L’autonomisation politique, économique et socioculturelle d’un panafricanisme dans le sillage de Fanon au 21 ème siècle

La FFF a participé au symposium Samir Amin à Dakar. Nous partageons ici la conférence d’Aziz Salmone Fall donnée à l’occasion du colloque « L’Afrique aujourd’hui et Fanon » le 3 Juin 2013 à Alger, et son interview donnée lors du symposium. La FFF partage également ici ses deux films, « Samir Amin internationaliste organique » et « Africom Go Home, Bases Étrangères Hors d’Afrique« .


Salam Aleikum masaa el kher, atemna lakoum um siya sayida

Azul filaween

Mangi gerem sunu maamaat ak su nu maat,

c’est à dire dans ma langue paternelle, ma reconnaissance à nos ancêtres, surtout ceux qui se sont sacrifiés pour que nous vivions libres, les «ancêtres de l’avenir» dont Frantz Fanon.

Vous pouvez imaginer mon bonheur de venir ici en Algérie, terre libérée et tremplin toujours actuel de résistances. Je remercie les organisateurs de m’avoir fait l’honneur de figurer, sans être exégètes,  parmi les illustres fanoniens invités et me laisser ce mot de la fin.

Je vous présente les salutations de toutes et tous les membres du GRILA et vous remercie de votre chaleureuse hospitalité. L’Algérie a accueilli Fanon et lui même a accueilli et protégé des militants, des djounouds et des responsables de la Wilaya 4.

Comme me le disait, en plaisantant, l’un de mes camarades, de l’amour que j’ai pour Fanon, je partage la première syllabe de son nom et je suis venu utiliser la seconde pour vous dire Non.

« Dans une relative opacité, chaque génération découvre sa mission. A elle de la remplir ou de la trahir »  disait Frantz Fanon.

J’aurai beaucoup aimé savoir ce que Fanon, à 87 ans aujourd’hui, penserait de la compréhension et l’utilité de son livre Pour la révolution africaine par les générations actuelles ? Qu’est devenu son rêve panafricaniste pour le progrès social ? Je suis persuadé que Fanon continuerait à lutter, comme, éveilleur,  homme de pensée et d’action pour la libération des opprimés, l’émancipation des individus et de classe, la désaliénation et pour le socialisme. L’enjeu de la décolonisation de l’être est toujours d’actualité, alors que la barbarie capitaliste s’accentue. Fanon reste l’authentique révolutionnaire, intellectuel organique, théoricien de la violence d’autodéfense contre le racisme et la barbarie coloniale  et capitaliste. Il était un révolté éthique et, sans contradiction avec ce qui précède, un  non violent car optimiste et humaniste. L’actualité de sa pensée est l’outil individuel et collectif contre l’assujettissement de la grande majorité de nos intellectuels et de nos masses à l’ordre dominant. Un outil contre l’endoctrinement réactionnaire et la violence de la dépossession, par tous les moyens surtout économiques et militaires. Qu’aurait-il dès lors pensé de notre déclaration, AFRICOM hors d’Afrique, Ni en Allemagne, ni en Afrique. Comme nous, j’en suis persuadé,  il dirait NON.

Africom go home est le titre de la déclaration du GRILA à l’occasion du cinquantenaire de l’unité africaine, ce 25 mai 2013. Je souhaiterai que vous l’endossiez, à l’instar des organismes et personnalités panafricaines et internationalistes. Nous y avons cité le préambule de 1963 :

«Nous, Chefs d’État et de Gouvernement africains réunis à Addis-Abeba, Ethiopie ; Convaincus que les peuples ont le droit inaliénable de déterminer leur propre destin ;Conscients du fait que la liberté, l’égalité, la justice et la dignité sont des objectifs essentiels à la réalisation des aspirations légitimes des peuples africains ; Sachant que notre devoir est de mettre les ressources naturelles et humaines de notre continent au service du progrès général de nos peuples dans tous les domaines de l’activité humaine ;…»

Que reste-t-il de cette charte rédigée par Modibo Keita et Sylvanus Olympio et endossée par trente trois jeunes pays le 25 Mai 1963 ?  Il y a les acquis non négligeables de l’indépendance politique, de grands progrès de développement pour certains et  la chute de l’apartheid. Mais j’entrevois encore sinueuse la route qui mène aux rêves de nos «ancêtres de l’avenir». Parmi eux, cet afro-descendant, devenu moudjahid maghrébin et internationaliste, mourant  un an avant à l’âge qu’eurent Ché Guévara et Thomas Sankara à leur assassinat, c’est à dire à 36 ans. Ils ont la même jeunesse et fougue et une influence immortelle, ils vivent. Avec émotion,  les mots et concepts émanant des travaux de ce symposium d’Alger, de l’énergie de  l’humanisme de Fanon me taraudent. Ils se bousculent pèle-mêle dans cette décolonisation du corps et de l’esprit et je vous les redit sans ëtre exhaustif à partir de mes notes :

L’oppression qui légitime le racisme ; la dialectique du maître et de l’esclave ; le groupe social victimisé, colonisé, libéré ; le colon arrogant, violent et repu ; le syndrome nord-africain ;  L’Algérie qui résiste et qui espère,  un Maghreb uni ; La voix et la voie de l’Algérie combattante ;  L’Algérie se dévoile, l’Algérie des corps et des voiles ; le bruit des chaines rouillées ; la torture, le psycho-traumatisme ; la désorientation ; la scissiparité et le comportement dual du noir vis à vis de son frère et du blanc ;  nos fantasmes, nos traumatismes et le réel ; la faim, la souffrance psychique et la condition matérielle des individus ; colère et indignation,  l’exigence de la liberté ; l’émancipation de la condition phénotypique nègre, et autre négritude ; rapport de subjectivisation ; l’exorcisme ;  la désaliénation et les désirs ; il n’y a pas de peuples noirs mais des situations racialisées ; la solidarité essentielle des peuples dominés, la prise de conscience nationale, l’anticolonialisme de combat, la violence d’autodéfense, la décolonisation économique politique et mentale  ; une milice, une légion africaine, les grands canaux de navigations à travers le désert, pour déferler sur le bastion colonialiste, prendre l’absurde à rebrousse-poil ; mettre l’Afrique en branle dans la perspective révolutionnaire ; les valeurs universalisantes et non culturalistes, l’africanisation et les contradictions stériles ; la révolution des travailleurs syndiqués; l’Échec de l’ONU et le rôle de l’impérialisme ; la dénonciation des castes bourgeoises, leaders africains supplétifs de l’impérialisme ; notre sort à tous qui continue de se jouer au Congo ; la solidarité des peuples africains pour l’avènement d’un homme neuf,  dont Fanon était et demeure le prototype  etc etc

C’est pourquoi l’Afrique dont rêve Fanon, c’est, je le cite :

«C’est bien l’Afrique, cette Afrique là qu’il nous fallait lâcher dans le sillon continental, dans la direction continentale. Cette Afrique-là qu’il fallait orienter, mobiliser, lancer à l’offensive. Cette Afrique à venir»[1]

Une grande union panafricaine toujours menacée, exige une praxis révolutionnaire internationaliste, de l’audace, du courage sans sombrer dans la témérité, le décryptage des compromissions qui nous minent.

