Merci pour votre fidélité à ce rendez-vous annuel pour la vérité, la justice et la mémoire.
Merci à toutes les associations, tous les partis politiques, toutes les personnalités et vous tous militants et simples citoyens qui êtes, année après année, partie prenante de cette manifestation.
Au-delà du nécessaire hommage à la mémoire de Mehdi Ben Barka, ce rassemblement nous réunit pour marquer notre volonté commune :
– à poursuivre le combat pour la vérité et la justice ;
– pour exiger avec force que toute la lumière soit faite sur l’enlèvement et l’assassinat de Mehdi Ben Barka, ses assassins identifiés, sa sépulture localisée et toutes les responsabilités, qu’elles soient étatiques ou individuelles, établies ;
– pour exiger que cesse enfin la complicité des deux états marocain et français visant à occulter la vérité et continuer à protéger les auteurs et les complices de ce crime odieux ; que cesse l’usage et l’abus de la raison d’Etats pour faire obstacle à l’action de la justice ;
Le 29 octobre a été décrété « journée du disparu » par toutes les associations de Droits Humains au Maroc, en hommage à Mehdi Ben Barka, le plus emblématique des disparus. Pour commémorer son enlèvement et son assassinat à Paris en 1965, cette date a été retenue pour dénoncer le phénomène de la disparition forcée, soutenir le combat des familles des victimes pour connaître la vérité sur le sort de leurs proches et exiger la fin de l’impunité des responsables des violations des droits humains. Des manifestations similaires à notre rassemblements ici devant la Brasserie Lipp sont organisées aujourd’hui et les jours prochains dans plusieurs villes marocaines.
13 années après l’avènement de Mohamed 6, près de 7 ans après la publication du rapport sur l’action de l’Instance Equité et Réconciliation et ses recommandations au Conseil Consultatif des Droits de l’Homme, plus d’un an après la mise en place du Conseil National des Droits de l’Homme, le constat sur la situation des droits humains au Maroc est consternant et accablant :
- Contrairement à tous les engagements pris, des dizaines de dossiers relatifs à des cas de disparition forcée sont encore en suspens, bafouant le droit à la vérité et à la justice d’autant de familles ;
- Les violations régulières des droits humains se poursuivent, dénoncées par de nombreuses commissions d’enquêtes internationales ;
- Des prisonniers d’opinion continuent de purger de lourdes peines ;
- Des centres de détention en dehors de tout cadre judiciaire avec des pratiques rappelant tristement celles des années de plomb sont encore signalés ;
- Les procès iniques se multiplient et de lourdes condamnations s’abattent sur les citoyens, militants associatifs et syndicaux dont le seul crime est de manifester pacifiquement dans le cadre de l’action citoyenne pour la justice, la dignité et le droit que connaît le Maroc depuis le 20 février 2011.
Le nouveau gouvernement marocain ne semble pas vouloir atténuer cette politique même s’il annonce vouloir instaurer l’état de droit et lutter contre la corruption.
Une première action symbolique de sa part a permis de découvrir que les agents sécuritaires membres du CAB1 puis de la DST, les organismes qui ont mené toutes les opérations de répression politique, les enlèvements et les tortures durant les années de plomb, ayant participé en particulier à l’enlèvement de Mehdi Ben Barka, ces agents ont profité de prébendes offerts par l’Etat marocain, une sorte de rétribution pour services rendus, pour les sales services rendus.
Certains sont appelés en vain à témoigner dans le cadre de l’instruction menée par la justice française. En effet, les autorités judiciaires marocaines n’ont plus donné suite aux commissions rogatoires du juge Ramaël depuis plusieurs années.
Au contraire, prolongeant l’immobilisme de ses prédécesseurs, le ministre marocain de la justice a déclaré que les dossiers de la disparition forcée, en particulier celui relatif à Mehdi Ben Barka, ne faisaient pas partie des priorités du gouvernement.
On ne peut que s’indigner de cette position qui renforce nos inquiétudes quant à la volonté politique du nouveau gouvernement marocain de traiter la question de la disparition forcée autrement que du point de vue sécuritaire qui consiste en fait à continuer à protéger les criminels et renforcer leur sentiment d’impunité.
Chers amis,
Les élections présidentielles et législatives du printemps dernier en France devraient permettre le déblocage de l’instruction judiciaire du dossier.
