Luttons avec notre jeunesse pour un monde décolonial

La Fondation Frantz Fanon a participé, le 21 avril 2024 à la Marche contre le racisme, contre l’islamophobie et pour la protection des enfants

Que ce soit à Mantes où la police maltraite 150 jeunes en les obligeant à s’agenouiller, mains sur la tête, pendant des heures, et cela n’interroge ni les responsables politiques ni les institutions étatiques. Ces pratiques n’ont-elles pas été utilisées lors de la guerre de libération de l’Algérie ? L’Etat colonial qu’est la France n’a pas oublié ses méthodes d’asservissement et d’humiliation.  

Que ce soit dans l’hexagone où les jeunes mineurs isolés sont abandonnés à la rue, dans l’espoir qu’ils deviennent majeurs et donc expulsables, n’est-ce pas ainsi que l’Etat français a toujours traité les jeunes de l’assistance publique : une fois majeurs à eux de se débrouiller et de tout faire pour ne pas se retrouver en prison, case quasi obligatoire après l’assistance publique. N’est-ce pas ainsi d’ailleurs que cet Etat colonial a traité les nouveaux libres au moment de l’abolition de 1848 ? Tout nouveau libre trouvé errant était jeté en prison. Dès lors ces nouveaux libres n’ont eu d’autre choix que de retourner chez leurs anciens maîtres. Les corps racisés n’appartiennent toujours pas à ceux qui les habitent ! Une façon d’obtenir de la main d’œuvre gratuitement et de pérenniser un système capitaliste d’exploitation et de vol des terres basé sur la race.

Que ce soit à Mayotte où les enfants comoriens nés à Mayotte sont séparés de leurs parents alors que cette île n’a jamais cessé d’appartenir à l’Etat des Comores. Régulièrement l’ONU demande à la France de respecter la souveraineté et l’autodétermination des Comores et de cesser d’occuper Mayotte. L’idéologie de la préférence nationale règne ! mais de quoi parle t on lorsque l’on est un Etat qui occupe une terre illégalement acquise ? Et que dire d’un Etat qui s’arrange avec les accords de Nouméa ? Sa volonté étant de blanchir la Kanaky tout comme il veut blanchir ses autres colonies, entre autres dans les Caraïbes.

Que ce soit dans nos quartiers, dits périphériques, où notre jeunesse est confrontée aux murs des cités alors qu’ils rêvent d’un futur que notre société libérale et raciste leur refuse ; ne sont-ils pas islamistes ? ne sont-ils pas de potentiels terroristes ? Pourquoi veulent ils franchir les murs de leurs cités ? Et l’Etat accuse les parents, les grands frères ! l’Etat s’interroge t il sur le trafic de drogues installé au pied des cités ?  A qui profite l’argent ainsi blanchi ?

Que ce soit en Guadeloupe où Darmanin, appelé à la rescousse parce que la ville de Pointe à Pitre s’embraserait à cause de la délinquance, décide d’instaurer un couvre feu dès 20h pour tous les jeunes de moins de 18 ans. Darmanin, notre société, ceux qui dirigent devraient réfléchir aux raisons de tels débordements. Est-ce la faute des parents qui n’interdisent pas à leurs enfants de manifester, de rester dehors ou de rêver à un ailleurs qui ni ne les déshumanise ni ne les ignore ?

En Guadeloupe, 61% des jeunes de 18 à 25 ans sont sans emploi, sans formation, (alors qu’au niveau hexagonal, le niveau est seulement de 11%), l’illettrisme augmente de manière galopante, les sorties du système scolaire aussi, quel avenir pour eux ?  Dans la tête des décideurs politiques ces jeunes existent-ils ? Lorsque des marchés publics sont décidés, qui vient en assumer les postes en responsabilité ? Des Européens ! L’Etat se refusant de mettre en place des formations qualifiantes permettant aux jeunes Antillais d’assurer ces postes. L’idéologie raciste est toujours là, le Noir n’est pas assez responsable, pas assez déterminé ! Qui dit cela ? l’Etat colonial et ses sbires qui préfèrent exploiter la force de travail des Noirs comme cela se faisait au temps de la plantation. Rien n’a changé. Quant à l’arabe on entend peu ou prou la même chanson. Bien sûr qu’il y a des exceptions, mais ces dernières ne confirment elles pas la règle ?

Si aujourd’hui, nous ne prenons pas la décision d’une rupture tant épistémologique qu’ontologique pour inverser le paradigme de la domination, notre jeunesse continuera à être maltraitée, violentée, humiliée, car elle est devenue dans ce système capitaliste libéral une des énième variable d’ajustement structurel.

De notre détermination à inverser la domination blanche, et cela à tous les niveaux, y compris dans les rangs d’une gauche actuellement exsangue et problématique, dépend non seulement notre futur mais surtout celui des jeunes sur lesquels la police exprime sa peur et sa crainte en commettant des actes criminels la plupart du temps réduits à des délits. Notre police tue, mutile, maltraite et vole la dignité de toute personne se trouvant entre ses mains. Il en était ainsi du temps de la mise en esclavage ; ce paradigme n’a jamais changé. Cette police bénéficie d’un système d’impunité mis en place dès les abolitions. Il s’agissait d’éviter aux criminels que furent les propriétaires de mis en esclavage et aux Etats qui ont autorisé le génocide et le crime contre l’humanité de ne jamais être jugés. Cela se perpétue encore de nos jours et est une insulte à toutes les victimes, à leurs familles et à tous ceux qui se battent à leurs côtés. Nous devons obtenir justice, nous n’abandonnerons pas jusqu’à ce que justice soit dite et faite. Un crime est un crime.