Les révoltes récentes en Afrique du nord sonnent comme un boomerang de l’histoire et le printemps propagé a pu donner l’impression d’un champ de cygnes du néo-colonialisme. En réalité, leur instrumentalisation et leur infléchissement vers d’autres desseins ne peuvent interdire l’optimisme, d’ailleurs inhérent à l’africanité.  Fanon dit

« L’optimisme qui règne aujourd’hui en Afrique n’est pas un optimisme né du spectacle de forces de la nature enfin bénéfiques aux Africains. Cet optimisme n’est pas non plus dû à la constatation chez l’ancien oppresseur de dispositions moins inhumaines et plus bienveillantes. L’optimisme en Afrique est le produit direct de l’action révolutionnaire, politique ou armée-souvent les deux à la fois-des masses africaines». [2]


En revenant récemment de Tunisie et d’Égypte, j’ai pu me rendre compte, certes, que derrière cet optimisme la route est encore longue ; que ces avancées peuvent très bien ne pas accoucher de révolutions, tellement le culturalisme, l’intégrisme et l’impérialisme peuvent l’infléchir. J’ai noté aussi combien les forces progressistes y sont encore fragiles et incapables pour l’instant de diriger le mouvement historique.

C’est aussi plus que jamais  le cas du Congo qui demeure, comme l’avait prédit Fanon, la gâchette de l’Afrique, et qui, au lieu de tourner la violence contre l’impérialisme, se fait violence. Ce Congo, scandale géologique qui a connu ce que Fanon redoutait le plus et dont les millions de morts, sacrifiés sur l’autel de nos modes de consommation post-modernes et de nos zizanies entretenus par un capitalisme tronqué, supplient, par leur tragédie, l’Afrique de s’unir. Fanon a encore raison, il nous faut parachever les avancées amorcées en Afrique du Nord et pousser l’Afrique vers l’émancipation totale. 


Une cinquantaine c’est bref, mais suffisant pour tirer des bilans, se satisfaire de progrès réels accomplis, apprendre de nos erreurs et surtout tirer des leçons, autant des avancées que des régressions. 
Pour nous y aider toutes les Africaines et tous les Africains doivent lire ou relire « Pour la révolution africaine ». C’est un recueil de textes politiques, de journal de bord et de lettres de Frantz Fanon publiés initialement chez Maspero. Il couvre une ère allant de sa jeunesse avec « Peau noire, masques blancs » (1952) à celle des Damnés de la terre (1961), année de sa disparition. Synthèse entre lutte anti-impérialiste et lutte de classes, cet ouvrage est une lecture de l’évolution coloniale et des pièges de la décolonisation. Il a permis à Fanon l’introspection, une meilleure compréhension de l’aliénation et de la dépersonnalisation du colonisé, ainsi que du racisme sous l’essentiel de ses formes. Fanon y a illustré la nécessité, pour le colonisé, de prendre en compte sa psyché et d’organiser la riposte. L’univers dépeint y montre que le monde du colonisé est le miroir brisé, à tous les niveaux, des oppressions et des aliénations du colonisateur et que la libération nationale passe par la libération individuelle. Alliant sa pratique de psychiatre à celle d’homme engagé dans la guerre de libération d’Algérie, il y interpelle ses camarades de gauche, et urge ceux du continent à s’unir sur une base révolutionnaire et panafricaine. 
Que dirait Fanon devant nos hommes et femmes dépigmentés, nos élites si facilement compradorisés, la sophistication de nos complexes d’américanisation, et plus profondément une acculturation déculturisante accentuant la prolifération de «masques blancs».,

Dans sa lettre de démission datée de  juillet 1956, Fanon déplore des choses encore actuelles :

 «la réalité  est tissée de mensonges, de lâchetés, du mépris de l’homme…La folie est l’un des moyens que l’homme a de perdre sa liberté. Et je puis dire que, placé à cette intersection, j’ai mesuré avec effroi l’ampleur de l’aliénation des habitants de ce pays…Je me dois d’affirmer que l’Arabe, aliéné permanent dans son pays, vit dans un état de dépersonnalisation absolue…Une société qui accule ses membres à des solutions de désespoir est une société non viable, une société à remplacer… Le devoir du citoyen est de dire.  Aucune morale professionnelle, aucune solidarité de classe, aucun désir de laver le linge sale en famille ne prévaut ici. Nulle mystification pseudo nationale ne trouve grâce devant l’exigence de la pensée..»[3]


Au GRILA[4], durant ces 27, ans, nous avons prôné la libération totale de l’Afrique, dans l’acception de Fanon, dont l’analyse demeure pertinente et toujours actuelle pour le panafricanisme. En d’autres mots, il nous interpelle encore sur quelle transformation sociale dans l’ère post-coloniale ?

Lieu de «déséquilibre occulte», nos peuples, n’ont certes plus d’intellectuels colonisés, comme Fanon, mais d’intellectuels postcoloniaux néocoloniaux et toujours impérialisés et hélas très peu d’intellectuels organiques engagés.

En ce 21ème siècle, le panafricanisme est à la croisée des chemins alors que notre continent est assailli par l’impérialisme, sous des formes renouvelées et complexes. 

J’appelle supraimpérialisme la forme particulière que fait prendre le néolibéralisme aux segments des oligopoles financiarisés qui s’est reproduit durant les trois dernières décennies. Ses contradictions le poussent à intensifier le mode de production et de consommation prédateur, malgré l’impasse à laquelle il la voue. La contradiction la plus aigue du système se jouera entre les Centres (Etats Unis, Japon, Europe) en déclin et les formations sociales émergentes, dont le peloton de tête – les BRICS peuvent autant revigorer le capitalisme qu’hâter les chances de sa restructuration dans une autre direction. La tentaion sub-impérialiste y existe. Y résister est emcore possible, à condition qu’elles optent pour un sursaut autocentré et un monde plus polycentrique. Les intérêts de classe de leurs dirigeants et ceux de leurs peuples seront déterminants à cet égard, et le cas de l’Afrique du Sud à lui seul en est un microcosme. 

