Mumia ne perd pas espoir de vivre bientôt sa libération

English version below

Une nouvelle fois, je franchis les portes de la prison située à quelques trois heures de voiture de New York.

Hier, dimanche 24 avril, Mumia a eu 68 ans.

Le hall d’entrée n’a toujours pas changé. Les casiers sont toujours les mêmes, le décor immuable.  Les gardiens sont faussement affables, les portiques de détection de métaux toujours là. Seule innovation, des distributeurs de cartes prépayées pour acheter des boissons et de la nourriture. Je n’avais pas vu qu’un autre distributeur avait aussi été installé pour prendre une photo dans la salle des visites où un décor faussement maritime a été collé au mur. Pour ceux de l’extérieur regardant la photo, ils peuvent, un instant, avoir l’illusion que le détenu n’est plus sous les barreaux. Une illusion vite perdue à la couleur de l’uniforme que les détenus doivent porter. Cette fois-ci, il est d’un marron profond.

C’est ainsi qu’est arrivé Mumia que je n’avais pas vu depuis au moins 3 ans. Suzanne Ross et d’autres amis avaient insisté pour que je prête attention à son aspect physique ; Mumia ne se plaignant que rarement, il est difficile de savoir où il en est sur le plan santé ou s’il a des besoins particuliers. Il est arrivé souriant, alerte, vêtu d’une combinaison trop large et chaussé de chaussons de gymnastique d’un blanc étincelant. En jetant un coup d’œil aux pieds des autres détenus, tous portaient ces chaussons, tout aussi blancs.

Mumia a rapidement éludé les questions concernant sa santé. Il va bien, ne porte plus les énormes lunettes qui lui mangeaient une partie du visage. Il semble effectivement en bonne forme. Tout ce que nous pourrons savoir concerne ses collègues d’infortune ; 1/3 de la population carcérale de Mahanoy a été victime du covid 19 ; dans certains blocs, 100 pour cent des personnes ont été touchées par l’épidémie. Sans aucune mise en place de procédure ou de médication spéciales. Lui-même l’a attrapé en 2019, cela l’a mis, sur le plan santé, face à des défis auxquels il n’aurait jamais imaginé être confronté, entre autres défaillance cardiaque et embolie pulmonaire.

Dans la bouche de Mumia, cela a quelque chose de surréaliste lorsque l’on sait qu’il a été gravement blessé lors de son arrestation -à l’issue de la transfusion sanguine reçue dans ce contexte, il attrape une Hépatite C lui causant un certain nombre de désagréments dont certains continuent de mettre sa santé en péril-, accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis, ayant attendu de 1981 à 2011 l’annonce de son exécution dans les couloirs de la mort, et condamné en 2013 à un emprisonnement à vie sans libération conditionnelle au moment où sa peine de mort a été commuée.  

Il vient de passer 39 ans de sa vie en prison ( on peut voir sur ce site les années, les jours, les heures, les minutes et les secondes s’égrainer imperturbablement ajoutant, bien trop rapidement les secondes aux heures et aux jours). A son arrestation, il avait 27 ans, une vie professionnelle et militante, une femme, quatre enfants, une famille et des amis.

Mumia ne reçoit pas ses visiteurs pour s’entretenir de ce qu’il considère comme secondaire au regard des défis qui sont face à tous, que l’on soit enfermé ou non.

Il ne perd pas espoir de vivre bientôt sa libération. Il est convaincu de l’être. Cet espoir est encore plus présent depuis qu’en 2018, il a pu interjeter appel en soumettant à révision ses demandes d’appel que la Cour suprême de Pennsylvanie avait toujours refusées, ce qui contrevient de manière flagrante au droit à un procès équitable.

