Il n’y a aucun mot exprimant l’indicible de l’assassinat de Samuel Paty.
Rendre hommage à ce professeur serait de respecter son travail et sa mémoire en ne tombant pas dans l’essentialisation des personnes de religion musulmane, en ne jouant pas sur des amalgames primaires. Pour les personnes assumant des fonctions de domination, quel que soit le niveau, elles devraient être soucieuses de ne pas se laisser aller à une islamophobie primaire, au risque de perdre le peu de crédibilité qui leur reste. Elles devraient lutter contre le racisme d’Etat et contre la descente aux abymes de l’Etat de droit. La poursuite des politiques islamophobes de l’Etat par l’institutionnalisation des musulmans et de l’islam en corps d’exception régis par des lois d’exception mine la définition même de l’Etat de droit.
Il est temps de refuser de se mettre du côté des loups pour maintenir un climat de peur, de haine de l’Autre qui est imposé depuis des décennies à ceux qui sont dominés. Dans l’émotion légitime et la sidération, la peur ne peut servir de ligne à des analyses qui se prétendent politiques, sociales, éthiques et religieuses. Entendre le président de la République réclamer un Islam des Lumières (discours aux Mureaux) revient à entériner, une fois encore, la domination que veut exercer la Modernité euro-centrée, pensée par des Blancs pour des Blancs. C’est faire fi de l’histoire coloniale de la France et des migrations successives qui ont changé la composition de l’histoire de la population de ce pays. Assimiler l’Islam politique à un Islam radical renvoie à ce qui fut mis en place en Amérique latine lorsque des Etats chassaient, dénonçaient, violaient les droits fondamentaux des membres de l’église catholique se réclamant de la théologie de la libération.
Dire cela ne revient nullement à soutenir l’Islam radical. Pourquoi l’Etat français exige-t-il des musulmans une attache à leur religion irréprochable au regard de ce que la laïcité définit comme une religion acceptable ; pourquoi ne se cabre-t-il pas, avec la même ferveur, contre les courants fondamentalistes des églises chrétiennes ou orthodoxes de la religion juive ? Chacun, chacune devrait s’interroger sur cette obsession bien française contre l’Islam qui aujourd’hui vise les musulmans, érigés en véritable ennemi de l’intérieur ; en outre chacun, chacune devrait se rappeler que cette volonté de civiliser les impies ne datent pas d’hier.
Ce que les citoyens attendent d’un Etat de droit c’est qu’il n’amalgame pas tout dans une même approche ; qu’il ne sur-réagisse pas. Ce serait bien que cet Etat, et plus généralement tous ceux qui jouent de la peur de l’Autre, du grand remplacement et du risque de perte de l’ identité nationale et qui ne cessent d’ériger des murs entre le Nous et Eux, l’Être et le Non Être, entre l’humain et le plus ou moins humain, cessent d’agir à coups de menaces, de décrets liberticides et de manque de lucidité. Il est plus que temps de reconnaitre l’action des Non-Êtres pour leurs droits, par eux-mêmes et pour eux-mêmes. En demandant la fermeture d’une organisation comme le CCIF, avec laquelle la Fondation Frantz Fanon a travaillé et continuera de travailler, le gouvernement montre son incurie et son penchant pour la discrimination. Plus que jamais, la défense des droits fait partie de la solution, et non du problème.
La Fondation Frantz Fanon rappelle que des organisations internationales de défense des droits humains s’alarment depuis des années du climat délétère pesant sur les musulmans de France, et de l’instrumentalisation de la laïcité dans la mise en oeuvre de politiques discriminatoires. Aujourd’hui, sous couvert de lutte contre le terrorisme, ce sont les acteurs directs de la lutte contre l’islamophobie et de défense des droits humains qu’on criminalise. Plus grave encore, non content de désigner le CCIF et l’ONG BarakaCity comme des « ennemies de la République » le ministre de l’intérieur assume de lancer une vague d’opérations de police pour « envoyer un message » à des dizaines de personnes sans lien aucun avec une entreprise terroriste. Cet usage arbitraire des forces de police à des fins explicites de répression politique est indigne d’un Etat.
Un peu de dignité !
Fondation Frantz Fanon