourager la montée de l’intolérance et de la haine, menaçant le vivre ensemble démocratique, instrumentalisant la laïcité de façon à mieux stigmatiser des millions de citoyens français

La libération d’une idéologie profondément incrustée dans la république anciennement coloniale, jusqu’ici seulement le fait des franges d’extrême-droite, s’est opérée par glissements successifs depuis plusieurs années. Un stade nouveau dans la désinhibition de la parole publique a été incontestablement atteint en 2007 par le discours prononcé à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar par le président de la République. Les considérations insultantes sur la non-entrée dans l’Histoire d’un homme africain mythifié, prisonnier de ses archaïsmes, proférées par le chef de l’Etat français, ne traduisent pas seulement l’étonnante ignorance du rédacteur du discours présidentiel. Elles marquent, consciemment ou non, l’intériorisation du discours colonial et de l’impensé raciste qui aujourd’hui se libèrent et s’écoutent à tous les niveaux de l’Etat. Par ailleurs, prétendre “en exprimant ainsi une sidérante inculture- que « l’homme africain n’était pas entré dans l’histoire » consiste ni plus ni moins à donner une onction officielle à la thèse de la hiérarchie des races à la base des théories néoconservatrices du « choc des civilisations ». Dès lors les fondements du racisme ont ils tant changé que cela ou ceux qui veulent un monde à leur image et donc le diviser pour mieux imposer leur image ne le font ils pas régresser pour mieux parvenir à leurs fins ?

La banalisation du racisme et le fait que des instances supérieures de la vie politique et sociale en France en sont profondément imprégnées est un constat qui peut être, hélas, rapidement établi. La confusion systématique entre immigrés, migrants clandestins, étrangers d’origine immigrée, français d’origine immigrée, Français venant des Antilles françaises, est révélatrice de la permanence d’un ordre social où la couleur de peau, les apparences physiques et les appartenances religieuses jouent un rôle décisif mais soigneusement occulté.

Le récent scandale relatif à l’idée défendue par les plus hautes instances du football français d’instaurer des quotas raciaux dans les centres de formation pour jeunes sportifs a brisé le tabou du non-dit et de l’inexprimé. Que des éducateurs l’aient évoqué « en des termes dénués d’ambiguïté » en dit long sur la réalité du racisme en France.

Au point que trois jeunes revendiquant leur binationalité, âgés d’une vingtaine d’années, ont lancé un appel publié dans Libération pour affirmer haut et clair qu’ils étaient fiers de vivre en France parce que c’était une terre d’accueil, un espace ouvert, un lieu d’échanges et aujourd’hui ils ne reconnaissent plus leur pays.

Le mur de verre sur lequel viennent buter les jeunes Français d’origine africaine ou antillaise est une réalité en acier trempé.

De ce point de vue, et dans un climat où les dérives xénophobes -identifiables par l’ensemble des discours et des actes publics, émanant d’autorités publiques, produisant, volontairement ou involontairement, un effet de stigmatisation de l’étranger comme problème ou risque- sont le fait de membres du gouvernement, à cela il faut ajouter le remplacement de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, décidée par la loi organique du 29 mars dernier, par un « défenseur des droits » qui sera nommé par décret en Conseil des ministres. Cela ne constitue pas une évolution a priori très favorable en termes de « bonnes pratiques » antidiscriminatoires. En effet, ce Défenseur des droits se substitue non seulement à la HALDE mais aussi à trois autres autorités administratives indépendantes : le médiateur de la République, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et le Défenseur des enfants. Les missions de ces différents organes ne peuvent se fondre en un seul ; avec la suppression de la HALDE, la lutte contre le racisme perd, du point de vue institutionnel, sa spécificité et cela sans préjuger en rien des futures orientations et des moyens mis à la disposition du Défenseur des droits.

Les avancées enregistrées dans le domaine de la lutte contre les discriminations restent fragiles et peuvent au contraire être effacées par le retour d’un racisme « relooké », masqué par un discours à double détente et par l’instauration d’un climat où ceux qui ne sont pas perçus comme purement autochtones sont stigmatisées, non plus seulement par référence à leurs apparences, mais par leurs cultures et leurs religions réputées radicalement étrangères, hostiles et inassimilables. L’altérité serait elle dangereuse pour la survie de la Nation ? Et les êtres humains appartiennent irrévocablement à leur culture supposée. Ce climat régressif est alimenté par le débat « identitaires » promus par les autorités politiques dont la finalité est pour le moins douteuse.

Il n’est pas possible d’asservir des hommes sans logiquement les inférioriser de part en part. Et le racisme n’est que l’explication émotionnelle, affective, quelques fois intellectuelle de cette infériorisation.

Permettez moi de citer une phrase de Frantz Fanon lors du Congrès des écrivains et artistes noirs à Rome « le raciste dans une culture avec racisme est donc normal. L’adéquation des rapports économiques et de l’idéologie est chez lui parfaite. Certes, l’idée que l’ont se fait de l’homme n’est jamais totalement dépendante des rapports économiques, c’est-à-dire, ne l’oublions pas, des rapports historiquement et géographiquement entre les hommes et les groupes. Des membres de plus en plus nombreux appartenant à des sociétés racistes prennent position. Ils mettent leur vie au service d’un monde où le racisme serait impossible. Mais ce recul, cette abstraction, cet engagement solennel ne sont pas à la portée de tous. On ne peut exiger sans dommages d’un homme qu’il soit contre les « préjugés de son groupe ».

La crise économique et le désarroi qu’elle engendre est propice à tous les discours d’ordre fondés sur la responsabilisation des catégories les plus fragiles.

Dix ans après Durban, les progrès devraient, bien sûr, être impérativement consolidés et élargis. La vague de populisme xénophobe qui traverse l’Europe remet en question des politiques antiracistes que l’Histoire de ce continent rend plus urgentes que jamais. Les bonnes pratiques pour combattre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance supposent que soit abandonnée l’idée de l’Etat menacé par l’autre au profit de l’apport de la diversité, de l’imprévu, des fécondités du monde.

Décider et prendre le risque d’être-dans-le-monde c’est ce qui donnera la liberté d’entreprendre et l’audace de changer, d’être changé et de se changer, dès lors la question de l’entrée vers de bonnes pratiques se posera autrement et à l’endroit exact où cela se doit, à savoir l’importance de l’établissement de nouveaux rapports entre les peuples, de relations fondées sur le principe de l’égalité entre Etats : le droit à réparation pour les injustices commises, l’annulation de la dette, l’évacuation immédiate de toutes les armées étrangères pour assurer une vraie coopération future, des échanges mutuels authentiques, seuls gages de paix et de progrès pour les peuples du monde.

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