Lancement officiel de la décennie pour les personnes d’origine africaine

 

New York, Assemblée Générale des Nations Unies

10 Décembre 2014

Mireille Fanon-Mendes-France

Ce 10 décembre, journée des droits de l’homme, restera dans les mémoires pour être celui de la reconnaissance politique du statut des Afro Descendants par les Etats, avec l’appui de la société civile et des ONG. Il s’agit d’une avancée incontestable, d’un premier pas vers une démarche inclusive de réhabilitation de la mémoire et de réparation morale d’un des crimes majeurs perpétré contre l’humanité. Démarche portée par la Déclaration de Durban et son Programme d’action.

Cette Décennie internationale, ayant pour thème Reconnaissance, Justice et Développement, est la période que se donne l’ensemble des nations et des peuples pour restituer leur pleine dignité à ceux qui ont été bafoués, avilis et qui ne sont plus là pour réclamer justice, mais aussi pour montrer aux jeunes générations, que l’ordalie de leurs ancêtres ne passera pas par pertes et profits des aléas de l’histoire. La reconnaissance est, en effet, un élément fondamental de la reconstruction des relations humaines, elle révoque les classifications des hiérarchisations raciales établies au nom d’une prétendue civilisation, par des criminels au service de l’exploitation et de la spoliation.

Dans un contexte mondial fondé sur la force et la soumission, et malgré des dénégations indignées, les démocraties les plus avancées de la planète continuent d’intégrer un discours racialisant teinté d’afrophobie, qui amalgame conditions sociales et couleur de peau.

Ainsi dans le suggéré et l’implicite, mais aussi dans le non-dit, se perpétue l’abjecte ségrégation d’une partie de l’humanité en fonction de la pigmentation.

Si le colonialisme et l’esclavage ont quasiment disparu, l’idéologie qui les a accompagnés est toujours présente, avec ses modes d’infériorisation des populations colonisées qui semblent avoir été rapatriés dans les métropoles des pays économiquement avancés.

La xénophobie et l’afrophobie assumées des nouveaux populismes en sont une illustration éloquente. Derrière le mur des bons sentiments, le discours d’apartheid, de dévalorisation et de déshumanisation de l’autre, au prétexte de sa couleur de peau, continue de caractériser une vision pathologique du monde à laquelle certains media de masse confèrent une inacceptable respectabilité.

Il n’est pas possible de ne pas penser à ces jeunes qui, essentialisés par un système qui ne voit en eux que menace, violence, trafic de drogues, sont morts en raison de leur peau. Arrachés à leur famille et amis ; morts et privés d’une justice juste et équitable.

Comment en finir avec ce legs vénéneux d’une histoire trop souvent occultée ? C’est bien aujourd’hui tout l’enjeu de la Décennie internationale pour les personnes d’origine africaine, mais également des luttes politiques et sociales visant à réduire à jamais cet héritage d’une culture de haine.

Qu’on ne s’y trompe pas, la reconnaissance du statut des Afro Descendants n’est pas seulement un geste politique à l’endroit des victimes et des générations actuelles et futures ; elle est aussi un facteur déterminant de la libération de ceux qui ont dominé, de ceux qui ont exploité et de ceux qui ont infligé d’insupportables souffrances à d’innombrables populations pendant des siècles.

Il ne s’agit en aucun cas d’une concession faite, pour solde de tout compte, à ceux qui ont été laissés sans moyens et démunis face à de gigantesques puissances d’argent.

Ainsi la décennie doit être dédiée, outre le Forum international et la Déclaration des Nations unies sur les droits de l’homme pour les personnes d’origine africaine intégrés dans le programme d’activités adopté par les Etats, à des opérations et des campagnes de sensibilisation, de formation, d’éducation aux questions posées par l’afro-descendance sur le plan de l’histoire et de l’actualité. Il importe que le plus grand nombre soit averti de cette question qui est au centre des relations internationales mais aussi au centre des relations sociales au nord comme au sud, à l’est comme à l’ouest du monde.

Pour lancer ces campagnes de sensibilisation, les experts du groupe de travail sur les personnes d’origine africaine suggèrent que soit organisé par l’ONU un séminaire mondial sur l’afro- descendance et le monde contemporain.

