Pour une solidarité décoloniale et internationale avec la Kanaky 

English version below

Il y a quelques jours, il m’a été demandé de signer une tribune soutenant les positions du peuple kanak qui refuse d’une part le report des élections provinciales et d’autre part la modification de la constitution visant à autoriser toute personne non kanak vivant depuis 10 ans en Kanaky à voter et à être élue pour les assemblées de province. Après réflexions j’ai préféré ne pas la signer. 

Ces revendications ne suscitent aucune hésitation dès lors que l’on défend le droit des peuples à l’autodétermination et à leur souveraineté politique. Faut-il encore que le champ lexical de cette solidarité soit l’expression d’une posture décoloniale en refusant l’emploi de termes suffisamment problématique pour s’interroger sur l’idéologie portée par une appellation comme Nouvelle Calédonie alors que les occupés revendiquent le nom ancestral Kanaky.

Le changement de la constitution relève d’un énième subterfuge dont ont l’habitude les occupants-dominants qui ne cessent de s’effrayer dès lors qu’ils pensent que leur population de souche, majoritairement blanche, est sur le point de subir ce que certains appellent le Grand remplacement. En Kanaky, le gouvernement français veut appliquer, en contradiction avec les accords de Nouméa, ce qu’il redoute pour son peuple. 

N’y aurait-t-il pas quelques contradictions à reconnaître le droit de tout peuple illégalement occupé de revendiquer son droit à l’autodétermination et la souveraineté politique tout en terminant cette tribune de soutien par un sursaut quasiment républicain « pour l’image de la France et celle de la République » ? Cette France et cette république ne sont-elles pas celles que nous combattons, car elles maltraitent leurs citoyens, les utilisent ou les abandonnent selon ses besoins ? 

N’est-ce pas elle, cette France raciste, capitaliste et libérale que toute personne s’opposant à la colonisation, au colonialisme et à la colonialité du pouvoir, se doit de combattre sans ciller et de dénoncer sans aucun compromis car elle n’a jamais cessé d’être dans le camp des dominants impérialistes et hégémoniques ? 

Refuser de reconnaître le droit du peuple kanak à l’autodétermination et à la souveraineté politique tout en changeant la constitution est l’expression même de la colonialité du pouvoir imposée à un peuple occupé et dont cette république refuse de reconnaître l’ensemble des droits ; pour la France, le peuple kanak, malgré les accords de Nouméa, n’existe pas.

Il faut bien regarder en face ce qui se passe dans les colonies françaises où il est de rigueur de « blanchiser » les populations autochtones, par des subterfuges divers dont celui pervers de la réforme constitutionnelle pour obtenir un corps électoral glissant, ou par la nomination de fonctionnaires venant de l’hexagone afin d’assurer des postes à responsabilité alors que des autochtones, formés en conséquence, pourraient grandement le faire. S’installe ainsi un chassé-croisé entre les territoires colonisés et l’hexagone qui permet, à terme, de blanchir nos pays soumis aux diktats d’une colonisation coloniale. Une fois de plus les corps noirs ne comptent pas. On ne peut tomber dans ce piège ; il en va de l’autonomie, de l’indépendance et de la souveraineté de nos territoires. On ne peut oublier que depuis 1986, la Kanaky, nommée Nouvelle Calédonie par les colonisateurs, est un des 17 territoires non autonomes, aux termes du chapitre XI de la Charte des Nations Unies et qu’elle est toujours à l’ordre du jour du Comité spécial de la décolonisation, chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (dernière mise à jour 12/05/2023). Dans le cas de la Kanaky, la France n’est qu’une Puissance administrante ! 

Actuellement, alors que le gouvernement Macron criminalise la solidarité, nous, qui leur résistons, devons être fermes sur nos positions décoloniales et sur les demandes des peuples en lutte. En Kanaky, on instrumentalise le droit du sol pour « blanchir la population » ; à Mayotte, ce même gouvernement raciste et colonial l’instrumentalise pour éviter que la population noire ne domine.  Une fois encore on doit pointer que l’État français comme nombre d’états colonisateurs et anciennement esclavagistes violente les populations qu’il considère comme des Non-êtres.