Aujourd’hui son espoir grandit, six boîtes perdues pendant des années sont enfin réapparues en 2019, exhumées d’un endroit improbable. Elles contiennent, après examen de ses avocats, des évidences prouvant que Mumia n’a nullement bénéficié d’un procès juste et équitable -entre autres : sélection du jury par l’élimination systématique des jurés noirs ; ainsi il a été retrouvé des notes écrites de la main du procureur McGill demandant à éliminer 15 jurés dont 10 noirs, -il a par ailleurs marqué un B à côté du nom des jurés noirs-, il faut rappeler que la Cour suprême reconnaît depuis longtemps que « (l)a discrimination fondée sur la race, odieuse à tous égards, est particulièrement pernicieuse dans l’administration de la justice » (Rose v.Mitchell, 443 U.S. 545, 555 ; 1979), sur les 24 membres du jury, seuls 4 étaient Afro-américains;  un témoin, Monsieur Chobert se plaignant de ne pas avoir reçu l’argent promis ; Cynthia White, qui est supposée avoir vu Mumia commettre le meurtre de Daniel Faulkner, s’est vu promettre, si elle témoignait, une requalification des charges pour prostitution proposée par le procureur McGill; ce qui amenait à une réduction de peine. Attendons la prochaine audience fixée au 29 juin à Philadelphie au cours de laquelle Mumia veut demander l’annulation de sa condamnation et un nouveau procès et en tout cas qu’il soit procédé à un interrogatoire préalable des personnes ayant agi en contravention des droits constitutionnels de Mumia.

La façon de procéder du système légal nord-américain relève exactement de l’usage de la violence et de l’oppression contre les corps noirs. Comment faire taire la voix des corps noirs dénonçant à la fois les violences et la corruption policières mais aussi l’impunité dont bénéficient les forces de répression ? Mumia rappelle que la façon dont Fred Hampton a été assassiné révèle bien les intentions d’un pays traversé de plein fouet par le racisme structurel et porté par un système libéral effréné.

Il y a dans le système nord-américain une volonté déterminée d’infliger de la souffrance à ceux à qui l’on a dû concéder des droits alors que l’on ne le voulait pas. Cette obligation contrainte rend ceux qui y sont forcés agressifs et anxieux. La tuerie de Buffalo en est d’ailleurs l’expression meurtrière.

J’ajouterais à cette agression meurtrière raciste, celle qui a frappé le groupe Move -dont Mumia était proche- en 1985, la police, avec l’accord du maire de l’époque, lâcha d’un hélicoptère une bombe incendiaire sur leur maison -11 morts dont 5 enfants, seulement 2 survivants ; 65 maisons ainsi qu’une partie du quartier dévastées-. On peut aussi voir ce même paradigme développé dans les 180 pages de Payton Gendron « you wait for a signal, while your people wait for you ». Ne sont ce pas les mêmes arguments qu’ont développés ceux qui sont partis à l’assaut du capitole en janvier 2021 ? Face à cette peur exacerbée par certains représentants politiques et media, les Blancs ne savent répondre que par le meurtre et toujours plus de violence.

Mireille Fanon Mendès France

Prison de Mahanoy, le 25 avril 2022


Mumia does not lose hope that he will be released soon

 Once again, I walk through the doors of the prison located some three hours drive from New York City.

Yesterday, Sunday, April 24, Mumia turned 68.

The entrance hall has not changed. The lockers are still the same, the decor unchanged.  The guards are deceptively affable, the metal detectors still there. The only innovation is the prepaid card machines to buy drinks and food. I didn’t see that another machine had also been installed to take a picture in the visiting room where a sea-like decoration was stuck on the wall. For those on the outside looking at the picture, they can, for a moment, have the illusion that the inmate is no longer under bars. An illusion quickly lost to the color of the uniform that the inmates must wear. This time it is a deep brown.

That’s how Mumia arrived, whom I hadn’t seen in at least three years. Suzanne Ross and other friends had insisted that I pay attention to his physical appearance; Mumia rarely complains, so it’s hard to know how he’s doing health-wise or if he has any special needs. He arrived smiling, alert, dressed in an oversized jumpsuit and wearing glittering white gym shoes. Glancing at the feet of the other inmates, they were all wearing these shoes, also glittering white.