Cette thématique pourrait réunir des experts de tous pays et de tous horizons et aurait pour objet la mise en valeur de l’apport culturel, scientifique, économique, social, politique des Afro-descendants au monde d’aujourd’hui. L’ensemble des contributions, d’où qu’elles viennent, devraient être collectées par le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, en partenariat avec des institutions telles que l’UNESCO, afin de constituer une encyclopédie de l’Afro-descendance et de sa contribution à l’histoire mondiale.

Par ailleurs, dans le cadre des discussions visant à finaliser l’Agenda ´post -2015’, il serait important que les questions de développement, un des thèmes de la Décennie, soient appréhendées en regard des besoins essentiels et particuliers des personnes d’origine africaine.

Comme j’ai l’infime honneur, en mon nom propre et en celui des experts-membres du Groupe de travail sur les personnes d’origine africaine, de m’exprimer à cette tribune, je tiens à rappeler, qu’au-delà du choix des thèmes de cette Décennie internationale, nous n’avons ménagé aucun effort afin de produire le document qui a servi de base de réflexion au Groupe de travail intergouvernemental sur la mise en œuvre effective de la Déclaration et du programme d’action de Durban.

Ainsi a pu être élaboré et transmis à l’Assemblée Générale des Nations Unies le programme d’activités pour la Décennie internationale qui servira de cadre pour penser des actions, des recherches, des rencontres visant à venir à bout d’un mal qui ronge l’ensemble des sociétés. Dans dix ans, nous devons nous retrouver, nous regarder et ensemble constater que nous avons réussi ; enfin le baromètre mondial du racisme, de l’afrophobie, de la xénophobie et de la discrimination montre un net fléchissement et inverse sa tendance. Enfin les rapports politiques et sociaux fondés sur l’essentialisation des peuples et d’un continent comme l’Afrique marquent le pas.

C’est tout le sens de cette décennie, pour laquelle nous tenons, en tant que groupe d’experts sur les personnes d’origine africaine, à jouer pleinement notre rôle dans la mise en œuvre des activités. Nous attendons, avec Intérêt, de prendre connaissance du mandat qui nous sera attribué par le Conseil des droits de l’homme concernant, entre autres, le Forum international et dans le processus d’élaboration de la Déclaration.

Permettez-moi avant de clore mon propos, de dire l’importance que nous accordons à la société civile et au rôle central que les organisations de la société civile ont à jouer dans la mise en œuvre des activités de cette Décennie internationale. Nous osons espérer qu’elle sera l’occasion d’une plus grande visibilité de ces organisations et du travail fondamental qu’elles effectuent sur le terrain. Nous souhaitons que cette Décennie soit l’occasion d’une interaction renforcée entre les acteurs étatiques, les organisations internationales, régionales et sous régionales et celles de la société civile, afin qu’avec l’effort conjugué de tous, la Décennie internationale atteigne ses objectifs.

Enfin je voudrais rendre un hommage vibrant et ému à celles et ceux qui ont été déportés, emprisonnés, enchainés et livrés à l’exploitation de sociétés qui se proclamaient porteuses de lumières et à l’avant-garde de la civilisation ; à celles et ceux tombés parce que discriminés en raison de leur pigmentation.

Je voudrais saluer tous ceux et toutes celles qui ont lutté et qui continuent de le faire -quels que soient leur couleur de peau, leur sexe, leur religion ou leur origine- pour la non-discrimination avec son corollaire l’égalité et pour la fraternité entre tous les êtres humains et entre tous les peuples.

Permettez-moi de conclure par une citation de Frantz Fanon :

« (…) Nous voulons marcher tout le temps, la nuit et le jour, en compagnie de l’homme, de tous les hommes. Il s’agit de ne pas étirer la caravane, car alors, chaque rang perçoit à peine celui qui le précède, et les hommes qui ne se reconnaissent plus, se rencontrent de moins en moins, se parlent de moins en moins. Il s’agit (…) de recommencer une histoire de l’homme… (Les damnés de la terre)

Je vous remercie

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