Résister à la sidération, persévérer

Le 12 décembre, il y a un appel à manifester aussi bien contre la loi Sécurité Globale que contre celle sur le séparatisme qui vise particulièrement les personnes de religion musulmane, qu’elles soient citoyennes françaises ou non, que leur famille ou qu’elles mêmes soient originaires de pays arabes, africains, asiatiques ou d’ascendance africaine. Ce projet de loi touche aussi toutes celles et tous ceux qui se sont convertis à la religion musulmane. Au-delà de cela, il devrait concerner toutes les personnes qui se mobilisent activement contre la loi sécurité globale, défendant âprement le droit à l’information et à la liberté d’expression.

La loi contre le séparatisme fait peser une menace directe sur les vies musulmanes en France et sur la liberté d’expression et d’organisation des non-blancs de manière générale, en faisant peser sur leur tête une épée de Damoclès permettant de procéder à des dissolutions arbitraires. Rappelons que la décision de dissolution du CCIF a été motivée notamment par le fait que l’organisation considérait comme racistes des opérations présentées comme du ressort de l’antiterrorisme. Quelles seront les prochaines organisations ? Qui seront les prochains ? 

Pourtant ce 12 décembre, alors que la manifestation est autorisée, la grande majorité du collectif contre la loi sécurité globale sera absente. Ce collectif se refuse à y appeler au prétexte que les conditions de sécurité ne sont pas réunies. On peut comprendre les préoccupations concernant le bon déroulement des manifestations, mais il est dommage qu’à l’issue de la manifestation du 5 décembre dernier, aucune organisation participante n’ait dénoncé la provocation qu’a constitué la présence en nombre excessif des forces de l’ordre. 

Si la mobilisation contre la loi Sécurité Globale a été l’occasion d’une convergence nécessaire contre les projets liberticides portés par le président Macron, il faut regretter que, depuis le début, s’est essentiellement manifestée une mobilisation portée par des organisations blanches et de gauche, au détriment des organisations de l’immigration, des collectifs contre la négrophobie et de nombreux collectifs de famille contre les violences policières, tous portant la lutte contre le racisme racialisant, les violences policières et dénonçant l’instrumentalisation que les gouvernements successifs et nombre de médias font des questions noire et musulmane. 

En ce qui concerne les Noirs, beaucoup préfèrent nier le racisme structurel au prétexte qu’il n’y a que des citoyens français et que tous sont égaux, il n’y aurait que des discriminations de nature individuelle ; pour les Musulmans, beaucoup affirment – et le gouvernement en tête-, qu’il n’y a pas d’islamophobie, il n’y a que de mauvais Musulmans.  Si ces positions ne sont pas systématiques, elles font débat.

Ces projets de lois ainsi que les décrets sont hautement indéfendables car ils font sombrer le pays hors de l’Etat de droit  et le font flirter avec ce que certains régimes ont de plus autoritaires. Il y a parfois des moments où l’histoire d’un pays peut mener ceux qui luttent pour la fin d’un système capitaliste et racialisant à devoir affronter un chaos organisé par un Etat incapable de relever les défis face auxquels il se trouve, qu’ils soient d’ordre économique, politique, sécuritaire ou sanitaire. Une seule solution : se lever, faire bloc, ne rien céder et surtout ne pas se contenter de peu… Résistez à la sidération et persévérez !

Il est aussi dommage que des organisations et collectifs, dénonçant depuis des années la négrophobie et l’islamophobie dont les Noirs et les Musulmans sont victimes, aient dû s’imposer pour que leur parole soit écoutée et entendue. Pourtant c’est bien grâce à leur mobilisation et pugnacité que ces problématiques commencent enfin à occuper l’agenda. 

Cette mise à l’écart va jusqu’à l’invisibilisation d’un collectif à l’origine, avec le soutien des organisations de l’antiracisme politique, des Marches de la Dignité contre les violences policières et de l’application UVP -Urgence Violences Policières- permettant de documenter de manière immédiate les actes des forces de l’ordre. Dès lors, comment le collectif contre la loi sécurité globale qui s’indigne d’un projet visant à interdire de filmer la police justifie-t-il politiquement sa non participation à la manifestation du 12 décembre ? 

Si l’ensemble du mouvement social s’inquiète d’une menace sur les libertés publiques, comment justifie-t-il que les organisations non blanches, autonomes, s’inscrivant dans une démarche de l’antiracisme politique, et défendant, sans concession, la parole des Invisibles et des Exclus racisés soient maintenues dans une zone de Non-Être politique ?

Devrions-nous nous en remettre à des organisations qui, en retraduisant nos luttes dans les termes d’un universel abstrait, participent à vider nos combats de leur substance politique et à marginaliser leurs acteurs ? Avec la loi séparatisme, le gouvernement vise à entraver l’autonomie de nos combats, à les plonger dans l’illégalité, en renvoyant les non-blancs victimes de racisme dans les rouages de l’antiracisme institutionnel, qui a démontré son inutilité, voire sa nocivité pour la lutte antiraciste. La lutte pour que les vies noires, musulmanes, non-blanches comptent dépend de cette autonomie de nos luttes, et du soutien politique conscient du mouvement social dans son ensemble. Nous n’en sommes décidément pas encore là.

Mireille Fanon Mendès France

Fondation Frantz Fanon