L’Afrique, qui pourtant contribue tant à la croissance mondiale reste, pour l’essentiel de ses formations sociales, encore enfermée dans l’économie de rente de la vieille division internationale du travail. Cet ordre rime davantage avec l’Afrique des ressources désormais bradées par des firmes transnationales et des gens d’affaires locaux peu soucieux de la condition et du devenir des Africaines et Africains. La stratégie de contrôle militaire des forces de l’impérialisme sur nos ressources et nos résistances ne s’estompera pas.

Mais Fanon nous avait bien mis en garde. Il dit : «L’Afrique sera libre. Oui, mais il faut qu’elle se mette au travail, qu’elle ne perde pas de vue sa propre unité. C’est dans cet esprit qu’avait entre autres, été adopté l’un des points les plus importants du premier congrès des peuples africains à Accra en 1958. Les peuples africains, était-il dit dans cette résolution, s’engagent à constituer une milice qui sera chargée d’appuyer les peuples africains en lutte pour leur indépendance». [5]



En lieu et place, tétanisée et divisée notre population a assisté, après tout un 20e siècle de brutales interventions impérialistes, à un 21e siècle augurant des mêmes invasions. L’année 2011 nous a gratifié de quelques 14000 sorties de bombardements des avions de combat de l’OTAN sur des cibles souvent civiles en Libye, la recolonisation de la Côte d’ivoire, la partition et l’agression du Mali et l’extension rampante de l’AFRICOM sous divers prétextes dans le rang de nos armées et territoires (voir notre film Africom go home, bases étrangères hors d’Afrique.

 http://www.youtube.com/watch?v=2Wu8vC9MLoU

Fanon écrit :«Si les expéditions coloniales obéissent à un schéma donné et connu – nécessité de faire régner l’ordre chez les barbares, protection des concessions et intérêts des pays européens, apport généreux de la civilisation occidentale -, on n’a pas suffisamment montré la stéréotypie des moyens utilisés par les métropoles pour s’accrocher à leurs colonies». [6]

Comme l’illustre notre déclaration :

«En 1885, à Berlin, se scellait pour le capitalisme, au détriment du Congo, le premier espace de libre échange qui allait permettre d’autres arrangements coloniaux divisant le continent. En 2013, c’est de Stuttgart que l’AFRICOM veut s’étendre sur l’Afrique alors que des conflits géopolitiques, économiques et géostratégiques minent plus que jamais le continent».[7]

AFRICOM, lancé par l’administration de Bush Jr, prétend protéger la sécurité nationale des États Unis en renforçant les capacités de défense des États africains contre des menaces transnationales et y permettre un environnement favorable à un développement harmonieux[8].

Il cherche à établir une base sur le continent africain en transférant l’AFRICOM qu’il positionne, depuis 2008 à Stuttgart en Allemagne. Là est aussi cantonné le U.S. Marine Forces Africa (MARFORAF) qui coordonne les frappes militaires et les manœuvres sur le continent.

«Cette perspective d’une base de l’AFRICOM en Afrique, pour l’instant rejetée par la plupart des pays du continent, en séduit quelques rares. Elle s’impose sur le mode du fait accompli, à mesure que progresse la stratégie d’endoctrinement, d’encerclement et de diffusion dans le continent et qu’y sont entretenus des foyers de tension. En effet l’AFRICOM, les dispositions de l’OTAN et des initiatives unilatérales de certains pays de l’OTAN comme la France[9] , et depuis quelques semaines les efforts d’acquisition de base à Djibouti par le Japon, et probablement incessamment la Chine -se font dans l’intérêt exclusif des bourgeoisies des pays du centre et leurs compradors locaux. Cette base de l’AFRICOM ne vise qu’à sécuriser, dans la durée et à leurs propres fins, nos matières premières et notre espace stratégique face à l’appétit des puissantes émergentes du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) et contre notre propre perspective d’unité. Aucun de ces pays de l’OTAN n’a besoin d’une base militaire aussi grande en Afrique. Non seulement ils disposent de plusieurs bases et facilités, mais vont où bon leur semble sur le continent, en raison de clauses bilatérales et d’innombrables autres arrangements connexes. Dans le chantage des conditionnalités inhérents à la coopération, la plupart des armées des pays africains ont été cooptées par les forces des États impérialistes et leurs milices privées et autres compagnies de sécurité. Ces forces de surcroit alimentent, directement ou indirectement, le péril terroriste qui prospère sur le terreau culturaliste du sous-développement. Sinon, elles s’ingénient à freiner les avancées démocratiques comme en Afrique du Nord en fragilisant certains pays ou en soutenant par des pays alliés du Moyen–Orient des régimes rétrogrades. La mise sous tutelle de nos pays est désormais très avancée, en raison de leur déstructuration par trois décennies d’ajustements structurels de désengagement de l’État, de gouvernance managériale, de diversion démocratique et de dépolitisation. Au niveau militaire, les pays africains sont dispersés, fragilisés et désunis sur les enjeux fondamentaux d’occupation entre autres au Congo, en Côte d’Ivoire, en Libye et au Mali. Le chantage d’instabilité menace autant le Soudan, l’Égypte, le Nigéria, la Tunisie, la Centrafrique que l’Algérie… Sur les théâtres d’opérations, l’ONU est instrumentalisée, laissant les coudées franches aux forces de l’OTAN et à une nébuleuse d’ONG qui vivent de nos misères et façonnent nos sociétés civiles. L’unité d’apparence des pays africains, militarisés dans ces missions, l’est surtout dans le sillage de l’impérialisme. Trente-six pays du continent ont d’ores et déjà envoyé se faire former à Washington la «prochaine génération de leaders du secteur de la sécurité» (ACSS- African Center for Strategic Studies). Ces hauts gradés viennent s’insérer dans un dispositif de renforcement des capacités opérationnelles et militaires (sous l’AFRICOM’s Theater Security Cooperation programs (TSCP) Africa Contingency Operations Training and Assistance (ACOTA) program ). Ces programmes de formation de la troupe ont un effet de dilution de nos souveraineté et s’insinuent  jusque dans la formation multilatérale de pacification onusienne. Depuis une dizaine d’années, une quantité toujours plus grande d’armées africaines participent annuellement aux manœuvres FLINTLOCK de lutte antiterroriste en Afrique du Nord et de l’Ouest. AFRICA ENDEAVOR est quant à elle une manœuvre dans le secteur de la communication d’intelligence. CUTLASS EXPRESS sont des manœuvres maritimes censées contenir les trafics en tout genre dans l’Afrique de l’Est et l’océan Indien.