Mumia quickly evaded questions about his health. He is fine, no longer wearing the huge glasses that were eating part of his face. He does indeed seem to be in good shape. All we will know is that 1/3 of the Mahanoy prison population has been affected by covid 19; in some blocks, 100 percent of the people have been affected by the epidemic. Without any special procedures or medication in place. He himself caught it in 2019, which put him in health challenges he never imagined he would face, including heart failure and pulmonary embolism.

In Mumia’s own words, this is somewhat surreal when one considers that he was seriously injured during his arrest – as a result of the blood transfusion he received in this context, he contracted Hepatitis C causing him a number of inconveniences, some of which continue to endanger his health -, accused of a murder he did not commit, having waited from 1981 to 2011 for the announcement of his execution on death row, and sentenced in 2013 to life imprisonment without parole when his death sentence was commuted. 

He has just spent 39 years of his life in prison (one can see on this website, the years, days, hours, minutes and seconds ticking away imperturbably adding, far too quickly the seconds to the hours and days). At the time of his arrest, he was 27 years old, had a professional and militant life, a wife, four children, a family and friends.

Mumia does not receive visitors to talk about what he considers to be secondary to the challenges that face everyone, whether locked up or not.

He does not lose hope that he will be released soon. He is convinced that he will be. That hope is even more present since 2018, as he was able to appeal by submitting for review his requests for appeal that the Pennsylvania Supreme Court had consistently denied, in clear violation of due process (http://fondation-frantzfanon.com/vers-une-possible-reouverture-du-dossier-mumia-abu-jamal/).

Today his hope is growing, as six boxes lost for years have finally turned up in 2019, unearthed from an unlikely place. They contain, after examination by his lawyers, evidence proving that Mumia did not receive a fair trial – among others: Jury selection by systematically eliminating black jurors; for example, handwritten notes were found from prosecutor McGill requesting the elimination of 15 jurors, 10 of whom were black – he also marked a « B » next to the names of the black jurors – it should be remembered that the Supreme Court has since long recognized that « discrimination on the basis of race, odious in every respect, is particularly pernicious in the administration of justice. Rose v. Mitchell, 443 U.S. 545, 555 (1979), only 4 of the 24 members of the jury were African-American; one witness, Mr. Chobert, complained that he had not received the money promised; Cynthia White, who is supposed to have seen Mumia commit the murder of Daniel Faulkner, was promised a re-characterization of the prostitution charges proposed by prosecutor McGill if she testified; this led to a reduction in her sentence. Let’s wait for the next hearing in Philadelphia on June 29, where Mumia wants to ask for a reversal of his conviction and a new trial, and in any case for investigation of the persons who acted in violation of Mumia’s constitutional rights.

The way the North American legal system proceeds is exactly the same as the use of violence and oppression against black bodies. How can the voices of black bodies denouncing both police violence and corruption and the impunity enjoyed by the forces of repression be silenced? Mumia underlined that the way in which Fred Hampton was murdered reveals the intentions of a country riven by structural racism and driven by an unbridled liberal system.

There is in the North American system, a determined will to inflict suffering on those to whom we have had to concede rights when we did not want to. This forced obligation makes those who are forced to do so aggressive and anxious. The Buffalo massacre is a murderous expression of this.

I would add to this murderous racist aggression, the one that hit the Move group -of which Mumia was close- in 1985, the police, with the agreement of the mayor of the time, dropped a firebomb from a helicopter on their house -11 dead, including 5 children, only 2 survivors; 65 houses as well as a part of the neighborhood devastated-. This same paradigm is developed in the 180 pages of Payton Gendron’s book « you wait for a signal, while your people wait for you ». Aren’t these the same arguments developed by those who set out to storm the capitol in January 2021?  Faced with this fear exacerbated by certain political representatives and the media, the Whites only know how to respond with murder and more and more violence.

Mireille Fanon Mendès France

Mahanoy prison

April, 25, 2022

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