En Algérie, l’impasse historique du régime face au hirak de 2019

Par Ghazi Hidouci

Ghazi Hidouci, membre du bureau de la Fondation Frantz Fanon, est en relation depuis plusieurs mois avec un groupe de jeunes algériens avec qui il a des échanges sur les perspectives et les enjeux de la mobilisation populaire actuelle en Algérie. Le texte ci-dessous est un reflet de ces réflexions.

En septembre 2019, plus de six mois après le déclenchement en Algérie d’un immense mouvement populaire appelé hirak en arabe, le régime reste dirigé par l’état-major de l’armée. Le conflit perdure et les chefs de l’armée se retrouvent confrontés au peuple, dans un contexte international marqué par une grave crise économique et une situation sécuritaire très instable. L’état-major de l’armée presse alors pour l’organisation de la présidentielle ; illusion totale pour un candidat refusé par le hirak, qui sera encore moins crédible que Bouteflika. Les acteurs du hirak affirment qu’il faut le temps d’une convention pour mettre en place des principes de réel changement avant d’aller à l’élection présidentielle. Des facteurs externes qui échappent à leur volonté peuvent toutefois imposer une transition catastrophique : la crise économique, financière et stratégique, la baisse des exportations et la fonte des réserves de change, d’une part ; et, d’autre part, les foyers de tensions et de conflits, en Libye et dans les pays du Sahel, auxquels s’ajoute la tension dans le Golfe, sur fond de crise entre les États-Unis et ses alliés israélien et arabe dans la région, rendant possible le déclenchement de conflits militaires. La situation sensible que l’État traverse exige d’autant plus l’accord national démocratique, juste et de liberté que réclame le hirak.Le temps n’est plus favorable à l’état-major, mais les citoyen.nes ne gagnent rien à se précipiter.Seule l’union démocratique qu’ils et elles revendiquent constitue une solution politique et économique efficace et durable et peut redresser le pays dans ces moments graves. Nous appelons donc le hirak, sans attendre, à organiser une convention citoyenne, locale et nationale, qu’aucun règlement n’interdit. Cette convention pourrait sortir le pays du régime de la Issaba (la « bande ») et des partis et lancer les réformes structurelles. Car il n’est plus temps de manœuvrer sur les interprétations byzantines d’une Constitution dépassée.

Les convulsions du régime

Le régime, n’osant pas formellement déclarer cette vérité, utilise des méthodes perverses pour faire admettre l’impossible organisation politique d’une transition contrôlée par le piège constitutionnel. Pour faire taire le refus, il recourt sans gêne à la haine et à la violence. En contrepartie, pour distraire l’opinion populaire, mais surtout pour soumettre certains acteurs économiques de l’« État profond », il ouvre au spectacle les tribunaux afin de faire croire à la disparition de la corruption, du népotisme et de l’endogamie étatique.

Près de sept mois après février et cinq mois après le départ de Bouteflika, le scandale démocratique continue pourtant de plus belle : le pouvoir capté par l’état-major de l’armée contrôle toujours le gouvernement, les institutions policières et judiciaires, ainsi que la presse. Un scandale camouflé par l’alliance des partis, de la presse et des associations antipopulaires, en grande majorité entre les mains des « janviéristes » auteurs du coup d’État de janvier 1992 contre les citoyen.nes et de leurs héritiers. Mais en dépit de la généreuse révolte populaire, force est de constater que la logique mafieuse qui renaît sous de nouvelles formes, avec la complexité des trahisons et des pièges, affaiblit les analyses indépendantes, qui peinent à se saisir du réel, contribuant ainsi à dégrader le dynamisme de la résistance.