Certes, il y a une insécurité inhabituelle sur le continent pour prétexter tant d’élans belliqueux. De plus en plus de noyaux, de nature terroriste ou d’aventuriers politiques, existent et disposent de leur propre agenda, nuisant autant à «l’ordre du monde» qu’aux pays africains. Mais, ce sont des épiphénomènes que les média  dominants montent en épingle. Le plus souvent, les origines des conflits, que ces puissances disent enrayer, découlent de l’échec du développement et de la pauvreté, des incidences de leurs propres politiques, de délinquances et trafics issus de conflits perdurant, de l’instrumentalisation du désordre, d’intérêts liés à leurs Juniors. Les Juniors sont de petites firmes multinationales qui s’acoquinent aux nébuleuses de rebellions ou de terroristes pour l’accès aux ressources. Les accointances avec les forces étrangères, qui viennent ensuite ‘libérer’ les zones contentieuses, font partie de la stratégie du tout sécuritaire validant la militarisation. Plusieurs régimes politiques de nos pays participent à ce brigandage, ou alors sont soumis aux chantages des conditionnalités des libéralisations et des ressources extractives.

La mise sous tutelle de nos armées nationales, ou ce qui en reste, et la perspective de voir déménager en Afrique la base de l’AFRICOM, ou ses excroissance recomposées ainsi que la recrudescence des interventions militaires françaises ou autres hypothèquent toute réelle intégration africaine. L’Afrique est progressivement insérée de force sous le parapluie de l’OTAN. En 2002, c’est l’initiative pan sahélienne anti-terroriste avec quatre pays sahéliens. Elle est portée, trois ans plus tard, à TSCTI Trans-Saharan Counter-Terrorist Initiative qui adjoint cinq pays de plus. L’EACTI East Africa  Counter-Terrorist Initiative prolonge pour l’Afrique de l’Est, en englobant six autres pays. Dans la même année 2005, l’OTAN est venue assister l’Union africaine au Darfour. Deux ans plus tard, elle confectionne l’étude qui sera la matrice des brigades des FAA, forces africaines en attentes, censées maintenir la paix continentale et qui serait opérationnelle en 2015».[10] Ceci est un déni de la souveraineté continentale,  la décadence et la barbarie.

La barbarie est secrétée par l’extension obstinée du capitalisme en crise. De surcroit, il jouera la contre-révolution devant chaque avancées de nos luttes. Partout, il suscitera des compromissions auxquelles succomberont des forces sociale-démocrates et même de gauche radicale, au nom de la peur d’une confrontation inégale. Il n’y a pourtant plus rien à réformer. 

La coopération internationale, la Déclaration de Paris et son efficacité de l’«aide», ainsi que les élans bilatéraux contrits ne trompent plus personne. L’instrumentalisation des instances multilatérales est encore plus prononcée qu’au siècle dernier. Le FMI, la Banque Mondiale et l’OMC ont été préservés, malgré leur désuétude et en dépit de leur échec patent, en instruments de reproduction de l’ordre international. Pourtant ce dernier est désormais transcendé par un ordre transnational où le rôle des grandes corporations comme des grandes lignes de fractures culturalistes et civilisationnelles ne peut être régulé par le G20. Cette instance assure la gouvernementalité mondiale, sans en avoir le mandat. C’est l’ONU qui en avait le mandat, mais elle a été transformée en chambre d’enregistrement des desiderata de l’OTAN et  par de nouveaux outils comme le droit d’ingérence humanitaire, la responsabilité de protéger, qui ont encore écartelé le droit international aux bénéfices stratégiques des plus puissants. 



Ce que Fanon disait à propos de la mise sous séquestre du Congo résonne encore.

Il écrit : «Le tort de Lumumba a été alors, dans un premier temps, de croire en l’impartialité amicale de l’ONU. Il oubliait singulièrement que l’ONU dans l’État actuel n’est qu’une assemblée de réserve, mise sur pied par les grands, pour continuer, entre deux conflits armés, la ‘’lutte pacifique’’ pour le partage du monde»… «Notre tort à nous, Africains, est d’avoir oublié que l’ennemi ne recule jamais sincèrement. Il ne comprend jamais. Il capitule, mais ne se convertit pas». [11]



Plus que jamais l’impératif révolutionnaire apparait pertinent et les avancées ouvertes par la chute de l’apartheid et les récents renversements des autocraties séniles en Afrique du Nord doivent être poursuivies. En ce sens s’est substituée, à la lutte coloniale de l’ère de Fanon, la lutte contre le néocolonialisme et les forces rétrogrades. Autant les forces compradores que des pans entiers de nos sociétés aliénées et désorientées sont capturées par les mirages du capitalisme.  Fanon avertit :«La solidarité interafricaine doit être une solidarité de fait, une solidarité d’action, une solidarité concrète en hommes, en matériel, en argent». [12]

L’Union africaine qui a supplanté l’OUA apparaît pour nombre de nos concitoyens[13] comme une institution éloignée de leurs préoccupations concrètes, comme un syndicat de chefs d’États qui n’a pas les moyens de ses politiques. La Libye était le seul pays non endetté d’Afrique. L’assassinat de Kadhafi occasionne une saignée financière pour l’Union Africaine qui a si malencontreusement été dépendante des fonds libyens. La Libye avait fini par payer le tiers des finances d’opération de l’organisation, puisque nombre de pays ne cotisaient plus. En fait, avec elle, l’Algérie, l’Afrique du Sud, le Nigéria et l’Egypte assument chacun un peu moins de 15% des dépenses. Au delà de cette singularité gênante, comment ne pas déplorer que ces pays africains ne contribuent qu’en moyenne pour 8% au budget de l’Union Africaine dont 92% du financement relèverait de partenaires et de bailleurs étrangers. Jean Ping reconnaissait penaud que ce serait plutôt 77% qui provient de financements extra africains. (Officiellement le budget de l’Union africaine pour 2011 avait été prévu comme 256 millions 754 447 dollars, dont 122 millions 602 045 des Etats membres et 134 millions 152 402 des bailleurs internationaux).
 Au 21 ème sommet qui vient de se clore, plusieurs pays africains n’avaient pas honoré leurs arriérés de contributions qui dépassent plus de 110 millions de $. Le budget 2013 de la commission sera cette année à 308 millions de $ US. Il n’y a pas que les fonds qui posent problème.