Changer ce paradigme exprimé par la colonialité du pouvoir suppose d’en passer par un travail décolonial collectif et politique portant sur les réparations concernant la traite transatlantique, la mise en esclavage, la colonisation et le colonialisme. Ce n’est qu’à cet effort que la colonialité du pouvoir sera obligée de changer son narratif sur ceux qu’elle considère comme des Non Êtres.

Notre jeunesse est notre devenir, aidons-la à respirer, à découvrir la beauté du monde, refusons que lui soit imposé ou des mains sur la tête, ou des baillons sur la bouche, ou des bandeaux sur les yeux ou une obligation de vivre sans espoir dans une cité abandonnée et délabrée. Luttons avec eux pour un monde décolonial. Luttons avec eux pour un monde sans capitalisme raciste et libéral. 

Mireille Fanon Mendès France


Let us fight alongside our Youth for a decolonial world

On April 21, 2024, the Frantz Fanon Foundation took part in the March against racism, Islamophobia and for the protection of children.

Whether in Mantes, where the police mistreat 150 young people by forcing them to kneel, hands on their heads, for hours, neither politicians nor state institutions question this. Weren’t these practices used during the Algerian war of liberation? The colonial state of France has not forgotten its methods of enslavement and humiliation. 

Whether in France, where young unaccompanied minors are abandoned on the streets in the hope that they’ll come of age and be deportable, isn’t this how the French state has always treated young welfare recipients: once they’ve come of age, it’s up to them to fend for themselves and do everything they can to avoid ending up in prison, which is almost obligatory after welfare. Wasn’t this also the way the colonial state treated new freemen at the time of abolition in 1848? Any new freeman found wandering was thrown into prison. From then on, these new freemen had no choice but to return to their former masters. Racialized bodies still don’t belong to the people who live in them! A way of obtaining free labor and perpetuating a capitalist system of exploitation and land theft based on race.

Whether in Mayotte, where Comorian children born in Mayotte are separated from their parents, even though the island has never ceased to belong to the State of the Comoros. The UN regularly calls on France to respect the sovereignty and self-determination of the Comoros and to stop occupying Mayotte. The ideology of national preference reigns! But what are we talking about when we’re talking about a state occupying illegally acquired land? And what can we say about a state that has come to terms with the Nouméa Accords? its desire is to whitewash Kanaky just as it wants to whitewash its other colonies, in the Caribbean among other places;

Whether it’s in our so-called peripheral neighborhoods, where our young people are confronted with the walls of the estates as they dream of a future that our liberal, racist society denies them; aren’t they Islamists? aren’t they potential terrorists? Why do they want to cross the walls of their housing estates? And the state blames the parents, the big brothers! Does the state wonder about the drug trafficking that takes place at the foot of the housing estates?  Who benefits from this laundered money?

Whether in Guadeloupe, where Darmanin, called to the rescue because the city of Pointe à Pitre was going up in flames due to delinquency, decides to introduce a curfew from 8pm for all young people under 18. Darmanin, our society and those in power should reflect on the reasons for such outbursts. Is it the fault of parents who don’t forbid their children to demonstrate, to stay outside or to dream of an elsewhere that neither dehumanizes nor ignores them?

In Guadeloupe, 61% of young people aged 18 to 25 are unemployed and untrained (compared with 11% in France), illiteracy is on the rise, and so are school dropouts. What does the future hold for them?  Do these young people exist in the minds of political decision-makers? When public contracts are awarded, who comes to assume the positions of responsibility? Europeans! The state refuses to set up training courses to enable young West Indians to take on these jobs. The racist ideology is still there: the black man is not responsible enough, not determined enough! Who says so? The colonial state and its henchmen, who prefer to exploit Black labor power as they did in the plantation days. Nothing has changed. As for Arabs, we hear more or less the same song. Of course there are exceptions, but don’t they prove the rule?

If we don’t decide today to make an epistemological and ontological break with the paradigm of domination, our young people will continue to be mistreated, violated and humiliated, as they have become yet another structural adjustment variable in this liberal capitalist system.

Our determination to reverse white domination at all levels, including within the ranks of the currently bloodless and problematic left, depends not only on our future, but above all on that of the young people on whom the police express their fear and dread by committing criminal acts that are mostly reduced to misdemeanors. Our police kills, maims, abuses and robs the dignity of every person who comes into their hands. This is how it was in the days of enslavement; this paradigm has never changed. This police force benefits from a system of impunity that has been in place since the abolitions. The aim was to ensure that the criminals who owned the enslaved and the states that authorized genocide and crimes against humanity were never brought to trial. This continues to this day, and it is an insult to all the victims, their families and all those who fight alongside them. We must obtain justice, and we won’t give up until justice is said and done. A crime is a crime.

Changing this paradigm, as expressed by the coloniality of power, presupposes collective and political decolonial work on reparations for the transatlantic slave trade, enslavement, colonization and colonialism. It is only through this effort that the coloniality of power will be forced to change its narrative about those it considers to be Non Beings.

Our youth is our future. Let’s help them to breathe, to discover the beauty of the world, let’s refuse to impose on them either hands on the head, or gags on the mouth, or blindfolds on the eyes, or an obligation to live without hope in an abandoned and dilapidated city.  Let’s fight alongside them for a decolonial world. Let’s fight alongside them for a world without racist, liberal capitalism.

Mireille Fanon Mendès France

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