Avec le temps et l’opacité de la gestion, on peut donc craindre de nouvelles entreprises de prédation pour octroyer des privilèges mafieux, redistribuer les capitaux publics et rétablir le régime de la Issaba – ce terme, utilisé par le chef de l’état-major pour stigmatiser la « bande » du clan déchu de Toufik Médiène (ancien chef de la police politique, le DRS) et de Bouteflika, a été repris par les manifestants pour condamner l’ensemble des dirigeants du régime, en y incluant le chef de l’état-major de l’armée Ahmed Gaïd Salah. D’où la résistance violente aux revendications populaires affichée par ce dernier et sa volonté obstinée d’installer un président-écran. Mais l’écrasante majorité des citoyen.nes est peu préoccupée par ces politiques mafieuses et leur propagande publique. Il faut, pour mesurer la force de leur pensée et de leur volonté, observer les puissants moyens éthiques de la détermination spirituelle et politique qu’ils mobilisent, exigeant l’éviction des acteurs du régime, au-delà de tous les argumentaires opaques et de tous les spectacles de justice anti-corruption, et qu’ils soient remplacés par un pouvoir contrôlé démocratiquement par les citoyen.nes, de liberté, de justice et de progrès social et économique.

Il importe donc, pour comprendre le mouvement populaire, de quitter les visions bornées et élitistes. Car celui-ci est de la même importance que celui déclenché en novembre 1954. Après plus de six mois de résistance, le hirak comprend clairement les raisons historiques de la dictature qui l’enserre et à quel point, après l’échec du Congrès de la Soummam en 1956, les conditions déplorables du transfert en 1962 du pouvoir étatique ont bafoué la démocratie. Pour la grande majorité, la réalité est que la citoyenneté n’a pas été respectée depuis lors et que c’est la raison de notre sous-développement et de l’effondrement de notre État. L’illégitimité du pouvoir étatique, à laquelle fait référence le chef de l’état-major, n’est pas comme il le dit celle du seul Bouteflika et de sa « bande », mais bien celle de l’ensemble du régime dont Gaïd Salah est lui-même membre depuis 1962. C’est cette illégitimité qui, pour la plupart de nos concitoyens, bloque la préparation digne d’élections. Il ne faut donc pas s’y précipiter, car elle doit avoir pour base un nouveau régime, en rupture totale avec l’ancien.

Les partis politiques et les commentateurs des médias algériens se refusent à ce constat politique d’évidence, ce qui n’est pas surprenant. Objectivement alliés avec l’état-major, leurs responsables (toujours en place ou héritiers complaisants des plus anciens) ont en effet approuvé le viol démocratique intervenu en 1992, après les timides réformes pacifiques de 1989-1991. On a alors présenté au peuple ce coup d’État comme une « libération » pour masquer la réalité de la division religieuse et politique, et organiser un massacre sans précédent historique pour la guerre du pouvoir. Vingt-sept ans après, cette réalité reste largement présente dans la mémoire des citoyen.nes (y compris de celles et ceux nés bien après), même si elle est âprement niée par les dirigeants du régime, reprochant au hirak d’utiliser un langage non « consensuel », non patriotique et aventureux…

Mais il est essentiel de préciser que le chef de l’état-major ne parle pas sous sa seule responsabilité, contrairement à ce que laissent entendre la plupart des commentateurs, surtout en France et en Occident, qui le présentent régulièrement comme le « nouvel homme fort » du régime. En réalité, Ahmed Gaïd Salah, soixante-dix-neuf ans, intellectuellement très limité (et physiquement diminué), n’est que le falot porte-parole de la mafia des généraux dont la « coupole » toujours en place, composée d’officiers un peu plus jeunes (dans la soixantaine) et dont les noms restent secrets, tient le pouvoir réel. Il a été seulement « placé » par cette direction militaire pour assurer la succession logique de Bouteflika, à la suite d’obscurs règlements de comptes entre clans, qui ne concernent nullement les citoyens.

Contraints ainsi d’agir face à des fantômes, les manifestants du hirak s’obstinent à « vendrediser » raisonnablement, affichant chaque semaine par millions leur volonté pacifique de voir enfin naître une politique responsable et citoyenne. Plus de six mois après le déclenchement du mouvement, cette revendication démocratique demeure ontologique comme en 1962 : elle menace la volonté des chefs de l’armée de diriger notre société, en retirant toute légitimité aux pseudo-dirigeants politiques occupant les rangs d’une Assemblée nationale entièrement factice, en dénonçant l’élection du président comme une farce visant à masquer les privilèges de la Issaba. L’analyse exprimée très clairement par les marcheurs du peuple est ainsi parfaitement explicite : dans la règle mafieuse imposée par leur propre lecture de la Constitution, les chefs de l’état-major court-circuitent l’ensemble des garde-fous de la démocratie, permettent un pouvoir où le clanisme et les avantages économiques illégaux sont érigés en normes, où les dirigeants peuvent créer des milices secrètes pour imposer l’ordre, déstabiliser les institutions et piller.