Le débat sur la nature du panafricanisme concret à construire n’y est toujours pas amorcé. Des discussions sur la poursuite du NEPAD et d’un nouveau plan dit agenda 2063 engluent les esprits. Le manque de volonté politique  l’Union Africaine est hélas patent, et le Groupe de Monrovia qui a symboliquement pris le dessus sur le Groupe de Casablanca y domine toujours les mentalités. L’essentiel des orientations, si d’aventure elles peuvent être progressistes, s’avèrent peu opérationnelles. Les instances de l’organisation en sont encore à croire à la faisabilité du NEPAD, un projet peu viable laissé à la discrétion des bailleurs du Centre, dont nous avions dès son lancement durant le G8 de Kananaskis démontré l’impasse pour le continent.[14] La fuite en avant, dans le développement capitaliste, semble même projetée, et dans la dispersion étatique et l’illusion du regroupement institutionnel, à l’horizon 2063. C’est ce qu’envisage le cocktail pour le Maghreb de la commission économique de l’ONU pour l’Afrique qui se tient dans quelques heures à Rabat.[15] Le rapport sur le développement vers cet horizon, en se basant sur la frénésie d’une décennie de croissance, toujours exponentielle des matières premières agricoles et minières drainant le continent, envisage une industrialisation[16] qui sortira l’Afrique de sa marginalisation.[17] Confortant la Banque mondiale, ou récemment les banquiers africains à la rencontre marocaine de la BAD, de nouveaux entrepreneurs ont même donné un nom à une nouvelle philosophie capitaliste typiquement africaine, comme l’Africapitalism.[18] Ces mêmes acteurs savent, que les grandes démonstrations sur les réfections des codes miniers, le climat d’investissement, la vision minière africaine et la reddition des comptes etc ont peu contribué à lever le paradoxe : Une Afrique riche en ressources, au taux de croissance le plus élevé du monde, à l’exception de l’Asie de l’Est, et toujours au ressources humaines si frappées d’indigence.  Ces mannes profitent surtout aux investisseurs, aux sorties illicites de ressources, aux fuites de capitaux, aux paradis fiscaux, à la corruption, à l’évasion fiscale, aux dépenses improductives, à une modernisation déconnectée du développement à voir la déliquescence de nos système d’éducation ou de santé. Le marché mondial continuera d’accentuer la polarisation, restreignant, toujours très sélectivement à ses fins, la circulation du travail et privilégiant plutôt marchandises et capital. La myopie de nos élites sur la nécessité de s’opposer, par un désengagement sélectif, au développement inégal inhérent à cette polarisation dépossédante est souvent même fondée sur de bonnes  intentions. « Pour l’élaboration de l’Agenda 2063, nous voyons très grand. C’est seulement en voyant grand et en ayant de très grands rêves que nous pouvons transformer notre continent et son Union. Nous espérons prendre des initiatives très audacieuses sur les plans économique et politique », maintient par exemple la dirigeante de la commission de l’Union africaine Mme Dlamini-Zuma.[19]

Désengagement et intégration collective

Aujourd’hui, Fanon pourrait déplorer que l’Afrique n’a toujours pas de développement continental et c’est pourquoi nous l’encourageons dans ce sens en proposant une alternative dans le sens du panafricentrage.[20]

Le panafricanisme gagnerait en effet à être infléchi vers deux impératifs que suggère le panafricentrage. La reconstitution de son africanité et un renouveau progressiste pour réussir un désengagement sélectif du marché mondial, maîtriser l’accumulation et développer nos forces productives. Tous les deux impératifs doivent revenir sur la question du progrès, de la modernité et donc du développement et lui déterminer, aux fins de la désaliénation et de la libération,  d’autres impératifs homéomorphes (c’est à dire comme dirait Pannikar qui tiennent compte de leur équivalent local). L’africanité comme le renouveau panafricain pourraient être axés sur l’équilibre de la “maat” et de l’internationalisme. En d’autres mots, les racines fécondes qui permettent un avenir harmonieux pour l’Afrique et sa diaspora. Renouer sans passéisme narcissique avec nos racines communes, les régénérer scientifiquement après les assauts historiques ayant mené à l’amnésie et l’apathie. La redynamisation du panafricanisme passé par d’autres urgences. 

Ainsi le moment est venu de lancer une conférence internationale et panafricaine sur l’accaparement des terres africaines, surtout les terres agricoles, à l’instar de celle l’avocat trinidadien Henry Sylvester Williams qui, en lançant en 1900 un événement consacré à cet enjeu, impulsa le panafricanisme. L’œuvre des W.E.B Dubois, Marcus Garvey, Lamine Senghor, Garan Kouyate, Price Mars C.L.R James, Casely Hayford, Alioune Diop et de Présence africaine dès 1947, propulseront les congrès et projets panafricains. Leurs legs comme ceux de leurs successeurs à l’instar de Lumumba, Ben Barka, Fanon, Nkrumah, Cabral, Sankara. Rosa Parks, Makonnen, Malcom X, Booker T Washington, Kenyatta, Diop, Rodney, Mandela (qui s’éteint des séquelles de problèmes pulmonaires vestiges de son historique incarcération), Amin, Shivji…, nous servent encore de phare. 