Je parle au conditionnel dans la mesure où seules compteront les avancées qui pourraient résulter d’une réelle volonté politique à faire avancer la recherche de la vérité.
Comme je l’ai rappelé l’an dernier ici-même, nous restons convaincus de la volonté de la gauche à s’engager à lever les obstacles qui continuent d’entraver l’action de la justice pour que, enfin, la vérité puisse éclater.
Cela nécessite cependant que cesse la soumission à la raison d’Etat.
Plusieurs axes d’action sont susceptibles de nous apporter la preuve de la mise en pratique de cette nouvelle volonté politique que nous avons appelée de nos voeux.
- Une première mesure significative consisterait à lever le secret-défense par le ministre de la défense sur les documents saisis par le juge Ramaël dans les locaux de la DGSE et pour lesquels la Commission consultative de secret de défense nationale a donné un avis favorable de déclassification.
- La deuxième mesure serait que les mandats d’arrêts internationaux à l’encontre des responsables sécuritaires marocains détenant la vérité soient effectivement transmis à Interpol par le ministère de la justice français. Cela aurait évité la mascarade de cet été à l’occasion des Jeux olympiques de Londres quand le président du Comité olympique marocain mais également chef de la Gendarmerie royale s’est permis d’y assister un premier temps avant de se réfugier à l’Ambassade du Maroc, craignant une initiative intempestive de Scotland Yard.
Voilà le sens des démarches que nous menons avec Me Maurice Buttin en direction des nouveaux responsables français.
Sortir de la logique de la raison d’Etat et apporter des réponses satisfaisantes à nos demandes donneraient une nouvelle impulsion à l’action de la justice. Cela serait autant de signaux forts envoyés aux autorités marocaines qui pourraient les encourager à agir dans le sens de la vérité et la justice, ne serait-ce qu’en répondant favorablement à la nouvelle CRI que nous proposons au juge Ramaël de relancer.
Entendre les témoignages des responsables sécuritaires marocains, faire des fouilles au centre de détention secret, dit le PF3, voilà les premières mesures que devraient prendre les autorités judiciaires marocaines pour débloquer le dossier de leur côté.
Parallèlement, le Conseil national des droits de l’homme – qui est le prolongement du Conseil consultatif des droits de l’homme avec des prérogatives supplémentaires – devrait traduire en actes concrets les engagements de l’Instance Equité et Réconciliation dans le dossier de la disparition forcée. Notre attente, celle des autres familles de disparus, n’a que trop duré. Un an et demi après la mise en place du CNDH, malgré plusieurs rendez-vous reportés, nous attendons que puisse enfin se concrétiser une rencontre.
Chers amis,
Les déclarations du président François Hollande à propos de la répression sanglante de la manifestation du 17 octobre 1961 sont un premier pas allant dans le sens de l’histoire, aussi bien pour faire avancer le nécessaire travail de mémoire que pour rende justice aux victimes.
Nous attendons d’autres pas qui permettraient le dépassement de la raison d’Etat dans le dossier de la disparition de Mehdi Ben Barka et qui feraient progresser l’action de la justice. Ce serait une contribution importante à la vérité, à la mémoire et la justice.
Notre combat n’aurait alors pas été vain. C’est le combat que nous menons depuis 47 années, avec ma famille, notre avocat Me Maurice Buttin et avec vous, associations, syndicats, partis politiques et aussi citoyens dont le soutien est aussi précieux pour nous qu’il est dérangeant pour ceux qui voudraient bien enterrer définitivement ce dossier.
Avant de conclure ce rassemblement, je voudrais saluer la mémoire de Jean Tabet qui nous a quittés l’an dernier, le 1er novembre 2011. Né au Maroc, militant anticolonialiste, antifasciste et antiraciste, il a été un proche compagnon de lutte de Mehdi Ben Barka et de Henri Curiel. La longue maladie contre laquelle il s’est battu n’avait en rien ébranlé sa volonté ni sa détermination à poursuivre avec constance et lucidité et sans concession ses contributions de tous les jours pour le progrès et la liberté des hommes. Il avait notamment lancé avec sa compagne, Simone Roche comme coordinatrice, le « Salon du livre antifasciste » de Gardanne et de Martigues. Je te salue Jean, tu vas nous manquer.
Paris, le 29 octobre 2012