Les mesures immédiates

Au nom des articles 7 et 8 de la Constitution – affirmant la souveraineté du peuple –, les citoyen.nes réclament donc logiquement le départ du gouvernement et des représentants du pseudo-État qui empêchent leur libre organisation. Il est possible pour le hirak, dans un débat démocratique transparent, de lutter radicalement contre la corruption et d’orienter efficacement les investissements utiles. Il n’a pas besoin du cinéma des tribunaux qui peuvent continuer de délibérer parallèlement. Organisé, le hirak peut débattre utilement, commune par commune, des subventions budgétaires qui ont enrichi les mafieux et les orienter vers le bien public. Il peut aussi suivre les services de prêts des banques aux mêmes prédateurs, il peut enfin s’informer des avantages offerts aux délinquants ; tout cela se trouve à portée de revendication. Cette perspective, aucun membre de notre « élite » n’a cherché à l’expliquer pendant cette période dans l’espace public. Ce refus est infligé au quotidien par ceux qui portent le régime, dont les mauvaises politiques budgétaires, bancaires, monétaires accroissent les inégalités insupportables, détruisent la société et s’attaquent quotidiennement aux biens et aux fonctions. Ils s’apprêtent à ruiner plus encore le pays avec la loi de finances 2020, avant l’arrivée du président qu’ils appellent de leurs vœux, alors que ce sont les « illettrés » du hirak qui s’en inquiètent et appellent à l’action dynamique et libératrice.

Libératrice dans le développement démocratique, ouvert à tous, de ses assemblées locales populaires, elle est la source de liberté et de justice, le lieu de la politique authentique. Dans son organisation en gestation, le hirak inverse ainsi les rôles. Voilà que les installés, les pilleurs et les profiteurs se mettent à trembler. Voilà que ceux qui s’étaient joyeusement engagés, sans jamais craindre de contrecoup, retrouvent espoir.

Voilà pourquoi le chef de l’état-major se montre si véhément pour attaquer une révolution dont il sent qu’il en constitue la première cible. Voilà pourquoi les partis tremblent tant à l’idée de l’appuyer. En appelant ses assemblées, le hirak montre que le prétendu dialogue mis en avant par ces politiques a en réalité sa source dans le régime. Le « dialoguisme » macule l’ombre de l’état-major d’intrigants que l’on pensait relégués en nos bas-fonds. Il s’appuie sur mille compromis, manipulations et opérations diverses qui visent l’organisation d’une élection illégitime, en cherchant la confrontation avec le hirak. Mais ni moralement ni politiquement, celui-ci ne peut attendre ; il ne suffit pas de manifester ou d’appeler à de puissantes grèves, il faut s’organiser. La défaillance de l’état-major doit lui être retournée par le mépris dans les assemblées locales.

D’autant que le temps presse car, rongé par ses paradoxes, le pouvoir illégitime se dirige fatalement vers le cimetière, de l’aveu même du chef de l’état-major : en décembre 2019, le régime n’aura même plus de moyens budgétaires. La dynamique de révolte politique ne suffit plus : la pression populaire est passée à une étape victorieuse lorsqu’il a fallu éliminer la limite constitutionnelle de juillet. Cette étape a été plus difficile et dangereuse que la précédente pour l’état-major, en provoquant la dislocation du front de pouvoir militaire et la fuite à l’étranger du général Nezzar ; elle a maintenu la mobilisation populaire et l’a renforcée en élargissant le débat aux conclusions du congrès de la Soummam et à la réalité de l’application des articles 7 et 8 de la Constitution. La révolution du hirak entre maintenant dans une nouvelle phase en raison de la marche arrière tactique de l’état-major, tenté d’imposer sa volonté par la force des armes, dictée par ses propres contraintes internes : c’est le compromis du dialogue avec les lépreux pour aboutir aux élections dans les plus brefs délais, « parce que le temps n’est pas de notre côté ». Pour ne pas avouer leur échec, ses responsables avancent l’argument du secret policier, car les citoyen.nes doivent rester ignorants des raisons de cette précipitation. Ce qui se rajoute aux déjà inconstitutionnelles décisions de gestion de la situation…