La reconstitution du panafricanisme révolutionnaire permet non seulement une critique de l’africanisme occidentalocentré, mais aussi une relecture, sans complaisance et surtout objective et historique de l’Afrique, et de  son apport à l’avènement du système monde. Ceci passe par la pleine reconnaissance de l’origine monocentrique de l’humanité, qui annihile toute forme de racisme et d’eugénisme, car l’humanité toute entière est afro-descendante. Ce panafricanisme passe par le rétablissement de l’antériorité de civilisations négro-africaines de l’antiquité et de la contribution de celles-ci, comme des celles des périodes traditionnelles subséquentes, à l’édification des systèmes monde. C’est aussi la compréhension de la manière dont l’Afrique a servi la périphérie de l’Europe, c’est à dire les Amériques, avant de devenir elle-même la périphérie du capitalisme. [21]

Malgré des progrès notables, l’Afrique est toujours dans  une condition difficile qui la maintient dans une injuste et désuète division internationale du travail, qui se perpétue désormais avec des dynamiques endogènes prédatrices. L’UNICEF semble impuissante à éviter qu’environ 29 000 enfants, de moins de cinq ans, meurent chaque jour – 21 toutes les minutes -, principalement de causes qui auraient pu être évitées» ; un enfant sur 8 meurt donc en Afrique avant l’âge de 5 ans. [22]

Fanon crie :


«Nous Africains disons que depuis plus de 100 ans la vie de 200 000 000 d’Africains est une vie au rabais, contestée, une vie hantée perpétuellement par la mort. Nous disons que nous ne devons pas faire confiance dans la bonne foi des colonialistes, mais que nous devons nous armer de fermeté et de combativité. L’Afrique ne sera pas libre par le développement mécanique des forces matérielles, mais c’est la main de l’Africain et son cerveau qui déclenchent et mèneront à bien la dialectique de la libération du continent». [23]

Personne ne sauvera notre peuple à notre place, et nous serons bientôt 1 milliard, dont prés de 3\4 vivent la condition décrite 50 ans plus tôt. 


Pour bien des jeunes africains attirés par les sirènes des archipels de développement, il y a les damnés de la terre, mais aussi les damnés de la mer, que vous appelez ici Haragas ;  il y a la saignée démographique de forces productives et de cerveaux suivant le sillage de nos ressources matérielles. 
La «main de l’Africain et son cerveau» doivent être infléchis pour atteindre l’impératif de la libération continentale.

Fanon avertit :

«On n’a peut être pas suffisamment montré que le colonialisme ne se contente pas d’imposer sa loi au présent et à l’avenir du pays dominé. Le colonialisme ne se satisfait pas d’enserrer le peuple dans ses mailles, de vider le cerveau colonisé de toute forme et de tout contenu. Par une sorte de perversion de la logique, il s’oriente vers le passé d’un peuple opprimé, le distord, le défigure, l’anéantit. Cette entreprise de dévalorisation de l’histoire d’avant la colonisation prend aujourd’hui sa signification dialectique»[24]

Cette nécessité du renouveau passe par la lutte contre l’amnésie quasi collective de l’Histoire concrète de l’Afrique et de sa diaspora, mais surtout par le sursaut nécessaire tirant les leçons des luttes anti-impérialistes et de la décolonisation ; des indépendances négociées et des luttes de libération nationale et surtout de l’échec du panafricanisme institutionnaliste. C’est admettre le caractère, toujours inachevé, de la libération totale de l’Afrique et de ses diasporas. 

Ceci suppose une réorganisation hardie des forces du changement, notamment notre jeunesse qui, malgré sa capacité d’indignation et de réaction, a vécu plus deux décennies de dépolitisation et de désaffection politique. Ce phénomène fut autant entretenu par nos États désengagés de l’économie, fonctionnant sous procuration des institutions de développement, que par la réduction du champ de vision de nombre de nos partis politiques englués dans les scenarii de factices démocraties pluralistes et de sociétés civiles cooptées. Nous sommes astreints à un impératif et immense effort de stratégies et d’unité, mais aussi de sens de l’introspection, du respect de soi et des autres.

Dans cet élan, où certains souhaiteraient étiqueter le panafricentrage comme une des doctrines africaines, je précise que afrocentré ou afrocentricité doivent être préférés à afrocentrisme. Afrocentrisme comme eurocentrisme sont justement les formes de culturalismes et autres intégrismes qu’il faut critiquer et dépasser et qui demeurent des impasses. 

Le panafricentrage se propose plutôt d’être une doctrine puisant dans des racines réactivées. Le panafricentrage s’articule, d’une part, autour d’une philosophie qui prône la « maa’t » (au sens d’équilibres cosmique, terrestre et personnel, de vérité et de justice sociale) et la redécouverte de nos schémas historiques socioculturels et politiques de régulation. Il s’agira, sans passéisme, de retrouver les modes de régulations encore utiles dans chaque société et permettant son harmonie et son équilibre. 

Le panafricentrage repose, d’autre part, sur une praxis d’intégrité menant à un progrès autocentré panafricain internationaliste, non sexiste et écologique pour une contribution à un monde polycentrique. 

C’est un historique « maatérialisme », partant des conditions historiques d’existence matérielle des Africains et Africaines, appréhendant leur processus de transformation et de reproduction afin d’atteindre une praxis révolutionnaire. Il incombe aux masses laborieuses et aux intellectuels organiques de l’Afrique et de la diaspora, de forger cette alternative contre les phases prédatrices de mondialisation. Ces phases n’autorisent que des options compradores et leurs chimériques intégrations continentales. Il nous faut apprendre à endurer et contrer l’oppression, en multipliant et en canalisant des milliers de réseaux et ramifications qui vont dans le sens de cet élan panafricain. 

Le panafricentrage c’est le processus de conscience politique et historique d’autonomie collective continentale favorisant, par une rupture sélective avec le capitalisme dominant, la maîtrise de l’accumulation, son équitable redistribution. Il promeut la revalorisation de la valeur d’usage et de nos solidarités, un renouveau socioculturel permettant à l’Afrique d’apporter sa contribution active à notre ère. 



De plus en plus, les conditions de l’éveil révolutionnaire se précisent malgré le désarroi ambiant. D’abord du fait de la crise financière mondialisée, des fermetures des archipels de prospérité aux migrations de nos jeunesses désabusées, de l’exaspération qui touche désormais plus que les classes les plus pauvres et à laquelle se mêle le désespoir qui restreint les champs d’horizon embrumés par l’automne de modèles capitalistes séniles et prédateurs. Enfin, il y a un espoir, les percées de l’aube que laissent entrevoir les avancées des révoltes timidement amorcées par ci et par là sur le continent. Elles s’avèrent pour rappeler aux jeunes et aux masses populaires leur force et le potentiel lorsque s’impose l’audace. L’espace nous manque, mais illustrons vers où cette énergie doit être orientée, en concluant sur une dimension que nous considérons stratégie, l’enjeu agricole.



