Le Meurtre De Trayvon Martin Ou Le Droit De Tuer

 

Communiqué de la Fondation Frantz Fanon

Le fléau du racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’Afrophobie ne connaissent pas de frontières. Dans l’affaire Trayvon Martin, jeune homme de 17 ans, tué par un vigile privé, la culpabilité de George Zimmerman n’a pas été reconnue ; il a été totalement acquitté en raisons de son droit à la « légitime défense » et a bénéficié d’un non-lieu ; ce qui revient à affirmer que Trayvon Martin était l’agresseur. Le système judiciaire américain autorise à transformer une victime innocente en un coupable idéal qui permet de dédouaner le meurtrier. Ce n’est hélas pas le seul cas et ceux qui sont particulièrement touchés par ce tout de passé passe organisé autour d’un déni du droit sont en majorité Afro américains. Cette décision, rendue sans procès, pose plusieurs questions :

  • la législation de Floride autorisait, puisqu’il y a eu assassinat, la Procureure -républicaine, connue pour sa fermeté et son souci de rendre rapidement un verdict- à suivre son prédécesseur et la demande de la famille de Trayvon qui voulait que l’affaire soit examinée devant un Grand Jury. Refusant cette alternative – ce qui revient à dénier à la famille de la victime le droit à un procès- , elle a, avant même la fin de l’enquête, interprété la loi en faveur du meurtrier, au lieu d’un procès pour assassinat
  • le jury était composé de 6 femmes, -5 blanches, 1 d’origine hispanique, aucune de la communauté afro-américaine- ; cette composition est loin de représenter la population américaine actuelle. Cette décision a été prise au prétexte que la population afro-américaine dans cette ville ne représente que 1% des habitants
  • la loi sur le droit de défendre son territoire – Stand your ground – autorise la légitime défense ; mais dans ce cas, George Zimmerman avait-il nécessité à se défendre ? A-t-il été injustement agressé ? Etait-il sûr qu’il n’y avait d’autre moyen, pour préserver sa vie, que de tuer le jeune Trayvon ? La justice américaine semble ne pas prendre en considération le fait que la légitime défense ne peut être autorisée que si l’ordre social accepte de ne tolérer le crime commis que pour éviter l’agression et qu’il est impossible d’y échapper autrement. La mort de Trayvon Martin a été causée parce que le vigile a agi, pensant être devant une menace éventuelle et hypothétique, sans aucun fondement, hors une capuche et des mains dans les poches. Trayvon ne portait pas d’arme ; il était juste allé chercher des sucreries et du thé au kiosque du coin de la rue. Cette loi existe dans 23 autres Etats des Etats-Unis, ce qui ne porte pas à l’optimisme. Un sondage Gallup réalisé récemment révèle que 36% des Américains possèdent des armes à feu ; parmi ceux-ci 43% sont des hommes ; 44% sont blancs et 49% ont une idéologie conservatrice – www.statisticbrain.com.

On peut affirmer que le verdict est biaisé et relève plus d’une décision expéditive que de celle d’une véritable réflexion sur l’usage de la « légitime défense « et de la caractérisation essentielle de l’agression. Il est normal que cet acquittement est suscité émotion et colère parmi de nombreuses personnes et d’associations telle que le NAACP -Association nationale pour la promotion des gens de couleur- . « Si Zimmermann avait été noir et Martin blanc, le meurtrier aurait été arrêté immédiatement », lâche ainsi un responsable local du NAACP à Sanford. L’affaire porte en elle aussi le contour d’une dérive droitière et sécuritaire qui frappe l’ensemble des États-Unis qui se manifeste par plusieurs faits :

  • Lors de l’année 2012, une augmentation inquiétante du nombre de morts provoquées par les forces de l’ordre ou par des gardes privés assurant la sécurité ; parmi elles, 364 Afro américains ont été tués sur la voie publique lors d’une interpellation ou lors de leur transfert au poste de police.
  • Cinq juges conservateurs de la Cour suprême ont invalidé, le 24 juin dernier, la loi sur les droits électoraux, née après la grande marche des droits civiques de 1965, parce qu’ils la considéraient surannée. Cette loi devait empêcher toute discrimination raciale aux Etats-Unis. Le ministre de la Justice, Eric Holder, également afro-américain, en commentant cette incroyable décision, a affirmé que la Cour avait annulé « une pierre angulaire de notre législation sur les droits civiques » et qu’il s’agissait d’un « revers grave pour les droits de vote qui a le potentiel d’affecter négativement des millions d’Américains ». Près de 50 ans après, cet acquis fondamental pour une démocratie qui devrait être entièrement basée sur la non-discrimination avec son corollaire, l’égalité, est remis en cause de manière indécente. Est-on revenu à l’époque du choix proposé par Malcom X, « Ballot or Bullet » dans un de ses discours de 1964 ? Cette décision est d’autant plus lourde de conséquences que les droits civils actuels agissent essentiellement pour autoriser les États de réduire l’accès aux municipalités des électeurs et électrices issus des minorités.
  • Le 25 août 2012, Mumia Abu Jamal a vu sa peine de mort commuée en prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle par la Cour fédérale de Pennsylvanie qui a pris cette décision sans que ni Mumia ni ses avocats n’en soient informés. Procédant ainsi, la justice de Pennsylvanie voulait éviter que cette décision inique et prise en violation des droits constitutionnels de Mumia soit contestée. N’ont pas été respectés son droit à un avis de la peine, son droit à être informé qu’il pouvait interjeter appel à cette décision, son droit à être présent au tribunal et à faire une déclaration. A terme, leur objectif était que l’oubli vienne recouvrir Mumia. Cet emprisonnement à vie, sans possibilité de libération conditionnelle est tout aussi inhumain que sa condamnation à mort qui lui a valu près de 30 ans dans les couloirs de la mort. Mais, ce coup de force n’a pu totalement réussir. Mumia Abu Jamal a, in extremis, interjeté appel et dénoncé le déni de justice qui, une fois encore le frappe. Le 25 juin 2013, la Cour suprême de Pennsylvanie, dans une décision unanime et rapide, a rejeté l’appel de Mumia Abu-Jamal à nouveau condamné.

Trois exemples, il y en a bien d’autres, montrant que le racisme, loin d’avoir reculé, est toujours présent et, même, selon des universitaires du Michigan, de Chicago et de Standford, les préjugés racistes se sont intensifiés au cours du premier mandat du Président Barack Obama affectant durement les 42 millions d’Afro-Américains. Le racisme est bien l’élément d’une structure donnée et les superstructures idéologiques d’Etat nourrissent l’exclusion par des stigmatisations essentialistes, tout ce qui peut diviser, détruire le lien social, assigner les personnes à une seule et unique communauté est alors subrepticement distillé dans les discours officiels et fixe les représentations mentales.

Le traumatisme du verdict dans l’affaire Trayvon Martin n’a d’égal que ce qu’il révèle d’une société nord-américaine organisée sur la discrimination, la non égalité et le nombre de plus en plus croissant de personnes marginalisées, exclues de toutes politiques sociales, éducatives et culturelles.

Cette xénophobie croissante et ce racisme structurel sont les réalités de la société américaine, malgré les velléités de certains de la présenter comme postraciale où la catégorisation par la race ne compte plus.

En définitive, cette décision a un impact négatif sur la vie des Afro-américains qui peuvent être tués dès qu’un blanc se sent menacé par l’un ou l’autre, et cela en toute impunité ; elle vient par ailleurs confirmer que l’Etat de droit n’a plus que très peu de signification dès lors que le permis de tuer est autorisé en toute impunité, si l’on invoque la légitime défense.

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