C’est une question de temps, il faut donc s’organiser pour nourrir la patience et la détermination. Il est temps pour le hirak de s’organiser dans une logique politique singulière et non dans la reproduction des logiques défaillantes traditionnelles qui sont celles des « dialoguistes ». Aucun citoyen n’a le souci d’installer un président avant d’avoir l’accord sur les règles de vie : là se fonde l’unité de la nation, la construction rationnelle et systématique, hors de l’hypocrisie de la scolastique politicienne dont les citoyen.nes sont saturés. La seule vraie vertu est de comprendre, de vivre en vérité. La Convention des citoyens, librement réunis, sans censure, doit dicter les règles qui lui conviennent.

Il faut de véritables droits, les mêmes pour tous et toutes ; le chef de l’état-major ne peut nous forcer à voter pour un président que nous n’avons pas choisi. Telles sont les règles simples d’une humanité commune. Contre la démocratie « exclusive » de Gaïd Salah et ses mandants, nous affirmons le principe d’égalité dans la liberté et la responsabilité de chacun. L’égalité élimine l’esprit « communautariste » ou « clanique », qui interdit de penser les systèmes de domination dans leur entremêlement, les hiérarchies dans les groupes sociaux… La liberté, limitée à sa version individualiste d’épanouissement personnel, devient alors un outil de dépolitisation, car elle nie les enjeux collectifs et parce qu’elle fait de l’application du principe d’égalité une question morale et non de justice. Penser vrai engage donc à détruire la fausse pensée, les préjugés des chefs religieux et des politiques qui se lient pour soumettre la liberté. C’est bien l’indignation face à la limitation de la liberté qui précipite les citoyen.nes dans la rue.

Comment oser appeler à voter quand aucune loi liberticide n’a été abrogée ?

L’élection est adéquate quand elle présente les signes du vrai, la clarté et la distinction. Elle est inadéquate et refusée quand elle est ainsi mutilée, confuse. Il ne sert à rien de menacer faute d’arguments ; cela ne change pas le mensonge et manifeste l’ignorance et l’illusion. Dans cette logique, l’état-major est demeuré totalement dans l’impuissance de l’ancien régime. Seule la liberté rend possible la paix sociale, le bien commun et la prospérité. Tandis que pour l’état-major, bien et mal, juste et injuste n’ont aucun sens, il n’y a pas de critère de valeurs ni de contrat, il s’identifie à sa force. Or, sans contrat, il n’y a pas de président, pas même d’État. L’élection est obsolète. Il ne reste pour la résistance du hirak qu’à organiser les gens localement pour agir calmement, dans la pratique quotidienne, afin de permettre une vie humaine digne de ce nom, le plus tôt possible.

L’état-major joue en effet avec le feu. D’autant plus que des ennemis extérieurs à notre société produisent des approches myopes et des excuses infantiles dans leurs efforts politiques pour soumettre le peuple, investissant sur l’alliance avec les dirigeants. Leurs manœuvres augurent d’une nouvelle confrontation avec les citoyens. Mais il n’est pas question de permettre au scénario de l’Irak, de Syrie, de Libye de se répéter, pas question de revenir en arrière. Le hirak, en lien avec l’armée, mise sur le fait que le peuple va résister ; il sait qu’en restant uni, il constitue un rempart stratégique à l’agression. Nous devons insister sur que ce que nous avons acquis dans nos luttes d’hier pour l’indépendance en termes de confiance en soi, de présence dans les arènes, de résistance voire d’exploits. Ce qui se passe aujourd’hui dans notre société est très important, car la menace est de nature existentielle. Le projet de morcellement de la région n’a aucun lien avec la démocratie, il vise à la dominer et à la détruire. Notre lutte de résistance empêche la division de la région, d’ouvrir les frontières aux terroristes, de les financer, de détruire l’État.