POUR UNE URGENTE STRATEGIE AGRICOLE AUTOCENTREE



Les dispositifs de recolonisation néolibérale doivent être inlassablement combattus, autant dans l’accaparement des terres, les cultures commerciales prédatrices que dans l’introduction d’OGM. Un des champs de combat est l’enjeu alimentaire mondial, et pour l’Afrique cet enjeu est capital alors que de plus en plus de ses terres sont bradées et que le problème alimentaire y demeure chronique. La production alimentaire mondiale actuelle pourrait nourrir la planète, mais l’essentiel des céréales – 40% – sert de fourrage concentré au bétail qui nourrit de viandes les plus nantis. Aussi la FAO préconise-t-elle erronément de doubler la production alimentaire d’ici l’an 2050. En attendant, la hausse du prix des denrées expose à la famine plus d’un milliard de personnes et enclenche le cycle d’émeutes de la faim.

Le développement autocentré exige une réforme agraire et l’autosuffisance alimentaire. Il nous faut des modes agraires organiques et des technologies appropriées. Il s’agit de produire et de transformer, en amont et en aval d’une agriculture, la plus organique possible, et en fonction d’une autre loi de la valeur (équilibre revenu rural/urbain, stratégie de plein emploi, prix de production et de transformation, etc.). Le projet a la forme d’autocentrage collectif (collective self reliance), c’est à dire de permettre l’échange de produits entre les zones, et des péréquations entre zones excédentaires et déficitaires. La productivité dans tous les domaines d’activités peut être spectaculaire, tout en y générant le plein emploi dans les étapes de préparation et de transformation de l’agriculture. 

Une utilisation bio-organique de l’agriculture ne recourt plus à des intrants chimiques et recycle tous ses déchets. Il y est facilement envisageable du biogaz, ou d’autres techniques éliminant les déchets en créant de l’énergie, ce qui assainit les villages et les villes. On peut aussi coupler à de l’énergie solaire pour combler les besoins énergétiques des communautés, (et surtout s’opposer à ce que ces sources déployées dans le Sahara n’aille plutôt en Europe). Les métiers qui préparent l’agriculture et ceux qui la transforment fixent des populations qui échappent à l’exode rural, parce que dotées de meilleur revenu et d’une qualité de vie. L’agriculture biologique (biomasse, assolement, percolation, pesticides verts, etc.) est faussement décrite comme moins productive par des industriels de pesticides et d’engrais chimiques et de biotechnologies. Une meilleure concentration professionnelle à l’hectare est possible avec ce modèle intensif intégré, préservant l’environnement attenant et une durabilité des écosystèmes arables. Nous prônons donc un développement endurable et non un développement durable. Il est au cœur de la construction d’un marché intérieur de biens de consommation de masse, axé sur nos produits, et des importations sélectivement tournées sur nos besoins essentiels.



Mais là comme ailleurs, plusieurs obstacles demeurent pour l’avènement d’un panafricentrage. Identifions sommairement des horizons stratégiques imminents conditionnant les luttes de l’Afrique et de sa diaspora à venir et susceptibles de les faire triompher avec l’aide d’internationalistes du Nord.


Nous devons absolument générer un sursaut internationaliste et panafricaniste afin que nos élites et nos peuples comprennent que la militarisation de l’Afrique est une impasse. Elle attise et attire plutôt les conflits. La souveraineté de l’Afrique passe par le démantèlement de toutes les bases étrangères, par l’avènement d’une armée continentale, vouée à la défense du seul sol continental et au maintien de la paix, de style Africa Pax.[25] Ceci suppose une intégration continentale autocentrée tournée vers le progrès social qui va justement à contre-courant de la cooptation et la transformation de nos armées en supplétifs. Ceux-ci sont chargés d’éteindre des conflits, le plus souvent instrumentalisés par «l’ordre mondial»,    pour l’accès aux ressources naturelles. Nous devons, avant tout, compter sur notre propre unité, et sur la défense des intérêts de nos peuples et ne pas escompter que l’OTAN ou l’AFRICOM le feront pour nous. Ainsi seulement, sera assurée la maîtrise de notre propre accumulation, et que le développement intégré du continent sera enfin concrétisé.

Toutes et tous pour la repolitisation citoyenne et panafricaine de notre jeunesse.

AFRICOM go home, L’Afrique aux Africain-Es.

Plus de bases étrangères ni en Allemagne, ni en Afrique ;

Non à la militarisation terroriste, et à la présence des bases étrangères, des Chagos à Diego Garcia en passant par Libreville, Sao-Tomé , Ceuta, Ndjamena, Djibouti ou Tripoli… ;

Non à l’assaut généralisé sur les ressources naturelles et terres agricoles Africaines par des multinationales ;

Non aux dirigeant-Es qui subordonnent l’Afrique à l’impérialisme ;

Pour une transformation démocratique et populaire de l’UNION AFRICAINE ;

Vive la décolonisation définitive de l’Afrique unie et indivisible.

Africaines, Africains, internationalistes, Debout pour la défense du continent africain.

Pour :


• L’autosuffisance alimentaire, la réforme agraire, la modernisation agricole au rythme de chaque société ; l’avènement de marchés de biens de consommation de masse, pour la satisfaction des besoins essentiels.



• La nationalisation des ressources dans une perspective de participation citoyenne et patriotique et la reconquête de la marge de manœuvre de l’État et son réaménagement souverain pour la confédération africaine.


• L’industrialisation légère, complémentant l’agriculture, et le rééquilibrage du revenu ville/campagne.



• L’intégration régionale et continentale accélérée par complémentarité et péréquation.



• Miser sur des brevets et une technologie à notre portée et moyens.



• Banque centrale, monnaie continentale.

 • Parlement continental sur les grands enjeux de développement et de sécurité.



• Armée continentale et brigade civile de prévention des conflits et de reconstruction post-conflits.



• Coopération tricontinentale contre la spéculation, avec des internationalistes du Nord qui partagent la lutte contre l’impunité, l’enrichissement illicite et l’atteinte aux droits de la personne.



• Lutter collectivement pour refuser de payer la dette ; décrocher des programmes de plafonnement de la pauvreté et peser pour réformer les institutions internationales et pour une coopération internationaliste plafonnée à 0,7 % et non liée.



• L’émancipation totale des femmes et le changement des mentalités masculines.



• La repolitisation démocratique des masses et leur auto-organisation contre l’impérialisme, les régimes compradors et les comportements anti-progressistes.

La participation active des jeunes aux mécanismes de décision et d’exécution socio-politiques.



• Décrypter les comportements irresponsables consuméristes et ostentatoires et redécouvertes des schémas de solidarité.



• Sauvegarder les ressources naturelles et environnementales, par un comportement civique et écologique.