Nous devons refuser d’être dupes en utilisant un argumentaire de l’imprécision et du flou qui fait le jeu de la colonialité du pouvoir sur les Non-Êtres que sont les noirs qui ont le droit de vivre, sur leurs territoires, en indépendance et en souveraineté politique. Les ennemis d’un monde réellement décolonial se repaissent de ces ambiguïtés et s’en servent pour diviser et criminaliser. 

Pour une Kanaky libre, indépendante et souveraine !

Mireille Fanon Mendès France


For a decolonial and international solidarity with Kanaky

A few days ago, I was asked to sign a tribune supporting the positions of the Kanak people, who reject both the postponement of provincial elections and the constitutional amendment to allow any non-Kanak living in Kanaky for 10 years to vote and be elected to provincial assemblies. After some thought, I decided not to sign it.

There’s no room for hesitation when it comes to defending the right of peoples to self-determination and political sovereignty. The lexical field of this solidarity must also be the expression of a decolonial posture, refusing to use terms that are sufficiently problematic to raise questions about the ideology behind a name like “New Caledonia”, when the occupied claim the ancestral name of Kanaky.

Changing the constitution is the umpteenth subterfuge used by the dominant occupiers, who never cease to be frightened when they think that their native population, the majority of whom are white, is about to undergo what some call the Great Replacement. In Kanaky, the French government wants to apply, in contradiction with the Nouméa Accords, what it fears for its people.

Is there not some contradiction in recognizing the right of any illegally occupied people to claim their right to self-determination and political sovereignty, while at the same time ending this supportive forum with a quasi-republican salvo “for the image of France and the Republic”? Aren’t this France and this Republic the ones we’re fighting against, because they mistreat their citizens, use them or abandon them according to their needs?

Isn’t this the racist, capitalist, liberal France that anyone opposing colonization, colonialism and the coloniality of power must fight without blinking and denounce without compromise, because it has never ceased to be in the camp of the dominant imperialists and hegemonists?

Refusing to recognize the Kanak people’s right to self-determination and political sovereignty, while changing the constitution, is the very expression of the coloniality of power imposed on an occupied people whose full rights this republic refuses to recognize; for France, the Kanak people, despite the Nouméa Accords, do not exist.

We have to face up to what is happening in the French colonies, where it is de rigueur to “whitewash” the native populations, through various subterfuges including the perverse one of constitutional reform to obtain a slippery electorate, or by appointing civil servants from the hexagon to hold positions of responsibility when natives, trained accordingly, could do so much better. In this way, a “chassé-croisé” is set up between colonized territories and France, which in the long term will enable us to whitewash our countries under the dictates of colonial rule. Once again, black bodies don’t count. We cannot fall into this trap; the autonomy, independence and sovereignty of our territories are at stake. We cannot forget that since 1986, Kanaky, named New Caledonia by the colonizers, has been one of the 17 Non-Self-Governing Territories under Chapter XI of the United Nations Charter, and that it is still on the agenda of the Special Committee on Decolonization, charged with studying the situation with regard to the implementation of the Declaration on the Granting of Independence to Colonial Countries and Peoples (last updated 12/05/2023). In the case of Kanaky, France is only an administering Power!

At a time when the Macron government is criminalizing solidarity, we who resist them must stand firm on our decolonial positions and the demands of peoples in struggle. In Kanaky, the right to land is being used to “whiten the population”; in Mayotte, the same racist and colonial government is using it to prevent the black population from dominating. Once again, we must point out that the French state, like many colonial and former slave states, violates the populations it considers to be non-beings.

We must refuse to be fooled by the vagueness and imprecision of the argument, which plays into the hands of the colonial power over the non-beings that are black people, who have the right to live in independence and political sovereignty in their own territories. The enemies of a truly decolonial world feed on these ambiguities, using them to divide and criminalize.

For a free, independent and sovereign Kanaky!

Mireille Fanon Mendès France

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