La soumission économique procède des mêmes menaces. Les pays occidentaux, réunis dans un club fermé qui n’accepte que leur vision du monde, se disent partisans des valeurs libérales et les vendent à nos élites, sans pour autant mettre en pratique toutes les valeurs du libéralisme. Alors qu’on ne peut s’en réclamer tout en étant intolérant à la dissidence pacifique. Et loin de favoriser des mécanismes de marché reposant principalement sur les lois de la libre concurrence, les modèles économiques de ces pays s’appuient surtout sur un sévère protectionnisme étatique économique et financier, à l’aide de sanctions, de manipulations financières, d’effets sur les prix de l’énergie grâce à une politique étrangère agressive, etc. D’où la menace permanente de la guerre commerciale, dans laquelle tous les moyens sont bons, jusqu’à la destruction par les armes du système juridique de relations existant. Nous devons donc reconstruire notre économie selon les valeurs spirituelles et économiques universelles auxquels adhèrent nos citoyens et dans l’objectif d’éliminer la pauvreté, les inégalités, la corruption, le gaspillage de capitaux et la spéculation monétaire.

En synthèse, nous sommes manifestement confrontés à une dualité de pouvoirs sur le terrain : celui de l’état-major de l’armée qui entend maintenir sa domination et celui du hirak qui mobilise les citoyen.nes pour un régime démocratique de liberté et de progrès. Les citoyen.nes ont donc le choix entre deux voies : continuer à se mobiliser en révolution de liberté et de responsabilité ou accepter l’ignorance et la soumission. Le hirak doit s’organiser pour faire avancer dans l’ordre les citoyen.nes dans une perspective longue qui n’est pas celle de l’état-major : rien ne nous presse, nous avons le temps de penser aux règles de l’État du prochain régime, en poursuivant la lutte jusqu’à la réalisation complète des objectifs du changement. Ceux qui considèrent cette position comme divisant le hirak et croient qu’elle l’affaiblit ont tort. Nous ne sommes liés ni par les secrets de l’état-major ni par le « panel » du dialogue qu’il parraine, expressions d’une pression réactionnaire qui ne représente rien dans la société.

La prochaine étape consiste donc à créer partout des assemblées citoyennes du hirak et à débattre des règles fondamentales des principes de liberté, de justice et de progrès que chacun connaît spirituellement et dans la pratique. Et cela doit se faire avec le minimum d’efforts et le maximum de paix. La résistance populaire doit entrer pacifiquement dans la phase de la dualité de pouvoir incarnée par les assemblées locales. Sans cela, elle ne peut que s’embourber dans les manœuvres de partis et de directions centrales et pourrait finir par creuser sa propre tombe. Les assemblées locales doivent également chercher des solutions de patience au fonctionnement de l’économie aujourd’hui dans le rouge par l’incapacité du gouvernement – les logements ne sont pas redistribués avec justice, les jeunes ne trouvent pas de travail et souffrent du clientélisme et du népotisme, ils sont poussés au trafic de drogue, de psychotropes et d’alcool, pour ne citer que quelques maux parmi les plus évidents. Les assemblées peuvent briser localement l’écueil et faire émerger les solutions en lieu et place d’une machine économique et financière détraquée : les compétences de pensée et d’action viendront d’elles et non d’un régime traumatisé et sans vision. Elles seront l’espace politique de citoyens normaux avec des droits et des devoirs à accomplir et devront débattre jusqu’à comprendre le fond du désespoir des citoyen.nes méprisés.

À défaut, faute d’initiatives militantes locales du hirak, ces derniers pourraient être tentés de se radicaliser dans l’inefficacité, alors que le rapport de forces est en leur faveur. Le régime n’a ni crédibilité ni vision, s’appuie uniquement sur la menace de la force, de plus en plus problématique. Car la répression contre des assemblées locales nombreuses et pacifiques à travers tout le territoire national signerait la fin de l’institution militaire au profit des ennemis extérieurs. Le régime est incapable de formuler des solutions, il faut en tirer des conclusions : supprimer à l’origine la corruption et les avantages qui s’enracinent dans le régime, occuper l’espace abandonné.

Ghazi Hidouci[1], 2 septembre 2019


[1] Économiste, ancien ministre algérien de l’Économie (1989-1991), auteur de Algérie, la libération inachevée, La Découverte, Paris, 1995 ; et membre du bureau de la Fondation Frantz-Fanon.

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