• Organiser les forces de la diaspora progressiste et les forces vives du continent vers le panafricentrage.



• Organiser le retour des diasporas africaines volontaires des Amériques et d’ailleurs.



• Œuvrer pour un monde humaniste progressiste et polycentrique et la préservation des «biens» communs par un développement responsable et populaire.




Nul ne peut prédire l’issue des luttes, et le futur proche résultera des bouleversements dans les rapports de forces socio-politiques, économico-culturels, entre genres et entre générations. Il faut refuser ce monde dystopique qu’impose la mondialisation, c’est à dire qui restreint le bonheur et l’épanouissement à la majorité de la population du globe. Il s’agit, entre-temps, de consolider les acquis, d’élargir le champ d’une réponse sociale humaniste progressiste, et si possible socialiste, contre le modèle unilatéral du marché et la barbarie de l’apartheid mondial. 

Lucidement, aborder notre futur sans nostalgie passéiste et compromissions.
 Convaincre les forces diverses mais convergentes, contre le gré des ONG réformistes et opportunistes,  notamment au sein du forum social mondial, d’opter résolument pour une ligne internationaliste d’action collective !Or, les exigences d’un tel avènement passent pas la concrétisation, à l’échelle des formations sociales, de réformes sociales majeures, voire des projets de société viables. Ceci ne me semble pas possible en dehors d’un effort de désengagement sélectif et d’autocentrage anticapitaliste et surtout de soutien réciproque par l’intégration collective de ceux qui optent pour une telle alternative. L’option de forces nationales populaires et démocratiques d’Afrique (Etats et peuples) dans une dynamique de type panafricentrage contre la logique de compradorisation serait capable de structurer, en concertation et cohésion, une riposte pour la défense d’un tel projet , voire l’avènement d’un autre monde.


Fanon écrit toujours vivant :

«L’Afrique doit être libre, a dit le Dr N’krumah dans son discours inaugural, nous n’avons rien à perdre que nos chaînes et nous avons à conquérir un continent immense. À Accra les Africains se sont jurés fidélité et assistance.» 

[26]

A luta continua.

Amandla Ngawethu !

 Uhuru !



 Lidumu bara la Afrika!

Copyright 2013. CIRFA

Aziz Salmone Fall est politologue sénégalo-egyptien, membre du GRILA,  Coordonnateur de la Campagne Internationale Justice pour Sankara, et Président du Centre Internationaliste Ryerson Fondation Aubin.

Diffusion libre et gratuite seulement


[1] Fanon, Frantz, Pour la révolution africaine, Paris, Maspéro, 1975, p178

[2] Fanon Frantz, Pour la révolution africaine, FM/Petite collection Maspero, Paris, 1978, p 172

[3] Frantz Fanon, Lettre de démission adressée à Robert Lacoste, ministre résident, gouverneur général de l’Algérie.

[4] Vidéo rétrospective du GRILA, Plus d’un quart de siècle de luttes http://vimeo.com/19407542

[5] Fanon Frantz, ibid, p 175


[6] ibid p 54

[7] Africom hors d’Afrique, Déclaration des 50 ans de la journée de la libération de l’Afrique, www.grila.org

[8]http://www.africom.mil/Content/CustomPages/ResearchPage/pdfFiles/2013%20AFRICOM%20Posture%20Statment.pdf

[9] Plus d’une cinquantaine d’interventions militaires néocoloniales françaises en 50 ans, voir http://www.rfi.fr/afrique/20100714-1960-2010-50-ans-interventions-militaires-francaises-afrique ou Raphaël Granvaud, Que fait l’armée française en Afrique, Dossiers Noirs Survie, Paris, 2009.

[10] Africom hors d’Afrique, Go Home AFRICOM, ibid, www.grila.org

[11] Fanon Op cit p 194-195


[12] ibid p 175

[13] Pourtant l’article 17(1) de l’acte constitutif  stipule  la «pleine participation des populations africaines au développement et à l’intégration économique du continent »

[14] Aziz S. Fall, Critique annotée des 200 points du NEPAD, GRILA, www.grila.org

[15] Agenda 2063: What will North Africa look like in half a century ?”UNECA, June 7, 2013

[16] Voir aussi Stratégie du plan d’action pour le développement industriel accéléré de l’Afrique (AIDA)

[17] Africa boasts significant human and natural resources that can be used to promote industrialization and structural economic transformation through value-addition strategies in all sectors (agriculture, industry and services), though not all African countries are rich in natural commodities—some are resource poor.As well as a growing, predominantly young and urbanizing population, the continent is endowed with many natural resources, including plentiful land and fertile soils, oil and minerals. Africa has about 12 per cent of the world’s oil reserves, 42 per cent of its gold, 80–90 per cent of chromium and platinum group metals, and 60 per cent of arable land in addition to vast timber resources. Making the Most of Africa’s Commodities: Industrializing for Growth, Jobs and Economic Transformation,  Economic Commission for Africa, Addis Abeba, 2013, p8

[18] http://tonyelumelu.com/content/tony-elumelus-speech-given-african-development-banks-annual-meeting-morocco

[19] L’Afrique dans 50 ans, les projections de Mme Dlamini-Zuma

Addis-Abeba, Ethiopie (PANA), http://www.panapress.com/L-Afrique-dans-50-ans,-les-projections-de-Mme-Dlamini-Zuma–12-872959-1-lang1-index.html

[20] http://www.panafrikanismusforum.net/start.fr.html et ma Conférence sur le Panafricentrage : https://www.youtube.com/watch?v=CTLT4-xC6VM

[21] Fall, Aziz Salmone, Actualité de l’œuvre de Cheikh Anta Diop face au racisme scientifique et aux défis de l’Afrique, http://www.azizfall.com/actualisation.html

[22] UNICEF’ http://www.unicef.org/french/mdg/childmortality.html

[23] Fanon, op cit p175

[24] Fanon Frantz, Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1961, p158

[25] Africa Pax: 
Une solution aux problèmes de gestion et de règlement des conflits
en Afrique, applicable en zone interlacustre, GRILA, Genève, 1995, http://www.grila.org/publi.htm

Dans cette lancée, certains pays africains ont apparemment réussi au 21 ème sommet, 2013, à convaincre la commission de l’impératif d’une force de réaction rapide uniquement africaine qui ne soit pas inféodée aux forces extérieures, en réalité elle est logistiquement sous tutelle.

[26] Fanon, op cit p 159

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